Pierre Horeau raconte dans ce reportage, la course de l’espoir à laquelle il a pris part cette année
Au pied du Char des Dieux
Nous sommes arrivés sur Buéa sous des pluies diluviennes. Quelle déception ce serait s’il faisait un tel temps le jour de la course. Il pleut des cordes, c’est impressionnant. Nous entendons à la radio des commentaires sur la cérémonie d’ouverture de la course, quelques banderoles mentionnent l’évènement. Nous ne passerons malheureusement pas par le stade. pour finalement rejoindre l’hôtel après quelques aléas. Le temps passe vite. Nous dinons d’un excellent repas (la cuisine camerounaise est divine). Monsieur Athanase Oloko, responsable technique de la course, nous apporte nos dossards. Il reste à passer une bonne et courte nuit. puis ce sera l’épreuve tant attendue. A 5h45, nous partons pours le stade de Molyko. Nous avalons deux petits pains au Nutela (pêché gourmand de Niko), car il n’y a pas de petit déjeuner de prévu. Tout est un peu à l’arrache. Nous voilà désormais dans la tribune officielle. Petite interview en anglais pour une radio. Nous rencontrons quelques coureurs étrangers. puis nous sommes appelés pour la remise du bracelet vert de course.
Ensuite, petit footing de chauffe. Le temps est radieux, avec un beau ciel bleu. Quelle chance! Beaucoup de coureurs camerounais nous sollicitent pour être pris en photo avec des blancs. Nous nous y prêtons volontiers. C’est vraiment une ambiance particulière. Je regarde avec attentions les chaussures des coureurs locaux. Sandales et vieilles chaussures résument l’équipement minimum des prétendants au Mont Cameroun. Nous nous sentons presque ridicules avec nos sacs à dos et nos chaussures de trail. Le Ministre des Sports et de l’Education Sportive passe devant la ligne de départ. La fanfare militaire joue l’hymne national. Nous échangeons avec un français qui était entré en contact avec Niko via son blog. Bruno nous donne de multiples indications sur le profil du parcours. Il nous fait partager sa reconnaissance du terrain. Très sympa. d’autant que nous n’avons pu faire aucun repérage, ni acclimatation, étant arrivés au dernier moment au Cameroun suite au changement de date. Devant nous, le Mont Cameroun. Nous sommes si près que nous ne voyons pas le sommet. La montagne est vraiment imposante. Nous y sommes vraiment. Vivre cette course parmi des compétiteurs africains est pour moi une expérience ultime. Ici, il n’y a pas tout ces « kéké » qu’on retrouve dans les pages des magazines de trail. Les coureurs camerounais forcent le respect par leur modestie et leur authenticité. Cette journée sera faite de découverte, à chaque instant.
Sur le bord de la Canopée
A 7h00, le départ de la course est donné. Un moment indescriptible. Nous quittons le stade pour filer vers la route. Nous traversons un marché, où les échoppes des marchands sont installées de part et autres. C’est jubilatoire. Le départ est rapide. On se croirait parti pour un 10 km. Bien vite, nous voilà sur une large route. De part et d’autre, un public venu en masse est là pour encourager les compétiteurs. Je n’ai jamais vécu une telle expérience. C’est grisant. Comme nous portons tous ce tee-shirt du sponsor « matinal », c’est une vraie marée humaine qui prend la direction du Mont Cameroun. Nous avons droit à 7 km de route. Et ça monte dès le début. Les enfants sourient et irradient de bonheur. « Courage, courage ». La région de Buéa est anglophone. Cette course fédère toute la population. Les blancs que nous sommes sont souvent photographiés. On nous encourage avec enthousiasme. De jeunes femmes s’esclaffent et nous montent du doigt.
Avec Niko, nous avançons prudemment. Nous sommes même dans les derniers ! Au bout de quelques kilomètres, nous sommes déjà remontés par des tee-shirts verts : les juniors et les vétérans partis dernière nous. Mais nous voulons jouer la prudence. Nous voilà à un premier poste de ravitaillement, où l’eau est proposée en abondance. Et toujours ces encouragements nombreux. La clameur et la générosité de ce public m’impressionnent. C’est magique. J’ai la sensation de vivre une journée unique. Je me préserve pour profiter de cette course tant attendue et rêvée. Au bout d’une demi-heure, je marche un peu pour récupérer. A ce moment là, un coureur camerounais me saisit la main et m’entraine dans sa course. Je trouve le moment touchant et symbolique. Un noir et un blanc, main dans la main, dans cette course de l’espoir. Je comprendrai plus tard que sa démarche était intéressée : il n’avait pas le fameux bracelet. Du coup, en étant avec moi, il espérait passer les contrôles. Enfin, cela n’a rien enlevé à la symbolique de ce geste. La route continue ainsi jusqu’à l’ancienne prison, sur les hauteurs de Buéa. Là, c’est le deuxième ravitaillement. Place ensuite à l’entrée dans la forêt. Une magnifique forêt tropicale, qui me rappelle par moment la Réunion. Je profite pleinement de cet environnement. Nous allons en direction du premier refuge, à 1875 m d’altitude. C’est une forêt dense, avec de multiples essences de végétaux. Le chemin se révèle glissant, il faut être vigilant. Des coureurs descendent déjà du refuge, les tee-shirts verts. Je suis scotché par leur aptitude technique. Ils volent littéralement. Et quand on voit comment ils sont chaussés. ça mérite le respect. D’ailleurs, nous les encourageons de nos « bravos ».

La savane africaine et l’arbre magique
Bientôt, me voilà arrivé au premier refuge. 1200 m de gravi. Nous sommes bientôt à la sortie de la forêt. Je suis toujours dans les pas de Niko, qui m’attend régulièrement. Nous avons prévu de faire la course ensemble, pour profiter pleinement de cette aventure partagée. Mais je sens que je ne suis pas au mieux. Je suis dans un jour « sans ». Un sentiment de grosse fatigue. Des jambes en coton. Pas de force. Pourtant, je m’alimente. A ce moment là, je pense que je vais me refaire la cerise plus tard. A la sortie de la forêt, j’aperçois devant nous un mur impressionnant. Dans la savane, c’est une montée directe droit le pentu (parfois à près de 55 % !). Les coureurs sont devant nous, on dirait une fourmilière. Ça me stoppe net et mon moral en prend un coup. Je ne m’attendais pas à ça ! On en rigole sur le moment avec Niko, qui me dit que c’est au moins trois fois la venta negra sur la Rhune (une référence pour ceux qui connaissent le Pays Basque).
Bon désormais, faut pas flancher et y aller. Nous repartons donc dans cette pente au degré impressionnant. Au bout de 10 mn, force est de reconnaître que les sensations ne sont pas là. Niko me dit qu’on n’est pas là pour ramasser le thé. C’est vrai que notre rythme n’est pas terrible. Quel dommage de connaître une telle déconvenue. J’encourage Niko à poursuivre seul. Qu’il aille au sommet. et moi je monte comme je peux. Mon Niko souhaite m’accompagner. Du coup, il m’attend régulièrement. J’en suis presque gêné. Ce n’est pas un plan que nous avions envisagé. Je craignais plutôt que Niko ait des douleurs à son mollet. et voilà que c’est moi qui ne suis pas à la hauteur de ce Mont Cameroun. C’est ainsi. Nous ne sommes pas des machines, mais des êtres humains. Et nous avons nos forces et nos faiblesses. L’essentiel, pour moi, est d’atteindre ce sommet. J’avance donc, en profitant du magnifique panorama sur le Golfe de Guinée. Nous voyons les plages de Limbé et l’Océan Atlantique. C’est de toute beauté. Sur le parcours, j’échange avec quelques coureurs. Les militaires sont impliqués dans l’organisation et nous adressent des encouragements. Un d’eux me dit que l’« arbre magique » sur la crête signifie la fin de la savane. et bientôt le deuxième refuge. Cet arbre magique est tout est symbole. Je suis heureux lorsque je l’atteints.
Vers le refuge de la mort
Bientôt, les premiers coureurs (les relayeurs) descendent. C’est absolument impressionnant de voir leur agilité. Ils sont suivis rapidement par le premier de la course, qui est un champion toute catégorie. Quand je pense qu’ils reviennent déjà du sommet. et que moi je n’en suis que là. Ces athlètes méritent vraiment tout notre respect. Cette course est vraiment d’une difficulté extrême. et ces coureurs camerounais se donnent à fond. Faut dire que la prime de 3 millions de FCFA offerte au vainqueur représente un pactole énorme pour eux. A 2900 m d’altitude, c’est le deuxième refuge. Nicolas est là. Il m’attend. Je vois sur son visage une inquiétude. Il me fait remarquer que je n’avance pas. Il a raison. Je lui dis que ça ne va pas, mais que je fais avec. Il craint que je fasse un malaise. Je lui dis que je me connais très bien. J’ai un peu mal à la tête et envie de dormir, mais aucune nausée. Il me dit alors que le gars du refuge lui a parlé d’une barrière horaire à 11h00 au refuge numéro 3, le refuge de la mort. C’est une découverte pour nous, car nous n’avons pas été informés de barrière horaire sur l’épreuve.
Je remarque alors que de nombreux coureurs sont en train de faire demi-tour. Ils disent être fatigués. Ça me surprend un peu, mais sans plus. Je dis à Niko de filer, sans m’attendre, pour qu’il puisse pointer au sommet du Mont Cameroun. Niko n’a encore jamais fait de 4000 m, ce sera son premier. Moi, je me dis que tant pis si je n’ai pas le bracelet de passage au sommet. Pour moi, l’essentiel est de l’atteindre, même si je ne suis pas dans les délais. Nous voilà au dessus de 3000 m. Ce n’est vraiment pas comparable à nos montagnes. Buéa a l’air d’être si proche. et pourtant nous avons déjà avalé de nombreux mètres ! Je continue ma progression au ralenti. Quelle frustration de ne pas être bien, mais je me dis que ça va le faire, que je vais l’atteindre ce sommet. En plus, il fait très beau et j’ai beaucoup de temps devant moi. Je n’ai que des idées positives à l’esprit et ça m’aide bien. Je repense à notre arrivée la veille, à toutes ces anecdotes à raconter aux proches et amis. Je rencontre de plus en plus de coureurs qui redescendent. Nombreux me disent de faire demi-tour. Je leur dis que je continue. Un militaire me dit en anglais que le refuge de la mort (troisième refuge) est fermé, et qu’il faut redescendre, que c’est la fin. Je fais fi de ces avis, car pour moi, c’est le sommet qui prime. D’ailleurs, un coureurs de Bergerac a fait la course l’an passé jusqu’au sommet, sans être pointé, car les pointeurs étaient partis. Je me dis que je ferai pareil.
A l’antécime du Volcan

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