Pas de visites, pas de repas! Les gardés à vue sont alimentés par leurs proches. Parfois même par leurs gardiens.
18h à la Police judiciaire (Pj) de Bonanjo à Douala: c’est l’heure de la visite. Chantal Malontio, la quarantaine, arrive au poste de garde à vue, un panier garni de nourriture en mains. Chefs, je suis venue apporter le repas du soir à mon fils annonce-t-elle aux policiers de garde. Assis derrière une table, l’un des hommes en tenue lui demande de décliner le nom de son fils et de goûter les mets. La quadragénaire s’exécute. Le policier hurle alors en direction des cellules le nom du suspect visité. Des prévenus répètent le nom, en écho. Le jeune homme apparaît derrière les barreaux, s’entretient avec sa mère, avant de saisir les deux bols qui contiennent du riz et une sauce qu’il va manger au fond de sa cellule. Dix minutes après, les bols sont remis à Chantal, entièrement vides. Comme elle, quelques proches des gardés à vue se sont succédés, ce soir là, au poste de garde à vue de la Police judiciaire, avec des sacs plastique remplis de pain et d’eau en sachets. A Douala, les familles et les amis des gardés à vue sont responsables de leur alimentation. L’État n’a pas alloué un budget pour les repas, explique Ibrahima Iya, le chef de la division régionale de la Police judiciaire du Littoral. Une information confirmée par d’autres responsables des commissariats et des gendarmeries de la ville. C’est un manquement à l’Alinéa 4 de l’article 122 du code de procédure pénal qui stipule: L’État assure l’alimentation des personnes gardées à vue.
Solidaires dans le malheur
Les repas sont apportés pendant les heures de visites, trois fois par jour, explique le responsable de la police judiciaire. Les couverts de table, les assiettes et les verres cassables sont interdits. Nous voulons éviter que des détenus se serve de ces objets pour blesser ou tuer, précise le policier. Ceux qui ne reçoivent pas de visite bénéficient souvent de la générosité de leurs compagnons de cellules. En février dernier, à la Brigade de Gendarmerie de Ndoungué à Douala, Léon Youassi a pu prendre ainsi son petit déjeuner et son déjeuner. Ses parents ne lui ayant rendu visite que le lendemain de son arrestation. Il existe une solidarité dans le malheur entre les prévenus. Ils se partagent la nourriture qu’on leur apporte, explique Ibrahima Iya. Les policiers nomment un chef de cellule, qui organise la distribution explique, quant à lui, Jonathan Tchinda, un ancien gardé à vue à la Pj. Quand ils sont nombreux dans la cellule, les prévenus demandent à leurs familles d’apporter un repas pour deux au moins. Quand les parents viennent pour la première fois, ils n’apportent qu’un seul repas. Nous leur expliquons qu’ils doivent venir avec plus de nourriture afin de la partager, ajoute t’il. Cette solidarité n’existe pas toujours. Si quelqu’un ne veut pas partager, nous ne l’y obligeons pas, affirme un chef de la brigade de gendarmerie d’Akwa Sud. Les responsables des lieux de garde à vue puisent alors dans leurs ressources personnelles pour acheter des aliments aux prévenus.
Se passer de repas
Le matin, quand nous n’avions pas pris le petit-déjeuner, on cognait fort dès qu’on entendait la voix du Commandant. Il envoyait quelqu’un nous acheter des beignets et de l’eau en sachets, se souvient Léon Youassi. Quand les visiteurs ne viennent pas, les suspects se passent de repas. C’est souvent le cas quand ils sont nombreux, notamment à la Pj. Quand nous avons plus de 50 suspects, le commandant ne peut pas leur acheter à manger au risque d’épuiser tout son salaire, explique un policier. Certains jours, le commandant envoie un gendarme nous dire qu’il n’a pas d’argent. On vit alors dans l’espoir d’une visite., souligne, fataliste, Léon.
