Par le RACE
Douala, le 21 mai 2014
A l’attention de
Mesdames et Messieurs
Les Parlementaires
Honorables Députés et Sénateurs.
Objet : Requête en vue de la constitution d’une commission d’enquête parlementaire sur les activités du fonds d’investissement privé britannique ACTIS.
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Nous avons l’honneur de vous saisir au nom des consommateurs, de la présente requête pour la constitution d’une commission d’enquête parlementaire sur les activités du fonds d’investissement privé britannique ACTIS.
En effet, comme vous le savez certainement, le 07 novembre 2013, le groupe américain AES Corporation a annoncé la cession de l’intégralité de ses parts dans toutes ses filiales camerounaises au profit du fonds ACTIS. Si pour des raisons évidentes personne ne regrette le départ des Américains, en revanche, les consommateurs et l’ensemble des citoyens camerounais ont le sentiment d’avoir été floués. Et pour cause, après avoir acquis la défunte SONEL en juillet 2001 pour 35 milliards de FCFA et nonobstant les délestages sauvages qu’il nous fait subir depuis cette date jusqu’aujourd’hui, le groupe AES Corporation a affirmé sans vergogne avoir cédé ce patrimoine national à plus de 110 milliards de FCFA, sans compter les dizaines de milliards de FCFA rapatriés chaque année aux Etats-Unis, à travers des montages comptables frauduleux.
Toutefois, le plus affligeant pour les consommateurs n’est pas tant l’ampleur de ce hold-up affublé d’oripeaux juridiques perpétré par AES Corporation, mais bien l’attitude déconcertante du gouvernement de la République, qui s’obstine visiblement à cautionner cette fumisterie. Pourtant, en se référant au contrat de concession, plusieurs éléments factuels probants peuvent parfaitement justifier une action rédhibitoire des pouvoirs publics sur cette transaction. Par ailleurs, à la vive appréhension exprimée sur cette affaire par les principales forces sociales liées au secteur de l’électricité, s’ajoute maintenant l’inquiétude sur les desseins industriels et les compétences techniques du futur « partenaire stratégique » de l’Etat devant remplacer AES Corporation.
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Parallèlement à sa « non objection » annoncée le 17 décembre 2013, le gouvernement a commis une mission de due diligence d’experts en Ouganda auprès de la société UMEME Holding Limited, alors encore détenue par le fonds ACTIS, question de réunir d’ultimes informations avant de statuer définitivement sur ce dossier. Le rapport de cette mission conduite par le Ministère de l’Eau et de l’Energie a été transmis le 28 février 2014 au Premier Ministre – nous vous en mettons une copie en pièce jointe à ce message. Le problème est que ce rapport hyper favorable au fonds ACTIS et sur la base duquel le gouvernement s’apprête à rendre sa décision définitive, est totalement contredit par d’autres informations plus alarmantes que nous avons recueillies auprès de nos confrères consuméristes ougandais.
En effet, il ressort de ces échanges que depuis 2005, le fonds ACTIS est effectivement concessionnaire d’une bonne partie du service public de l’électricité dans ce pays, à travers la société UMEME Ltd. Mais, comme au Cameroun avec AES Corporation et contrairement à ce qu’affirme le rapport du MINEE, le fonds ACTIS a été incapable d’améliorer le service de l’électricité en Ouganda depuis une décennie. Selon nos confrères, ce pays de plus de 34 millions d’habitants a l’un des taux de couverture électrique les plus faible du monde (à peine 12%) ; pire, seulement 5% des citadins ougandais ont accès à l’électricité et moins de 3% de ceux vivant dans les zones rurales. Comme au Cameroun, les délestages font partie du quotidien des usagers là-bas, pendant que les tarifs augmentent continuellement. Comme au Cameroun, les consommateurs ougandais sont confrontés à l’autisme et à la partialité de ERA (Electricity Regulatory Authority), qui est l’équivalent local de l’ARSEL. Enfin, à l’instar d’AES Corporation, les résultats comptables reluisants de cette entreprise contrastent nettement avec la qualité de ses prestations. En décembre dernier, l’incompétence de la société UMEME Ltd a conduit le Parlement ougandais à dénoncer et à demander la rupture de sa concession avec l’Etat d’Ouganda. Empocher
Face à ce bilan notoirement négatif et à la grogne du peuple ougandais, le fonds ACTIS a annoncé le 19 mai 2014 son départ de ce pays, en cédant l’essentiel des 60,08% du capital de la société UMEME Ltd qu’il détenait encore (Cf. Agence de presse Reuters au lien internet : http://www.reuters.com/article/2014/05/19/uganda-umeme-idUSL6N0O538920140519), empochant au passage l’équivalent de 43 milliards de FCFA. Voila de façon laconique, la situation du fonds ACTIS en Ouganda.
Pourtant, vraisemblablement seuls ces 02 acteurs du secteur électrique ougandais (UMEME Holding Limited et ERA) étaient les interlocuteurs privilégiés des « experts missionnaires » du MINEE durant leur séjour est-africain. Cette mission a délibérément choisi d’écouter un seul son de cloche en ignorant soigneusement de consulter la Représentation nationale (le Parlement) et la société civile de ce pays. D’où ce rapport étonnamment élogieux ayant inspiré le satisfécit du MINEE qui s’empresse maintenant à le faire avaliser par le gouvernement, au risque de sacrifier l’intérêt national.
Ce sombre tableau de l’activité du fonds ACTIS en Ouganda crée une suspicion légitime des consommateurs d’énergie et de l’immense majorité des Camerounais sur le choix de cet opérateur. Mais surtout, il suscite plusieurs interrogations : Pourquoi le fonds ACTIS part-il si précipitamment de l’Ouganda et délocalise en vitesse au Cameroun ? Que se cache-t-il réellement derrière ce deal avec AES Corporation ? Ayant manifestement échoué à redresser le secteur de l’énergie électrique ougandais, le fonds ACTIS vient-il vraiment « . investir dans le développement des infrastructures électriques du Cameroun. », comme le prétend dans une communication M. Andrés GLUSKI, Président Directeur Général du groupe AES Corporation ?
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Depuis 13 ans, toutes les analyses portant sur notre secteur d’électricité se rejoignent sur un point : le mauvais choix de l’adjudicataire opéré en 2001 à l’issue du processus de privatisation, est la principale cause de la crise énergétique chronique que traverse le Cameroun. Le bénéficiaire de la concession – le groupe AES Corporation – n’ayant aucune compétence en la matière et uniquement obnubilé par la recherche d’un maximum de profit. Un simple bon sens nous oblige aujourd’hui à tirer toutes les leçons de ce récent passé douloureux. Les informations susmentionnées mettant en exergue les agissements pour le moins louches du fonds ACTIS en Ouganda, devraient inspirer la plus grande prudence aux autorités en charges du secteur de l’électricité. Tout démontre que le projet de cet opérateur pour le Cameroun est plus spécieux et spéculatif qu’industriel.
Compte tenu des doutes persistants sur les véritables intentions du fonds britannique ACTIS, de l’angoisse grandissante au sein de l’opinion publique et surtout du péril encouru par ce secteur névralgique de l’économie nationale, le Réseau associatif des consommateurs de l’énergie (RACE) a jugé nécessaire d’interpeler et de saisir formellement la Représentation nationale.
C’est ainsi qu’en vertu des prérogatives constitutionnelles dévolues au Parlement (Assemblée nationale et Sénat) sur le contrôle de l’action gouvernementale, nous demandons la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire sur ce dossier, conformément à l’article 35 alinéa 1 de la loi N°96-06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972.
Cette commission d’enquête parlementaire aura évidemment pour mission de recueillir de nouveaux éléments d’information suffisamment crédibles sur les activités et le mode de gestion du fonds britannique ACTIS dans le monde, particulièrement en Ouganda, mais aussi en Tanzanie et en Afrique du Sud, où cette entreprise est également présente.
Les conclusions de ce travail d’investigation éminemment important du Parlement devront absolument être prises en compte par le gouvernement avant de décider. Il ne s’agit pas de contrarier l’exécutif, mais d’éviter que la puissance publique ne retombe dans les mêmes travers qu’en juillet 2001.
Nous profitons d’ailleurs de cette singulière occasion pour vous exhorter à faire acte de patriotisme en légiférant au plus vite dans le sens de protéger les intérêts stratégiques vitaux de notre pays contre les investissements étrangers douteux, notamment dans les secteurs de souveraineté que sont l’énergie, l’eau, les télécommunications et la sécurité nationale. Le Parlement doit systématiquement donner son avis sur toutes les décisions économiques concernant ces secteurs d’activité.
Après l’échec patent du partenariat public-privé Etat du Cameroun/AES Corporation, toute privatisation ne devrait plus dépasser le tiers (1/3) du capital des entreprises de ces secteurs et priorité devant être donnée aux investisseurs nationaux.
Nous n’avons pas le droit de laisser le Cameroun devenir une vulgaire « économie casino » où viendraient jouer des prédateurs sans foi ni loi, n’ayant pour seules mises que des promesses fallacieuses et caressant l’espoir d’empocher au bout de quelques années un « jackpot » se chiffrant en plusieurs dizaines de milliards de FCFA.
Dans l’attente, veuillez agréer, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, l’expression de notre profonde considération./.
Pour le Bureau exécutif du RACE et par délégation,
Jean Baudelaire BELENGUE, Secrétaire général adjoint. Tél: 99 13 99 17
Pièces jointes:
-Copies du rapport et de la note du MINEE au Premier ministre
[b Ampliations :
– Présidence de la République
– Services du Premier Ministre
– Associations des consommateurs.