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Didier Oti, un homme qui a le goût de l’effort. Interview

Entre l'enseignement et le journalisme, Didier Oti est devenu un expert en communication Pour ceux qui ne vous connaissent pas,…

Entre l’enseignement et le journalisme, Didier Oti est devenu un expert en communication

Pour ceux qui ne vous connaissent pas, qui êtes-vous?
Je suis originaire de l’Est du Cameroun, mais j’y ai passé peu de temps. J’ai passé une partie de mon enfance à Koutaba, puisque mon père était dans l’armée, à Douala, à Bertoua, et surtout à Makak, où j’ai été élève au Collège Sacré-C ur de Makak, un collège missionnaire catholique créé et dirigé par des Frères canadiens. C’est à ce moment que je me suis familiarisé avec quelques aspects culturels, géographiques et historiques canadiens. Mon passage dans cette institution a été déterminant, tant dans mon futur parcours académique que dans ma vie de tous les jours. A Makak, les maîtres mots étaient: Discipline et émulation. J’y ai acquis le réflexe du dépassement de soi, le goût des défis académiques et l’autonomie. Ces qualités m’ont servi lorsque je suis entré à l’École de journalisme (Ecole Supérieure des Sciences Techniques de l’Information et de la Communication). Petite parenthèse, mon entrée à l’école de journalisme n’était pas planifiée. En fait, en Terminale A4 (options Lettres et Philosophie), mon intention était, après mon BAC, d’aller en Faculté de Lettres et étudier en philosophie, une matière que j’aimais particulièrement. Mais c’est justement mon professeur de Philosophie au Lycée polyvalent de Bonabéri (Douala) qui me l’a déconseillé. Il m’a plutôt suggéré de me présenter à un concours d’entrée dans une école supérieure quelconque, persuadé que je réussirais. Selon lui, m’inscrire en fac comme tout le monde aurait été un gâchis. Tout est parti de là. Aussitôt, j’ai commencé à me renseigner sur les grandes écoles. Les seules dont les concours étaient encore ouverts étaient l’École supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC) et l’École supérieure des sciences et techniques de l’information (ESSTI). Et c’est passant les épreuves de l’ESSTI que j’ai compris que ma place était dans le journalisme. J’ai donc opté pour l’ESSTI au détriment de l’ESSEC. J’y est étudié le journalisme pendant 3 ans, option télévision. C’était clair dans ma tête, je voulais être un présentateur à la télé. D’ailleurs, lors des stages en cursus qui avaient lieu en 3ème année à l’étranger, je passais à mon temps à observer les présentateurs vedettes des grandes chaînes en France, aux Etats-Unis et même ici au Canada.

Est-ce que vous pouvez nous parler de votre parcours et notamment votre passage à la CRTV?
Étant encore à l’École de journalisme (ESSTI), j’avais fait un premier stage à la télévision camerounaise qui s’appelait alors Cameroon Television (CTV). Je faisais des synthèses des nouvelles internationales, à partir d’images reçues de différentes agences. On n’entendait que ma voix, mais on ne me voyait jamais. Certaines personnes pensaient, sans doute à cause de mon nom de famille plutôt rare au Cameroun, et du fait que je m’occupais de la page étrangère, que je n’étais pas un camerounais. Au point qu’à la fin du stage, à la demande du Directeur général de l’époque et en compagnie de mon alter ego anglophone, Patrick Sianné qui s’occupait de la page étrangère en Anglais, je suis passé sur le plateau du journal de 20h30, présenté par Denise Époté et Éric Chinje, juste pour qu’on me voie. Après ce stage, je suis retourné à l’École. Et un an plus tard, après l’École, et quelques mois passés au ministère de la communication pour ce qu’on appelait à l’école «stage d’imprégnation», je suis entré à la télévision, devenue Cameroon Radiotelevision (CRTV). Les choses sont allées très vite. On m’a tout de suite confié la présentation du bulletin des nouvelles de mi-journée du dimanche en français. Quelque temps après, j’étais l’un des présentateurs du bulletin de nouvelles de fin de soirée «CRTV Dernière». Mais l’émission par laquelle j’ai été le plus connu au Cameroun était Actualités Hebdo. Une émission présentée le dimanche soir et au cours de laquelle j’interviewais généralement les personnalités qui avaient, d’une façon ou d’une autre, marqué l’actualité de la semaine. Malgré l’impertinence de mes questions et la fougue dont je faisais preuve, les personnalités politiques voulaient toutes passer à cette émission. J’ai aussi commencé à faire l’objet de toutes sortes de pression, et d’être entraîné dans des intrigues politiciennes qui n’avaient aucune importance pour le jeune homme à peine sorti de l’adolescence que j’étais. Il s’est aussi passé une chose assez ironique. Alors qu’à l’école je m’insurgeais contre la nomination des journalistes à des postes de responsabilité, puisque, disais-je, un journalisme est avant tout formé pour travailler dans l’information et la communication; le sort a voulu que quelques mois à peine après mon arrivée à la CRTV, je sois nommé Rédacteur en chef adjoint de langue française. Une nomination que j’ai tenté, en vain, de décourager. Je me suis donc retrouvé à ce poste. Par la suite, j’ai occupé d’autres fonctions de chef de service adjoint, jusqu’à mon départ pour le Canada. D’ailleurs, c’était clair pour moi que je ne travaillerais que quelques années, ensuite je retournerais à l’université pour faire une maîtrise, et pourquoi pas, un doctorat avant d’exercer à nouveau dans le vaste champ de la communication.

Quel est votre regard aujourd’hui sur cette télévision et les médias en général au Cameroun?
Étant loin du Cameroun, ma consommation des médias camerounais est limitée. D’après ce que je peux voir sur Internet, le paysage médiatique camerounais s’est beaucoup enrichi. Plus de titres en presse écrite, plus des radios et des télévisions privées, une présence accrue sur Internet. Ce qui n’existait pas lorsque j’y travaillais. De plus, la presse camerounaise semble avoir des préoccupations plus diversifiées en ce moment. Dans le milieu des années 90, c’était surtout la politique qui était le centre d’intérêt des journaux privés. Le ton était aussi assez dur. J’ai l’impression que les choses ont changé. Mais il semble toujours y avoir cette vieille opposition entre médias privés et médias publics. Les premiers plus critiques, et les seconds (notamment la télévision) plus complaisants, voire, soumis à l’autorité politique.

Comment s’est passé votre installation au Canada? Est-ce vous avez des anecdotes pour nos lecteurs?
Je suis au Canada depuis une quinzaine d’années maintenant. Mon intégration s’est bien déroulée. Je suis venu ici comme étudiant, sans intention de rester. J’avais une bourse pour faire une maîtrise en communication. Par la suite, j’ai fait un doctorat, toujours en communication. En prolongeant mes études, j’espérais d’année en année que les choses évolueraient sur le terrain (climat de travail plus sein pour les journalistes). Alors, je repoussais mon retour. Après mon doctorat, j’ai commencé à enseigner à l’Université du Québec à Montréal. Mais la pratique journalistique me manquait. J’ai donc envoyé mon CV à Radio-Canada. J’ai passé un examen, et j’ai été embauché à la Première chaîne Radio. Je suis ensuite passé par le service des Nouveaux médias (RDI). Et c’est le doyen des journalistes africains de Radio-Canada, Ousseynou Diop, qui lui était cadre à Radio Canada International, qui m’a fait faire le saut vers RCI, en 2000. Pour le passionné de télévision que j’ai toujours été, je découvrais la radio, un média plus léger, plus pratique, mais plus exigeant puisqu’on n’a pas l’image pour supporter la voix. En plus, à RCI on s’adresse à un public plus large, plus varié, ce qui en rajoute au défi. Anecdote: Quand je suis venu au Canada, venant de France, au moment où l’avion est sur le point d’atterrir, sous un soleil radieux, on nous encourage à nous habiller chaudement, parce qu’il fait froid à Montréal. Peu convaincu de la pertinence de la recommandation parce que je voyais des oiseux s’amuser dans le ciel, et le sol était aussi sec que celui que j’avais quitté 6 heures plus tôt à Paris, les voitures circulaient sur des voies bien dégagées en cette fin de mois d’août, eh bien, je n’ai rien fait. Pourtant, tous les passagers dans l’avion s’activaient à mettre leurs manteaux. J’ai donc conservé mon veston léger, puisque le soleil était une indication qu’il faisait chaud ou du moins, pas froid. Tout se passe bien à l’intérieur. Je passe par les douanes et l’immigration, et au moment de sortir du bâtiment pour entrer dans l’autobus stationné juste devant, je suis frappé par un vent froid qui me laisse sans voix. Lorsque je me suis assis dans l’autobus, mes vêtements étaient aussi froids qu’un élément sorti du réfrigérateur. J’étais sous le choc. Pour la première fois de ma vie, j’ai compris que soleil et chaleur n’allaient pas toujours de pair.

Au regard de vos responsabilités à Radio Canada, qu’avez-vous ressenti lorsqu’on vous y a proposé un poste?
Ça m’a fait plaisir, j’aime relever les défis. Et à l’époque, pour moi, il n’y avait pas meilleure situation stimulante que celle-là. Puisque mon intention était de retourner au Cameroun, je trouvais qu’il n’était pas mauvais d’acquérir une expérience professionnelle canadienne, voir ce qui se fait de bien sur le plan des pratiques journalistiques et administratives, et éventuellement, les adapter au contexte camerounais. Même s’il est vrai que dans les médias ici, comme d’ailleurs dans la vie professionnelle en général, on responsabilise beaucoup les gens. Pour s’en sortir il faut pouvoir prendre de bonnes décisions, rapidement, et être efficace. Quand on vient d’ailleurs, le réflexe, somme toute compréhensible, n’est pas de vous faire confiance spontanément. Puisqu’on ne sait pas qui vous êtes ni de quoi vous êtes capable. Mais une fois que les gens autour de vous sont rassurés, tout va bien.

Vous êtes en même-temps enseignant, comment arrivez-vous à concilier les deux?
Ce ne sont pas deux activités diamétralement opposées. Enseigner ou pratiquer le journalisme, c’est communiquer. En plus, dans mon cas, les deux activités se complètent bien. La pratique journaliste me permet de nourrir et d’illustrer les théories que j’enseigne. En retour, les connaissances théoriques sont un atout lorsqu’il faut prendre des décisions rapides, réfléchir aux enjeux, etc. Le journalisme en direct a un côté excitant, plein d’aléas et d’incertitudes qui font le charme du métier. L’enseignement est un joli défi intellectuel quotidien. Dans les deux cas, on partage ses connaissances, on informe, on rencontre de nouvelles personnes. Bref, c’est enrichissant et stimulant. Mais il y a un gros prix à payer pour ce double plaisir: J’ai rarement le temps de faire autre chose, de prendre part aux activités mondaines. Même pour vous accorder cette entrevue, j’ai dû faire des pieds et des mains pour trouver du temps. En gros, lorsque je ne suis pas en reportage ou à Radio Canada, je suis en train d’enseigner ou de prépare mes cours.

La communication et les médias sont donc une passion?
C’est certain. Parfois, je me demande ce que j’aurai pu faire d’autre dans la vie. Je suis nul en travail manuel. Je n’ai pas une expérience professionnelle diversifiée. Toutes mes activités professionnelles ont toujours tourné autour de la communication.

Quelles sont selon vous les valeurs qui vous ont permis de réussi votre métier de journaliste?
Je pense que pour réussir dans le journalisme, il faut d’abord le vouloir. Il faut aimer ce métier. Il y a certaines qualités comme l’écriture, la curiosité, la rigueur, une voix qui porte, un visage qui passe bien à l’écran, etc. Mais la plupart des autres choses se travaillent. Enfant, on trouvait que je posais trop de questions. Et, alors que j’étais à l’école primaire, j’avais un petit récepteur radio qui était toujours syntonisé sur des radios internationales (Voix de l’Amérique, BBC, Radio France Internationale, Deutsche Welle). Tôt le matin, j’écoutais les bulletins de nouvelles, faisant état de réalités que je ne connaissais pas. Et j’en éprouvais un vrai plaisir. C’est après mon entrée à l’école de journalisme que je me suis rendu compte que, après tout, être curieux, vouloir savoir des choses qui n’ont aucune incidence sur notre vie quotidienne n’étaient pas nécessairement mauvais. La passion pour ce qu’on fait, la confiance en soi, la rigueur, le fait de ne pas se laisser endormir par les bons coups du moment, sont quelques unes des qualités importantes dans ce métier.


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Ma famille, mes amis d’enfance y sont. J’ai le défaut d’être très nostalgique. Donc, revoir les lieux de mon enfance, les personnes, les paysages, qui m’ont marqué, c’est toujours plaisant. Je compte y aller bientôt d’ailleurs.
Didier Oti

Quel regard portez-vous sur la communauté camerounaise de la diaspora en général et celle du canada en particulier?
Quand je suis arrivé au Canada, j’avais l’impression que la communauté camerounaise était assez éclatée. Les uns et les autres s’organisaient en petits regroupements ethnico-régionaux: Les Betis, les Bassas, les Sawas, les Bamilékés, les Bamouns organisaient leurs activités. Je suis mal à l’aise face à tout ce qui ressemble au communautarisme ou à la reproduction de certains réflexes qui, même s’ils ne sont pas mal intentionnés, ne facilitent pas ce que le discours officiel camerounais a toujours prôné: L’intégration nationale. Je reconnais que parfois ces regroupements ne visaient rien d’autre que de se retrouver entre personnes parlant la même langue, ou voulant réaliser des projets dans leur région d’origine. Mais depuis quelques années, les choses ont beaucoup changé et c’est tant mieux. L’Association des Camerounais du Canada (ACC) a fait un excellent travail pour fédérer les communautés. Quand je peux, j’assiste volontiers aux activités de l’ACC. Le Cameroun a une importante diaspora au Canada et ailleurs dans le monde. Je suis convaincu que la très grande majorité de ces Camerounais seraient restés au pays si les conditions (politiques et économiques) avaient été différentes. C’est une diaspora riche qui, au Canada comme ailleurs n’attend que le signal pour servir le Cameroun.

L’année 2010 qui s’en va a été marquée par des évènements majeurs tels que la cinquantaine des indépendances de 17 pays africains, et la coupe du monde de football 2010 en Afrique du sud pour ne citer que ceux-ci, quelles sont vos impressions?
La coupe du monde, la première organisée en sol africain a été un succès. Les sceptiques ont été confondus. Malheureusement, le Cameroun, une fois de plus ces dernières années, a déçu. En revanche, comme tous les Africains, j’ai été impressionné par le Ghana, une vraie équipe, et non un agrégat de bons joueurs sans cohésion comme les Lions indomptables. Quant aux célébrations des indépendances des pays africains, je remarque une seule chose. Fêter le cinquantenaire est une chose, montrer qu’on a mûri en est une autre. Cet été, j’ai assisté à Montréal aux activités organisées par la communauté ivoirienne du Canada. C’était très bien. J’entendais ici et là des slogans du genre: «Côte d’Ivoire is back», «La crise est derrière nous», etc. Mais il a suffi que le pays tienne ses véritables premières élections «ouvertes» pour que tout s’effondre. Au premier tour, la Commission électorale indépendante (CEI) a produit des résultats globalement bien accueillis par les candidats. Mais au second tour, cette même CEI est tout d’un coup contestée. Soyons sérieux, quand on décide de jouer le jeu de la démocratie, il faut être prêt à en accepter les résultats. Le spectacle que la Côte d’Ivoire vient d’offrir à la planète est triste. D’imaginer que Laurent Gbagbo aurait perdu le scrutin en raison de fraudes dans des régions du nord où, même au premier tour, ses gains étaient insignifiants fait sourire. C’est plutôt le report des voix des partisans des Bédié, dans le sud, qui a fait la différence. Et s’accrocher au pouvoir, au risque de faire basculer son pays dans une interminable crise est encore plus affligeant. En tout cas, le peuple ivoirien, et l’Afrique en général, n’avaient pas besoin de ça, en cette année de célébration des indépendances.