«Le profil des dirigeants du Cameroun depuis 1960 démontre l’existence d’une dynastie administrative»
Le Cameroun est une poudrière tribale, dont les fondements sont dans l’appareil de l’Etat. En effet, la gouvernance publique est le semencier de ce phénomène au Cameroun. De fait, le «tribalisme d’Etat» est vraisemblablement l’un des leviers du système de gestion et de distribution des allocations de survie de l’Etat camerounais. Tout le monde en parle sous le manteau, mais personne ne prend le courage de dénoncer avec la dernière énergie. Les pouvoirs publics au Cameroun préfèrent y voir un facteur de paix et de progrès. Pourtant, les tensions ethniques, les frustrations observables de part et d’autre prouvent que le Cameroun serait un havre de paix dans les apparences et les discours.
Le «tribalisme d’Etat» au Cameroun a pour cache- sexe l’équilibre régional Celui-ci excelle dans la répartition des places au sein des administrations publiques. L’attribution des postes ministériels est (aussi) fonction du ressort territorial. Pour faire politiquement correct, on parle d’équilibre régional. Certains postes sont réservés à certaines tribus depuis plus de dix ans. Par exemple, l’Extrême – Nord, à travers Ayang Luc, «a confisqué depuis des lustres» le Conseil économique et social. Le grand nord contrôle aussi depuis une petite éternité le département ministériel de l’élevage, des pêches et des industries animales. Le ministère de la fonction publique et de la réforme administrative est réservé aux ressortissants de l’Est depuis Benjamin Amama en passant par Emmanuel Bonde jusqu’à Ange Michel Angouin. Parfois on va remplacer son «frère» de la même localité dans le même ministère. Emmanuel Bonde prend la place de Badel Ndanga Ndinga aux mines. Jacqueline Koung à Bessike hérite du strapontin laissé par Jean Baptiste Béléoken. Celui-ci avait remplacé dans le même ministère son frère Anong à Bédime. Au-delà des équilibres paroissiaux, certaines ethnies sont choyées dans la répartition du gâteau national. Les Bulus, par exemple, occupent systématiquement certains postes stratégiques dans l’appareil de l’Etat, à tel point que les autres «tribus» du sud viennent de faire entendre tout haut leur mal être. Les Bamileké ont pour chasse gardée certaines chambres consulaires, à l’instar de la Chambre de commerce, des mines et des industries. Les Nanga Ebogo» montent aussi en puissance. La Première dame est leur piston. Pas étonnant de retrouver au secrétariat général de la présidence de la République Ferdinand Ngoh Ngoh. Un frère de Messengue Avom, qui selon certaines indiscrétions, devait occuper ce poste. Il a perdu son maroquin au gouvernement parce qu’il n’a pas gardé son calme face aux accusations de la Conac. Le leadership a estimé qu’il bavardait beaucoup.
Le domaine du pétrole au Cameroun est la chasse gardée des Douala et des bassa. A la Sonara, après Bernard Eding, c’est Charles Metouck. A la SNH, l’inamovible Adoldphe Moudiki ne recrute que ses frères Douala. Et même à Tradex, vous trouverez les Moudiki, mais surtout un Directeur Général nommé Peryal Nyodog, digne fils de Pouma dans la Sanaga Maritime. Dans certains ministères, le titulaire amène après sa nomination les ressortissants de chez lui. Le leadership se joue de ces clivages pour opposer non seulement les tribus entre elles, mais aussi les élites intérieures, les unes contre les autres. Vous avez dit neutralisation! Le profil des dirigeants du Cameroun depuis 1960 démontre l’existence d’une dynastie administrative. Certains noms reviennent depuis 1960. Biya, Djoumessi, Muna, Monthe, Talba Malla,
Yang, Ahidjo Badjika. La liste n’est pas exhaustive. Le leadership s’appuie ainsi sur des «grandes familles» pour gouverner. A se demander si les autres ne sont que des cancres.

Les conséquences
Le système actuel crée et entretient ces clivages ethnico-élitistes. Dans la constitution du Cameroun, on trouve des expressions telles que autochtones et allogènes pour distinguer les camerounais entre -eux. Ce qui suscite toujours la controverse dans l’opinion publique. Mais, les pouvoirs publics n’en disent rien. A constater que cela maintient le système en vie pendant une cinquante d’années déjà. Et ça lui réussit. Toutefois, un questionnement s’impose: le prétendu prétexte de l’équilibre régional ne constitue-t-il pas un frein important au développement de notre pays? La tribu érigée en mode de gestion ne créé-telle pas plus de problèmes qu’elle n’en résout. L’unité nationale ne prend elle pas un coup sur les moyen et long termes? Est-il normal que 50 ans après l’indépendance, on indexe encore les Betis, les
Bamilékés.
A l’observation, le Cameroun marcherait vers des situations de confusion demain. Les méthodes de gouvernance en cours contribuent à diviser les camerounais qu’à les unir, à les appauvrir qu’à les enrichir. L’histoire rappelle que tous les gouvernements qui ont érigé le tribalisme en mode de gestion politique ont conduit leur pays à des frustrations ayant finalement abouti à des rebellions, aux coups d’Etat. Au Rwanda de Juvénal Habyarimana, le tribalisme était le système politique par excellence. Cela ne gênait personne. Les tutsi, victimes de ce tribalisme, s’organisaient pour renverser la tendance. La suite est connue. En côte d’Ivoire, le vieux Houphouët Boigny avait toujours utilisé le tribalisme pour gouverner. Tous les ivoiriens le savaient, mais personne n’osait dénoncer cela. Et on parlait de paix en Côte d’Ivoire. On connaît la suite. La Côte d’Ivoire parle au Cameroun.
