Pour cet agronome ce sont les mauvaises solutions gouvernementales qui maintiennent le Cameroun dans une situation d’insécurité alimentaire
Quelle différence faites-vous entre autosuffisance alimentaire et sécurité alimentaire?
C’est deux termes complètement différents. Il faut d’abord définir chacun des termes avant de voir la différence qu’il y a entre les deux. Quand on parle de sécurité alimentaire, il y a trois choses qu’il faut voir. Premièrement, il y a la disponibilité de l’aliment, c’est-à-dire que dans un pays, est ce qu’il y a à manger ? Est ce qu’on peut avoir ce qu’on veut manger dans le pays ? Deuxièmement, il y a l’accessibilité : si les vivres sont disponibles, est ce que les populations ont les moyens d’accéder à ces vivres ? Vous voyez la nuance. Troisième chose à prendre en considération : c’est l’utilisation. Si les vivres sont disponibles, les populations ont les moyens d’y accéder, est ce que les populations connaissent manger ? Donc il s’agit de l’alimentation dans le sens de la bonne alimentation. Ils connaissent manger, ils connaissent utiliser les produits pour la bonne santé. Voilà les trois choses à prendre en compte quand on parle de sécurité alimentaire. On va revenir pour savoir où se situe la Cameroun par rapport à ces trois éléments, et c’est ça qui va nous permettre de savoir si le Cameroun est pays Secure alimentairement parlant ou non. Maintenant quand on parle d’autosuffisance alimentaire, là il y a la première notion : est-ce que sur le plan de la disponibilité le pays n’est pas dépendant de quelqu’un d’autre, d’un certain paramètre pour pouvoir maîtriser cette disponibilité ? Le problème s’arrête à ce niveau parce que le pays peut être autosuffisant, les gens ne mangent pas de la même manière, les vivres sont là on produit suffisamment de riz, de maïs, de Macabo, de banane plantain et autres. Donc, le Cameroun réussit à se nourrir sans être dépendant. Il faut quand même apporter cette nuance que, être autosuffisant ne veut pas nécessairement dire qu’on mange ce qu’on produit soi- même. On peut avoir envie de manger autre chose qui vient d’ailleurs ; les camerounais peuvent avoir envie de manger les prunes et les cerises qui ne sont pas produites au Cameroun et le Cameroun a les moyens de faire venir cela ici. Ceci étant, vous voyez qu’il y a une nette différence quand on parle de sécurité alimentaire et d’autosuffisance alimentaire.
Le Cameroun est-il autosuffisant?
Le Cameroun n’est ni autosuffisant alimentairement parlant, ni secure en matière d’alimentation. Donc le Cameroun vit une période s’insécurité alimentaire qui est lamentable, qui est vraiment notoire. Il vit aussi une situation d’incapacité à s’auto suffire alimentairement, l’un va avec l’autre. Cela va de soi que si le Cameroun est insécure en matière d’alimentation, le Cameroun n’est autosuffisant alimentairement parlant. Parce quand je reviens sur les trois notions susmentionnées : si on parle de la disponibilité, sur ce plan le pays a des vivres en quantité. Mais c’est la répartition n’est pas parfaite partout. Quand on parle de famine au Nord par moment, il y a des surplus de production à l’Ouest ou bien dans le Sud-ouest. Parce quand on parle de disponibilité pour un pays, cela ne doit pas être seulement disponibilité dans les centres urbains ; cela doit être disponibilité dans tous les coins du pays et sur ce plan le Cameroun n’est pas encore là. Maintenant par rapport à l’accessibilité il y a plein des gens ici à Yaoundé qui ne mangent pas deux repas par jour, quand vous voyez comment le niveau de vie ne fait que s’élever. C’est-à-dire qu’il y a un nombre de plus en plus croissant de populations camerounaises qui ne mangent pas à leur faim. Ne pas manger à sa faim signifie aussi qu’on ne mange pas la qualité dont on devrait avoir besoin pour se nourrir. Donc sur le plan de la disponibilité et sur le plan de s’accessibilité le Cameroun est défaillant. Maintenant sur le plan de l’utilisation, c’est automatique puisque si les gens ne mangent pas à leur faim, il va de soi qu’ils ne tiennent pas compte de la qualité de ce qu’ils mangent, ils mangent ce qu’ils trouvent, ce qu’ils peuvent acheter. Dans une enquête faite à Yaoundé, nous avons été scandalisé de trouver que dans la population, il y avait 6 % de personnes qui disent manger du riz tous les jours, puisque le riz est moins cher et accessible. Cela signifie pour cette tranche de la population, que la qualité importe très peu, il faut étouffer sa famine, c’est tout.
Quels systèmes alimentaires durables le Cameroun peut-il adopter pour garantir sa sécurité alimentaire?
Ce n’est que la production, rien que la production. Parce que lorsque vous contrôlez la production, vous contrôlez ce que les gens consomment en ville. Prenons le cas du manioc par exemple. Lorsque vous contrôlez sa production, vous faites en sorte que le prix du manioc sur le marché de Yaoundé s’étalonne au niveau de vie des populations de Yaoundé. Parce que sur le marché, le prix est fonction du jeu entre l’offre et la demande. Si on à une bonne politique de production de denrées alimentaires sur le plan national, on contrôle les prix sur le marché et les prix sur les marchés seront étalonnés sur le niveau de vie des populations. Donc, il faut maitriser la production. Je pense que la solution est toute simple et c’est là où l’Etat fait preuve de beaucoup de défaillance. Maintenant qu’on a maitrisé la production, il faut faire en sorte que le gros de ce qui est productible dans une région donnée par les populations données, soit réalisé par ces populations elles-mêmes. Car, quand la production est faite par ces populations elles-mêmes, les produits ses rapprochent du consommateur et la distance se réduit automatiquement.
Les solutions gouvernementales sont-elles à même de relever le défi de la sécurité alimentaire durable?
Ces solutions ne peuvent pas nous permettre de résoudre le problème de la sécurité alimentaire dans le sens où nous l’avons défini, pour trois principales raisons: la première c’est que les solutions qui sont proposées à l’heure actuelle que je peux citer: les agropoles, l’agriculture de seconde génération. sont des solutions qui ne concernent pas le gros des producteurs camerounais. A la limite, elles concernent les nouveaux producteurs parce que s’il faut regarder les producteurs camerounais d’aujourd’hui, vous avez constatez que plus de 98 % sont des petits producteurs. Or les solutions du genre agropoles, du genre agriculture de seconde génération, sont des solutions qui se développent en marge de ces petits producteurs. Même si ces solutions permettaient d’avoir suffisamment à manger, cette nourriture serait encore éloignée des petites populations qui resteraient pauvres, puisque les études ont montré que près de 38 % de la population camerounaise vit en dessous du seuil de pauvreté. Et dans ces 38 %, près de 60 % vivent en milieu rural. Donc, ce sont les petits producteurs. Or comme les solutions qui sont proposées à l’heure actuelle ne les concernent pas en tant que tel, elles auront beau permettre d’accroitre la production, ces petits producteurs seront en marge de la production. Parce qu’une croissance économique dans un pays comme le notre n’est réelle que si elle bénéficie à tout le monde. Mais tel n’est pas le cas, quelle que soit la production que l’on pourra obtenir avec les agropoles. Encore que j’ai des doutes sur l’efficacité des agropoles mes doutes sont encore plus forts sur l’efficience de ce qu’on a appelé agriculture de seconde génération. Surtout que jusqu’ aujourd’hui même, si en théorie on nous a un expliqué ce que c’est que l’agriculture de seconde génération, sur le terrain on ne nous a pas encore montré ce que celle-ci, et le temps ne fait que avancer. Ce n’est pas un nouveau mot pour le milieu de la production agricole au Cameroun ; c’est un mot qui vieilli déjà. Mais dans la pratique on ne voit pas encore ce que représentent ces agricultures de seconde génération et même les agropoles. Parce que les agropoles tel qu’on les définit ne se voient pas encore. Il y a aujourd’hui peut être sept à dix agropoles qui ont été lancés, mais dans la définition qu’on donne on ne peut pas encore allez là où ils sont voir tout ce qu’on nous a dit d’attendre d’eux. C’est-à-dire une structure qui accompagne une multitude de petits producteurs, lesquels sont engagés dans une filière où on produit et on transforme si possible.

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Quelle peut-être la contribution de la société civile et des initiatives privées dans la mise en place d’un système alimentaire durable au Cameroun?
IL faut faire le lobbying, il faut presser, il faut proposer. La société civile doit proposer car il ne lui appartient pas d’aller faire des champs ; ce n’est pas non plus à la société civile d’aller définir une politique agricole. C’est du rôle de l’Etat de définir la politique agricole, d’accompagner la production agricole. L’Etat est incontournable, nous sommes tous conscient que l’Etat est indispensable, il faut que l’Etat joue son rôle. Mais tel n’est pas le cas à l’heure actuelle. La société civile se doit donc d’interpeller, de faire la pression, de faire le lobbying pour qu’on définisse une bonne politique agricole par rapport à d’autres pays comme le nôtre. Je pense que nous proposons effectivement. Regardez le pacte sur le développement rural que nous avons proposé aux politiciens : si on reprenait ce pacte aujourd’hui, si on ne passe pas par ce qu’on a proposé dans ce pacte, on ne peut pas décoller. Parce que dans ce pacte nous proposons de faire en sorte que le développement agricole et le développement économique du Cameroun soient placés sur les épaules des petits producteurs. Quand on veut construire une maison, on commence par la fondation, donc si on est intelligent on peut se demander qu’est ce qu’il faut faire pour ces petits producteurs décollent ? Ça on le sait. Pour que notre agriculture décolle, il faut qu’on trouve des solutions pour améliorer la production et la productivité au niveau des petites exploitations agricoles. Or, quelles solutions on peut trouver ? Nous on fait des propositions, les petits exploitants agricoles que vous voyez là pendant la campagne agricole, sont plus de 75 % qui n’ont pas de bonnes semences ; je connais plein de camerounais qui seraient prêts à mettre en place plus de 10 ha de maïs, mais ils n’ont pas de semences ; certains sont près pour 10 ha de cacao mais il n’y pas de semences. Dans ce pays, si on se battait pour que chaque paysan, chaque petit producteur lorsque la campagne sonne aux s du mois de février, qu’on s’assure que chacun d’eux a une boite de semence d’arachides, de maïs, d’haricot, de banane plantain etc., et des semences de bonne qualité, on multiplie la production du Cameroun par quatre et on décolle économiquement. Là où il y a problème, c’est que ceux qui ont la charge de faire en sorte que les semences tombent entre les mains des petits producteurs lors de la campagne, ne sont pas là. Ils sont sur un autre terrain, celui des agropoles, de l’agriculture de seconde génération, etc. On ne peut pas faire l’agriculture de seconde génération quand on n’a pas liquidé le solde de l’agriculture de première génération. Ce sont des hommes, c’est-à-dire des camerounais qui sont concernés. Tenez : quand le ministre de l’Agriculture et du Développement rural quittait Yaoundé pour se rendre à Ebolowa, il traverse en route près 3500 petits producteurs qui produisent et vendent, mais il ne s’arrête pas là. Mais ceux que le ministre traverse là ce sont des camerounais. La société civile joue même trop son rôle qu’on croit qu’on veut venir remplacer le ministre de l’agriculture, mais non nous n’avons pas envie de prendre la place du Minader. Il faut juste qu’il fasse ce qu’il doit faire.
Comment peut-on capitaliser les devises englouties dans les importations de produits de premières nécessités au profit de l’économie camerounaise?
Le chef de l’Etat l’a dit lui-même lors du comice que chaque année on dépense près de 500 milliards Fcfa pour importer ce que nous consommons. Parmi les trois produits phare pour lequel nous dépensons environs 400 milliards Fcfa par an, sont il y a le riz avec plus de 400 milles tonnes chaque année depuis plus de 10 ans, alors qu’on a un potentiel de terre irrigable de plus de 250 000 ha dont seulement à peine 33 000 sont utilisées. Pourquoi on ne produit pas le riz ? Il y a la farine de blé, nous avons même proposé qu’on incorpore la farine locale de manioc, de patate ou de maïs dans le pain qu’on consomme au Cameroun. On a tout fait, on a fait gouter et les consommateurs ont accepté. Maintenant, le gouvernement qui devait faire le pas ne l’a pas fait, et on continue à consommer la farine importée. Il y aussi le poisson dont 95 % consommé chez nous est importé, alors qu’on a des possibilités, on n’est pas le Tchad qui est un pays sans façade maritime. C’est une réalité, c’est une aberration. Or le véritable problème de notre développement agricole et de notre développement de manière générale, c’est qu’on n’a pas de responsables courageux. Il faut quelqu’un qui dise »stop trop c’est trop allez dans cette direction quel que soit ce que cela nous coûte ». Il n’y a pas un consommateur que cela n’intéresserait pas, si on décide qu’on ne peut plus importer plus de 400 milles tonnes de riz, on va diminuer plus de 50 000 tonnes chaque année et donnez-nous le temps de faire en sorte que la production augmente, les consommateurs vont comprendre. Ce riz, non seulement cela fait mal à la production locale et cela affecte aussi le macabo et le plantain, car lorsque vous arrivez sur la marché et que le macabo ou le plantain est cher, vous vous rabattez sur le riz. Les solutions sont là. Il faut dédommager la société civile de toute responsabilité par rapport à la stagnation de notre développement agricole car nous avons fait des propositions qu’on ne veut pas prendre en compte.
Quel rapport faites-vous enfin entre sécurité alimentaire et nutrition?
Le troisième élément de la sécurité alimentaire c’est le savoir manger. Ce savoir manger c’est la nutrition. Il s’agit de savoir ce que l’on mange, mais on mange de manière cadrée. Le corps a besoin de protides, de lipides, d’énergie, de vitamine ou de calorie, donc la nutrition c’est que tu essayes de puiser ces différents éléments en jouant avec la disponibilité actuelle. Par exemple si le maïs donne l’énergie, à défaut du maïs tu prends le mil, donc la nutrition c’est le troisième élément de la sécurité alimentaire.