«Lettre à la diaspora» et «les migraines de la diaspora» séduisent des «diasporés»
C’est la question que je me suis posé après avoir lu les deux adresses de Suzanne Kala Lobé à la diaspora camerounaise en l’occurrence, «lettre à la diaspora» et «les migraines de la diaspora». Au-delà des passions qu’elles suscitent, le contenu de ces correspondances mérite, à mon sens, une réflexion approfondie tant les problèmes posées sont pertinents et toujours d’actualité brûlante. Je tente ici d’y apporter ma modeste contribution.
En effet, de ces lectures, on retient que l’auteur s’en prend avec beaucoup de véhémence à ceux-là qui ont choisi, du haut de leurs Tours d’ivoire, à l’étranger, de critiquer le système politique en place au Cameroun, de proposer des systèmes alternatifs, se risquant même dans des propositions de sortie de «crise» et autres analyses à connotations politiques. Suzanne Kala Lobé ne comprend pas qu’ils s’arrogent le droit de tirer à boulets rouges sur leur pays et qu’ils se permettent parfois d’inciter à l’insurrection ou au soulèvement populaire alors qu’ils sont à des milliers de kilomètres, loin des réalités locales. Elle avoue par ailleurs qu’elle-même, à un certain moment de sa vie, s’est prise à ce jeu du contestataire imbu d’un savoir, d’une connaissance qu’elle pensait suffisamment révolutionnaire pour faire des suggestions en vue de changements souhaités.
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Théodore Dikongue Ekwalla |
De retour au Cameroun, sa vision des choses a littéralement changé. Non pas qu’elle ne souhaitait plus des changements positifs pour son pays mais dans le sens où elle pense que l’on ne peut réfléchir, proposer des solutions utiles et viables qu’en étant soi-même imprégné des réalités du terroir, qu’en les vivant pleinement comme ceux-là que l’on prétend défendre, avec les mains dans la gadoue. Comme ces millions de Camerounais qui soit n’ont pas eu la chance de partir, d’immigrer vers d’autres cieux ou d’autres qui, malgré leurs moyens, malgré les multiples possibilités qui leurs sont offertes, ont choisi de rester, de vivre le Cameroun au quotidien. Suzanne Kala Lobé, s’adressant à ces Camerounais qui sont à l’extérieur et qui se découvrent, pour certains, des talents de politique, leur dénie le droit de s’ériger en censeurs de la République depuis leurs «retraites dorées». A ses yeux, il est inacceptable qu’un Camerounais à l’étranger se mette à souffler les braises sur son pays par simple calcul subjectif et opportuniste, loin des attentes du peuple au nom de qui il prétend pourtant parler. Elle juge cette attitude irresponsable et à la limite antipatriote. De son point de vue, on ne peut prétendre «aimer son pays» et s’ériger en procureur à charge contre ses dirigeants et tout ce qu’ils entreprennent. Elle s’emporte aussi contre «ce groupe qui s’autoproclame diaspora, comme un parti politique engagé dans un projet collectif et de société». Pour Suzanne Kala Lobé, rien n’empêche celui qui pense détenir un projet politique sérieux et crédible de descendre dans l’arène, au Cameroun, afin de le défendre en toute liberté, en toute démocratie. A ce propos, il faut souligner que la constitution camerounaise en son préambule dispose clairement que les partis et formations politiques concourent à l’expression du suffrage. Et aussi que la liberté de communication et d’expression sont des droits expressément reconnus à tous citoyens camerounais.
Contrairement donc à ce que pourraient penser certains, la conquête du pouvoir ne peut se faire en dehors du cadre légal d’un parti ou d’une formation politique dûment constitué au Cameroun et qui se doit, en outre, de respecter les principes sacrosaints de la démocratie et de l’unité nationales. A quoi donc sert cette agitation fébrile à l’étranger? Quelle est donc sa finalité? Quels sont les véritables objectifs de ses animateurs? Pour quels enjeux? Ce sont des questions qui restent en suspend.
Toutefois, je pense que tous les Camerounais à l’étranger ne doivent pas être vus sous le même prisme. En effet, ces attitudes que dénonce la rédactrice des deux « lettres » à la diaspora ne sont pas caractéristiques de tous les Camerounais de l’extérieur. Je préfère d’ailleurs ce terme à celui de diaspora ou du sobriquet «diasporé» qu’emploie si souvent Suzanne Kala Lobé. A ce propos, je n’apprendrais rien à personne en affirmant que les Camerounais sont des voyageurs dans l’âme. De tous temps, Ils ont migré partout en Afrique comme ailleurs dans le monde. Tous n’ont pas quitté le Cameroun parce que persécutés au plan politique bien que cela ait pu être le cas pour certains durant les années de braise des occupations coloniales et de la chasse aux patriotes. La plupart ont quitté le pays en quête de bonnes aventures, pour aller chercher ailleurs, chez les autres, ce qu’ils n’arrivent pas à trouver facilement chez eux. D’autres ont quitté le Cameroun pour aller suivre des études supérieures à l’étranger, surtout quand les formations souhaitées n’étaient pas disponibles sur place. D’autres encore sont partis pour mille et une autres raisons et finiront par s’établir dans des pays d’accueil où ils ont quelques fois pris la nationalité locale et ont fondé des familles. En général, ils y vivent en bonne intelligence avec les populations autochtones qui apprécient leur esprit d’ouverture et la facilité d’intégration des Camerounais.
Tout cela ne fait pas d’eux une diaspora à l’image des juifs qui ont été déportés, qui ont fui la shoah, les affres de la persécution, etc. Les émigrés Camerounais qui ne sont aucunement dans ces cas de figure devraient plutôt être appelés «Camerounais de l’extérieur» ou
«Camerounais vivant à l’extérieur». Dans leurs nouveaux lieux de résidence ils forment des communautés plus ou moins importantes suivant les pays de prédilection. Et là je voudrais souligner avec force qu’il ne faudrait pas que l’on tombe dans le piège facile de la discrimination qui voudrait que ces émigrés soient considérés comme des Camerounais de seconde zone, des Camerounais entièrement à part parce que simplement ils ne résident pas au Cameroun. Soyons clairs ! On est Camerounais ou on ne l’est pas. La nation camerounaise est formée de toutes ses filles et tous ses fils, qu’ils soient à l’intérieur comme à l’extérieur du Cameroun. Le principe de l’indivisibilité de la nation camerounaise ne souffre de ce point de vue d’aucune contestation.
Fils d’émigré camerounais, je n’en garde pas moins, grâce à mon feu père, cette relation forte avec son pays d’origine, la terre de mes ancêtres. Une relation fondée sur le profond respect et une fierté patriotique. A ce titre, il ne me viendrait pas à l’esprit de porter un regard critique sur mon pays de l’étranger, de dire des choses négatives sur le Cameroun pour le simple plaisir de paraître ou de me faire valoir auprès des autres.
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Théodore Dikongue Ekwalla |
Il est évident aussi qu’au nom de la liberté d’opinion et d’expression, on ne peut dénier à quiconque le droit de dire ce qu’il pense sur la bonne marche du Cameroun. Mais je suis parfaitement en phase avec Suzanne Kala Lobé, quand elle dit, entre les lignes, qu’il nous faut savoir raison garder. Car en effet, comment peut-on crier son patriotisme et se faire à l’étranger le porte-voix de ceux qui ne veulent pas seulement du bien à notre pays ? Je ne dis pas qu’il faille la fermer et regarder faire. Mais à l’étranger avons-nous véritablement toute la latitude pour apprécier les problèmes du moment et nous faire écouter par les populations concernées si tant est que notre discours est un discours vrai, dénué de tout subjectivisme, de tout calcul politicien ? C’est là qu’est toute la problématique de cet activisme. Il me revient des souvenirs de lecture du journal «La Nation Kamerunaise» qui paraissait en 1957 et où le Prince Dika-Akwa Nya Bonambela lançait, de l’étranger, des appels aux patriotes, aux «citoyens du Kamerun» pour mener le combat contre l’oppresseur et contre les «capitulards». Sommes-nous aujourd’hui dans la même situation? Le Cameroun est-il aujourd’hui aux mains d’étrangers pour que nous éprouvions le besoin de nous faire entendre négativement depuis nos exils lointains? Avons-nous aujourd’hui un parti d’opposition français, anglais ou américain en exil ? Un ancien ambassadeur de notre pays répétait souvent à ses concitoyens que «tous les Camerounais à l’étranger sont des ambassadeurs avant la lettre». A ce titre, ils se doivent d’être les défenseurs de leur pays et de son image. Ils se doivent de chercher à l’étranger ce qu’il y a de meilleur. Ils se doivent d’inciter les investisseurs à venir au Cameroun pour y apporter leurs expertises et leurs moyens. Comme ces milliers de chinois qui partaient en vacances organisées l’appareil photo en bandoulière, ils doivent ramener au pays ces images, ces idées, ces projets, ces moyens qui, exploitées avec intelligence, serviront à sortir le Cameroun du sous-développement.

A mon avis, les frustrations et colères qui font le lit des critiques acerbes de certains de nos compatriotes à l’étranger pourraient venir de leur sentiment d’être marginalisés, de la perception qu’ils ont de ne pas être impliqués du tout dans la vie de la Nation camerounaise.
Pour corriger cela, il devrait y avoir des structures d’encadrement qui éviteraient que les Camerounais de l’extérieur aient l’impression d’être comme des électrons libres à la périphérie des frontières nationales. A ce propos, il serait intéressant d’envisager par exemple, à l’instar de pays comme la France ou le Sénégal, la création d’un «ministère des Camerounais de l’extérieur» qui aurait pour mission de capitaliser tout ce que le Cameroun compte comme ressources humaines à l’extérieur et voir de quelles manières elles peuvent être utiles pour le pays. Dans ce même registre, il pourrait être envisagé aussi des mesures incitatives de retour au bercail pour ceux-là qui le souhaitent. Le pays n’a-t-il pas besoin de toutes ses filles et fils pour mener le combat du sous-développement ? Parmi ces mesures, il pourrait y avoir aussi celle qui permettrait de participer pleinement à la vie politique du pays notamment la possibilité de prendre part aux principales échéances électorales du Cameroun. C’est là aussi un débat où le Chef de l’Etat a agité une promesse qui fait son chemin.
A travers nos critiques incessantes, nous donnons malheureusement l’impression de sous-estimer cette paix qui règne au Cameroun. Avouons-le, le Camerounais en général n’est pas facile à diriger. C’est par conséquent une tache difficile pour ses dirigeants que de maintenir le bon équilibre de cette riche mosaïque d’ethnies, de cultures et de religions que représente le Cameroun. L’exercice n’est pas du tout aisé et comporte des difficultés de tous ordres qu’il faut savoir gérer avec discernement, avec tempérament. La situation dramatique de certains pays d’Afrique comme le nôtre devrait nous faire prendre conscience de la chance extraordinaire que les Camerounais ont de vivre ensemble dans un pays stable, sans animosité, avec un sens élevé du partage et de la tolérance. Notre patriotisme ne doit pas seulement se célébrer lors des matchs de football des Lions Indomptables. Il doit être quotidien, permanent. Sachons aussi que ce n’est pas en embouchant continuellement les trompettes du désespoir et de la dénonciation systématique que nous apporterons notre pierre à la construction de la jeune Nation camerounaise. Elle ne se construira pas essentiellement dans les débats de salon, dans les forums et autres séminaires.
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Théodore Dikongue Ekwalla |
Les grandes nations du monde ne se sont pas développées du jour au lendemain. Elles sont toutes passées par des étapes parfois très difficiles. Notre pays fête cette année ses cinquante premières années de liberté retrouvée. C’est l’occasion de faire le bilan mais aussi le moment de définir les perspectives pour l’avenir. En effet, le Cameroun de demain se prépare aujourd’hui, avec toutes ses filles et fils patriotes. Les luttes épiques pour notre indépendance qu’ont livrées les grands résistants et martyrs de la nation que sont les Prince Rudolph Douala Manga-Bell, Ngosso Din, Nkilik Makong, le Sultan de Kousséri, le capitaine Samba Martin des Boulous, Somo des Banen, le roi Dika Mpondo Akwa, les David Mouanguê Meeton, son fils le lieutenant Toubé Meeton et tous les autres comme Hapi des Bana, le Chef Baham, le chef Basu et le savant sultan Njoya et d’autres encore, ne doivent pas être vaines. Bien au contraire, leurs luttes constituent le socle sinon la fondation solide sur laquelle la Nation camerounaise a été bâtie. Inspirons-nous donc de leur vaillance et de leur patriotisme pour conduire notre pays vers des lendemains meilleurs.
Je partage l’opinion de Suzanne Kala Lobé qui voudrait que les Camerounais de l’extérieur soient non pas une force déstabilisatrice mais une force d’idées novatrices et de réflexions positives dans l’intérêt bien compris de tous les Camerounais et du Cameroun. Ne tombons pas, là aussi, dans le piège des schémas qui veulent que l’on envoie des mercenaires remplacer celui qui ne fait plus l’affaire de certains lobbies d’affaires ou d’Etat, par un autre personnage plus docile qui promet allégeance et souplesse à ces forces tapies dans l’ombre, au détriment de la majorité du peuple qui aspire à la paix, à la sécurité et au bien-être. L’interpellation vigoureuse de la rédactrice des deux lettres a, à mon sens, l’avantage de nous appeler à une remise en question de nos certitudes trompeuses et d’éveiller en nous la vraie raison patriotique, que l’on soit à l’intérieur comme à l’extérieur du Cameroun. L’avenir de notre cher pays, sa stabilité et sa prospérité n’en valent-ils pas la chandelle?
