Par Gaston Kelman, écrivain
L’élection présidentielle camerounaise s’est déroulée le 09 octobre 2011. Je me suis permis de mettre en garde contre une éventuelle tentation d’intervention extérieure qui hanterait certains esprits nationaux. Je voulais savoir les Camerounais assez sages pour éviter toute dérive postélectorale. Un politologue m’a interpellé au cours d’une émission nocturne sur STV2 à laquelle j’intervenais par courriel interposé. Me prenant de haut, il me renvoyait à mes angoisses et fantasmes divinatoires de mauvais augure, jurant que jamais cela ne se passerait au Cameroun.
Je me surprenais qu’un politologue ne comprît pas que, dans le contexte d’une Afrique en mouvement, la probabilité serait forte que certains membres de l’opposition pensent que le temps était propice à tous les possibles ; qu’il suffirait de claquer les doigts postélectoraux pour que des communautés internationales viennent rééditer les épisodes ivoiriens, tunisiens ou égyptiens. Qu’importe si ces situations n’avaient rien à voir entre elles et avec le Cameroun. Je comprenais très bien que l’homme de l’art ne faisait pas de l’analyse politique mais exprimait ses v ux pieux que malheureusement il présentait comme une émanation de sa science. Aujourd’hui, avec la coalition aussi incolore qu’inattendue de certains leaders de l’opposition, nous assistons à un épisode des plus picrocholins de la politique camerounaise. Des responsables politiques, des juristes et l’homme de la rue ont fait preuve de bon sens dans leur condamnation de cet oxymore politicien, de cette extravagance humoristique, pour qu’il soit besoin que j’y revienne.
Je ne voudrais pas me poser des questions sur les motivations des gens qui n’ont pas su ou voulu faire l’union pour gagner mais décident de la faire pour envoyer les enfants dans la rue. Je ne voudrais pas me poser des questions sur la logique de celui-là qui proclamait à la télévision, que si John Fru Ndi avait refusé la candidature concertée de Ndam Njoya en 2004, c’est parce qu’il se jugeait le seul digne de cette place. Je ne voudrais pas me poser des questions sur le sort que les Camerounais réserveront à cette galipette soudaine de l’union de l’opposition. Mais je voudrais les rassurer. Si leur objectif, comme aucun de mes fantasmes les plus débridés ne me permet de le croire, est de voir intervenir l’étranger par une ingérence sous quelque forme que ce soit, je ne souhaiterais à personne d’être à leur place face à l’histoire. Il y a eu les mouvements arabes très vite baptisés Printemps, avec toutes les promesses que ce prénom suggère. Ces mouvements ont été initiés par la jeunesse hors de tout contexte électoral, sans l’appel d’aucun parti politique. Hélas, nous observons que les résultats sont à la dimension de l’innocence de cette jeunesse, aujourd’hui dépossédée de cette espérance par ceux qui n’ont jamais su la faire surgir. Ces groupes qui courent vers les suffrages, vont transformer les printemps en crépuscule à peine annonciateur d’une lointaine aube printanière. Mais un cap démocratique a été franchi sans que les politiques qui en sont les héritiers plutôt indignes en aient été les initiateurs. Au Cameroun, avec nos conspirateurs à peine catilinesques, ce ne serait même pas l’annonce d’une aube lointaine, mais la chute immédiate dans une saison blanche et sèche.
L’élection camerounaise s’est déroulée le 09 octobre 2011. Les céroféraires les plus acharnés et les plus serviles du pouvoir ne réussiront pas à se convaincre eux-mêmes que l’on n’aurait pas pu faire mieux en cinquante ans d’indépendance. Mais je continue à poser la question des responsabilités des uns et des autres, notamment celle de l’opposition. L’élection s’est déroulée et je pense que l’opposition a contribué à en faire un champ de foire. Les résultats vont être proclamés. Maintenant, il convient de se tourner vers le futur. La question est de savoir comment faire pour que le Cameroun traverse sans dommage et avec espérance, cette transition, cette mutation des temps qui se présente à lui.
L’élection présidentielle s’est déroulée à un tour. À première vue, mais surtout dans les pays où la démocratie et l’opposition sont matures, dans des pays développés où l’alternance est assurée par la loi limitant les mandats ou par l’usage, ce type d’élection paraît inimaginable. Mais qu’en est-il dans nos pays qui ne remplissent pas encore les conditions énoncées ci-dessus !
Les pays pauvres sont confrontés à des enjeux spécifiques. Tous ces enjeux se résument en un seul : améliorer les conditions de vie des populations en leur donnant accès à la santé, à l’éducation grâce à une répartition équitable des richesses. Force est de constater que nous sommes loin du compte. La réapparition de maladies aussi opportunistes que moyenâgeuses comme le choléra, est là pour nous le rappeler. Pour répondre à ces enjeux, nous ne pouvons compter que sur ce que nous avons. Nous disposons d’un potentiel intellectuel et matériel indéniable. Alors, où se situe le problème ? forcement, ce sont, par leur mentalité, les hommes et les femmes qui font problème. La transformation ne se fera pas grâce à l’action de l’Esprit Saint. Nous sommes minés par des tares d’origines diverses. Quel est le pourcentage de Camerounais et d’Africains en général, qui n’est pas tenté par l’arbitraire hérité du modèle colonial ? Cet arbitraire agit sur deux axes, le pouvoir et l’argent.
Le colon occupait le pouvoir sur un espace auquel il ne devait pas son élection. En effet, le gouvernant n’était pas choisi par ses administrés. Il apparaissait, prenait le pouvoir, restait aussi longtemps qu’il le voulait et repartait comme il était venu, remplacé par quelqu’un qui correspondait aux mêmes critères. Plus tard, on saura qu’il n’était pas un mutant venu d’une autre planète, mais qu’il était envoyé par un pouvoir supérieur. C’est à ce pouvoir qu’il rendait des comptes, pas à ses administrés. Quand nous voyons comment certains dirigeants des pays africains font le siège de l’Elysée pour assoire leur légitimité, nous comprenons qu’ils sont encore dans le même schéma. Quand je pense au ballet de l’opposition dans les couloirs parisiens, je me dis qu’elle n’a rien à reprocher aux autres et que ce n’est pas en son sein que se trouve l’alternative. Vous pouvez me croire. Ma courte expérience des cabinets ministériels m’en a fait voir et entendre des choses !
La tentation de l’accession au pouvoir par l’arbitraire a pris toutes les formes possibles dans les anciennes colonies. Il y a eu le coup d’état, la présidence à vie, la candidature unique, les pères de la nation. Ces tares se retrouveront même chez des nationalistes théoriciens comme Kwame Nkrumah qui se proclamera Osagyefo, le messie. L’émergence de l’homme salutaire ne garantit pas un avenir apaisé. Le Ghana du Capitaine Rawlings est-il un exemple positif ! Je ne puis que m’en féliciter. Mais je vous en propose un autre dont j’ai été un observateur privilégié.
J’ai connu le processus démocratique mauritanien. Il a inspiré mon livre intitulé Les hirondelles du printemps africain. Le colonel Elly Vall a pris le pouvoir par un coup d’état, a assaini tous les niveaux de la société, a revu les contrats avec les firmes étrangères, a organisé les élections et remis le pouvoir aux civils, et tout ceci en dix-neuf mois. C’est exactement le temps qu’il a fallu pour qu’advienne un autre coup d’état qui renversait le président élu – au demeurant très mauvais – et remettait au pouvoir un général.
La deuxième tentation héritée du colonialisme est celle de l’argent facile. Quel est le taux de Camerounais et d’Africains qui n’est pas perméable à la forme de corruption assez spéciale qui sévit sous nos latitudes ? Le colon vivait dans des conditions idylliques alors que l’on avait l’impression qu’il ne travaillait pas. Aujourd’hui, ceux-la qui sont les « nouveaux Blancs » – les nouveaux riches, commerçants, cadres supérieurs – ne pensent pas que leur rémunération et leur niveau de vie devraient correspondre au travail fourni. Toute personne qui se retrouve à un lieu de circulation de l’argent – du policier au ministre, en passant par le proviseur – se croit autorisé d’y puiser à sa guise, sous les acclamations du peuple dont chaque membre rêve d’être à sa place.
Grâce à cette parcelle de puissance volée au peuple, l’on écrasera le peuple par tous les moyens dont l’arnaque, l’abus de pouvoir, la gloutonnerie, une pornographie débridée jusqu’à la pédophilie, la prostitution et le proxénétisme familial et autres pratiques plus outrancières les unes que les autres. Lisez donc le livre d’un initié, le professeur J.E. Pondy qui parle du droit de cuissage à l’université du Cameroun et vous me direz ensuite que c’est à l’universitaire ou à l’intellectuel qu’il faudrait donner le pouvoir sans confession.
Ces tares sont-elles les séquelles de la colonisation. C’est indéniable. Et on les retrouve au sein de toutes les anciennes colonies d’Afrique d’Amérique et d’Asie. Amusez-vous à compter le nombre de présidents qui ont occupé le poste au Brésil, de l’accession de l’indépendance à l’avènement de Lula. Pensez aux paires de Chaussures de madame Imelda Marcos. Ces tares sont-elles issues de la seule colonisation ! Nous pensons que selon que les peuples avaient des prédispositions ou non, ces tares font des dégâts plus ou moins profonds et mettent plus de temps à être éradiquées. Selon que les peuples se donnent les moyens grâce à la réflexion de ses élites politiques mais surtout intellectuelle.
Pourquoi croyez-vous que l’opposition soit aussi caricaturalement inepte ! Elle est à notre image ! Pourquoi croyez-vous que les entourages présidentiels soient aussi grossièrement béats face au prince, aussi prébendiers, dégoulinant d’un discours si mièvre qu’il étourdirait n’importe quel prince ! C’est parce qu’ils sont à notre image. Je repense à ces camarades avec lesquels je hurlais mon mépris des dirigeants et ma sapientielle dans les amphithéâtres de Yaoundé et de Paris. Quand je les rencontre aujourd’hui, je frémis parce que je sais que je suis à leur image.
Comment faire pour en sortir ? Le premier pas est celui de l’union. Celle de l’opposition est impossible quand il s’agit de bien faire, nous en avons les preuves une fois de plus. Cette opposition reproche au prince de ne lui avoir pas donné les moyens de son succès. N’en rions pas trop vite. Elle est à notre image. C’est à ce niveau que j’introduis mon analyse sur le vote à un tour. Parce que nous devons faire avec ce que nous avons aujourd’hui en attendant de le changer le moment venu ; parce que j’ai décidé de laisser la critique systématique à ceux qui, à tort ou à raison, pensent que les choses peuvent changer grâce à une critique systématique ; parce que échaudé par la mue de mes camarades de fac et les errements progressif de l’opposition, je me pose des questions sur moi-même ; parce que conscient de ne pas être forcement meilleur qu’un autre, j’ai délibérément choisi, après des années de critiques tonitruantes, de tenter une approche que je juge plus constructive en passant à l’action participative avec les outils qui sont miens, l’analyse et le conseil.
Alors je poursuis l’analyse. Je pense au débat sur les valeurs comparées des scrutins majoritaire et proportionnel. Dans les vieilles démocraties, la faveur est protée au scrutin majoritaire. Néanmoins, je me souviens que François Mitterrand avait testé la proportionnelle en pensant qu’elle était plus juste. Le choix n’est pas des plus aisés. Le scrutin majoritaire n’est pas aussi juste qu’il paraît puisqu’il permet avec des majorités très relatives en voix, d’avoir de confortables majorités en sièges. Dans les régimes à alternances fréquentes, les uns et les autres en sont bénéficiaires à tour de rôle et s’en satisfont vaille que vaille. Quant à la proportionnelle, elle permet à tous les courants d’être représentés à la proportionnelle des voix recueillies. Qui pourrait nier son caractère juste, équitable ! Le scrutin présidentiel à un tour peut être comparé au scrutin à la proportionnelle.
Dans le contexte de nos pays, face aux enjeux et aux objectifs qui sont les nôtres, il conviendrait que toutes les forces vives soient appelées à apporter leur contribution. Le système d’alliances plus ou moins opportunistes n’est peut-être pas le meilleur moyen de trier les compétences.
Sans nier les magouilles tout à fait possibles et dont la tentation guette tout le monde – à Paris ou à Washington, on n’organise pas des élections pour le perdre, disait quelqu’un – on peut penser à juste titre que le résultat des élections à un tour exprime la volonté du peuple d’envoyer tout le monde aux responsabilités, en attribuant à chaque groupe la taille qui lui convient, taille proportionnelle au pourcentage de voix obtenu. Il appartiendra dès lors au chef élu de réunir tous les partis et de négocier leur intégration au gouvernement. On espèrera qu’avec le temps et en attendant de passer à des systèmes supposés plus équitables, les diverses tendances s’amélioreront pour pouvoir travailler ensemble en conservant chacun ses spécificités idéologiques.
Alors, je passe au conseil. L’histoire est cruelle de justesse et de justice. Je ne parle pas de celle, immédiate, qui est souvent caricatural panégyrique ou fantasmagorique négationnisme. Je parle de la vraie, de celle qui s’écrit toute seule avec le temps quand la vérité devient incontournable. Cette histoire-là réécrira les évolutions logiquement lentes de nos peuples, la longue et rude marche vers la maturité. Mais elle retiendra ceux qui auront trouvé les moyens de faire évoluer les choses.
Les périodes de crise sont propices à l’éclosion des génies ou des monstres. Nous avons vu comment certaines crises ont fait surgir de notre peuple, des patriotes prêts au martyr, d’une générosité, d’une abnégation, d’un altruisme jamais égalés. Nous avons vu comment, plus récemment, elles ont exacerbé les égoïsmes, les arbitraires, les comportements les plus bestiaux, les instincts les plus bas. Que cette crise – celle de l’Afrique en mutation – soit l’occasion ultime donnée aux uns et aux autres de mettre le pays sur les rails du progrès social et économique ; sur les rails d’une vraie réconciliation, la réconciliation que le peuple attend depuis la décennie de braise des années cinquante, réconciliation indispensable à la sérénité et à l’évolution des mentalités.
