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Bindoua Jeanne d’Arc: « Etre régisseur c’est un travail difficile »

Super intendant des prisons et régisseur de la prison principale de Mfou, elle évoque le quotidien de son établissement! Est-ce…

Super intendant des prisons et régisseur de la prison principale de Mfou, elle évoque le quotidien de son établissement!

Est-ce que c’est facile de diriger une prison comme celle de Mfou?
Etre régisseur c’est un travail difficile quelle que soit la prison. Je suis à mon premier poste. Parce que j’ai plutôt passé beaucoup de temps à la direction des services centraux de l’Administration pénitentiaire. Je suis ici depuis décembre 2007. Pour moi c’est plus difficile, parce que je suis partie directement des dossiers pour le terrain. Et je suis mère de 7 enfants; les éduquer n’est pas facile parce que chacun a sa personnalité. A plus forte raison, diriger plus de trois cent personnes c’est pénible.

Nous nous sommes un peu promené dans les quartiers, apparemment tous les prisonniers sont dociles.
Ils ne sont pas tous dociles. Parce qu’il y en a qui font des bagarres, beaucoup de chanvre entre dans la prison et lorsqu’ils ont déjà fumé le chanvre, ils deviennent agressifs.

Par quelle voie le chanvre entre t-il dans la prison?
C’est un trafic! Ceux qui sortent par exemple pour aller faire des corvées peuvent faire entrer le chanvre. Parce qu’ici normalement, lorsque vous venez de l’extérieur, avant de traverser la deuxième porte, l’on doit vous fouiller. Et pour peu qu’il trouve un fonctionnaire complaisant, c’est-à-dire qui ne fait pas normalement son travail, il entre avec la marchandise prohibée. De même, au niveau du quartier Ecole où nous avons notre poulailler, il y a une rigole qui permet d’évacuer de l’eau. Ils jettent aussi des choses par là.

Quelles mesures avez-vous pris face à cette pratique?
Comme mesures que nous prenons déjà, nous demandons aux fonctionnaires de bien faire leur travail. Nous leur disons que les prisonniers ne sont pas des gens à qui on peut faire confiance. Parce que le prisonnier cherche à avoir votre confiance. Dès qu’il sait qu’il l’a, c’est alors qu’il commence à faire le trafic. Quand il a déjà fait quatre, cinq, six mois dehors à sortir de temps en temps, c’est alors qu’il replonge.

Nous avons constaté que les prisonniers sont très actifs. Il y en a qui font des beignets, d’autres qui vendent des bananes. Comment parviennent t-il à se procurer la matière première?
Nous avons un commissionnaire, un prisonnier à qui nous avons déjà fait confiance. Il se rend au marché deux fois par jour. Si ça ne tenait qu’aux détenus, il y serait allé mille fois. J’ai donc restreint ce nombre. Pour la banane, c’est une ancienne gardienne de prison qui vient en vendre. Il y a même certains prisonniers qui font seuls leur cuisine ici. Ils envoient faire le marché et l’on revient avec les ingrédients.

Pourquoi certains prisonniers peuvent sortir et pas d’autres ?
Selon les textes, le prisonnier peut être admis à sortir quand il a déjà purgé les deux tiers de sa peine. Mais ce n’est pas toujours évident. Nous les mettons souvent à l’essai. Certains, dès leur première sortie rentrent saouls ou avec du chanvre indien. Alors, nous restreignons de nouveau leurs sorties. Tout dépend de la confiance qu’on leur porte. Laquelle n’est jamais une garantie. Certains usent de ce stratagème pour s’évader dès qu’on les laisse sortir.

Bindoua Jeanne d’Arc, régisseur de la prison principale de Mfou
Journal du Cameroun)/n

D’où vous viennent les moyens pour nourrir tout ce monde?
Le ministère de la justice nous envoie des cartons semestriels. Mais avec le coût de la vie, ça ne suffit pas. Récemment le vice premier ministre a doublé les crédits d’alimentation dans les prisons. Nous nous débrouillons néanmoins avec le jardin et autres pour essayer d’améliorer leur quotidien. Le chiffre pour la nutrition quotidienne d’un détenu oscille autour de deux cents francs maintenant. Mais ce n’est pas le chiffre exact.

Mais des détenus se plaignent de ce qu’ils ne reçoivent qu’un repas par jour et que ce n’est pas suffisant.
Les détenus n’ont droit qu’à un repas par jour, selon les textes. Ce qui se passe c’est que ce repas est déjà consistant. Vous-même vous voyez ce qu’il y a là comme personnes; si vous vous mettez à les nourrir deux fois par jour, c’est avec quel budget?

Et les visites comme celle du Groupe François de Salles sont elles fréquentes?
Nous recevons fréquemment des visites comme la votre en fin d’années. Nous voulons que ces visites soient plus fréquentes. Ces gens, lorsqu’ils reçoivent des visites, ils sont très contents. Il y a certains ici qui n’ont jamais de visite. Or une visite comme la votre, ils peuvent la prendre comme la leur.

Au-delà de tout ceci, ne pensez vous pas qu’il fait mieux vivre dans la prison de Mfou que dans les autres prisons du Cameroun?
Nous sommes une prison privilégiée. Parce qu’il y a beaucoup de gens qui nous aident. Par exemple, L’atelier de coiffure, c’est Nolfowop, une Ong qui dépend du Caire qui nous a donné du matériel pour le créer. Pour la bibliothèque, c’est des dons comme le vôtre. Nous sommes vraiment privilégiés, mais nous aimerions que cela continue parce que nous voulons que nos détenus en s’en allant aient appris un métier. C’est également pour cela que nous avons un jardin. On les y permute tout comme dans le poulailler. Les derniers sujets de ce poulailler ont été vendus aujourd’hui. Nous les employons par vague pour éviter qu’ils deviennent oisifs après leur sortie. Surtout que la plupart de nos détenus sont des voleurs.

Cérémonie réligieuse dans la prison
Journal du Cameroun)/n