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Donner à la « Diaspora » camerounaise, ses lettres de noblesses

Par Cyrille Mbiaga, enseignant à Marseille et auteur Le terme 'Diaspora' camerounaise peut souffrir de confusion en comparaison avec ce…

Par Cyrille Mbiaga, enseignant à Marseille et auteur

Le terme ‘Diaspora’ camerounaise peut souffrir de confusion en comparaison avec ce que l’on sait des diasporas juive, grecque ou arménienne, particulièrement concernées par des exodes massifs de leurs populations. La ‘Diaspora’ camerounaise n’occupe pas le même rang que celles que nous venons de citer, selon une définition cohérente et adaptée, tout Camerounais vivant hors du territoire camerounais, mais attentif à l’évolution ‘positive’ du Cameroun est considéré en toute chose comme étant membre de la ‘Diaspora’ camerounaise. Mais dans les faits, cette diaspora n’est pas homogène ; entre hétérogénéité et différenciation, elle semble obéir à des logiques liées aux itinéraires individuels, aux apports ethniques originelles, à la culture du pays d’accueil, aux différents profils de ses membres. De plus, cette ‘Diaspora’ ne retrouve son sens et sa légitimité que dans le lien qu’elle établit avec la mère patrie Cameroun. Un lien qui se fait à partir de l’espace géographique où ses membres sont localisés, un lien qui s’inscrit dans le temps qui traverse la vie de ses membres, mais qui est nécessaire pour que chaque membre se forge une conscience d’appartenance à un même groupe, partageant quelque chose en commun.

La ‘Diaspora’ Camerounaise est plurielle, elle a l’idéal de solidarité en partage
Les différents faciès de la ‘Diaspora’ Camerounaise montrent que selon le pays d’accueil du migrant camerounais, celui-ci est fortement influencé par la culture de son pays hôte. Le Camerounais installé en Allemagne n’a pas le même reflexe que le Camerounais installé en France. Ils sont tous devenus des agents des influences culturelles occidentales sur le Cameroun, leur pays d’origine. Ainsi, la diaspora camerounaise dans un pays donné, apparaît être constituée du résultat dans le temps, de la dispersion dans l’espace géographique de ce pays, des personnes originaires du Cameroun, sans distinction de nationalité et de citoyenneté, mais particulièrement concernées par le développement et l’émergence du Cameroun. Aujourd’hui, et depuis les années 90, les populations camerounaises dispersées de par le monde sont particulièrement nombreuses. Celles qui vivent en France le sont autant et ne se rencontrent plus seulement dans les grandes métropoles ou foyers traditionnels tels que Paris, Marseille et Lyon. Elles sont davantage diffuses dans des villes secondaires telles que Montpellier, Toulouse et Saint Etienne et même dans des petites villes comme Périgueux ou Perpignan. Leurs nombres échappent aux statistiques, mais la vigueur des associations communautaires qui les concerne donne une idée de leurs représentations. Les Camerounais de la diaspora se regroupent très souvent au sein d’associations pour faire vivre leurs élans de solidarité. Ils manifestent ainsi leur désir et leur volonté d’aider les autres et mettre en uvre un peu plus d’égalité entre eux. Leurs désir et volonté se justifient en période de crise où les enjeux de la mondialisation poussent l’action vers une ouverture à l’Autre, d’un groupe organisé à un autre groupe, à chaque échelle où la vie est menacée ou demande à être améliorée, il se dessine alors un réseau de solidarité entre les Camerounais de la diaspora et les Camerounais restés sur place.

Cyrille Mbiaga, enseignant à Marseille et auteur

Le lien entre les diasporas camerounaises et le Cameroun
Transfert de fonds: Le niveau de transfert des fonds des migrants camerounais vers le Cameroun témoigne de la vitalité et du lien que la ‘Diaspora’ camerounaise noue avec son pays d’origine. Une analyse comparée du transfert de fonds vers les pays africains de la zone franc (pays de l’UEMOA, pays de la CEMAC et les Comores) montre que celui-ci n’a pas la même importance partout (Figure 1). Les envois de fonds de l’étranger représentent plus de 4 p. 100 du PIB de l’UEMOA contre moins de 0,5 p. 100 du PIB de la CEMAC. Si les pays de l’UEMOA ont un solde positif de transfert de fonds de leurs migrants, on constate à contrario, que les pays de la zone CEMAC semblent ne pas être concernés par les mouvements des fonds de leurs migrants, sauf le Cameroun (solde positif de +44 millions de $US).

Accélération de la transition démographique: Le migrant camerounais installé en Allemagne ou en France, qui hier encore portait les valeurs familiales africaines de solidarité étendue, ramène au pays l’idéal de famille restreinte et souvent limité aux parents biologiques. Ce migrant contribue à l’accélération de la transition démographique du Cameroun.

Survie des familles: Les sommes drainées par les migrants et qui sont dirigées vers le Cameroun le sont généralement en faveur des familles restées sur place. Elles assurent leur survie, et ont surtout contribué pour une bonne part à maintenir la paix sociale dans le pays. Les évènements tels que celui qui a été attribué à la vie chère de février 2008 doivent attirer l’attention de tous les observateurs sur cette particularité. La diaspora camerounaise joue un rôle extrêmement puissant dans la paix sociale, par l’envoie des fonds aux familles qui conjuguent tous les jours des efforts pour pallier au manque d’eau potable, aux délestages intempestifs, aux maladies récurrentes et à la scolarisation de leurs enfants. Le Cameroun doit donner à sa diaspora ses lettres de noblesse.

Diagramme du transfert des fonds des migrants
Cyrille Mbiaga)/n

« Diaspora » camerounaise et conscience collective, son fonctionnement en France aujourd’hui
La persistance de la crise a considérablement modifié les caractéristiques des migrants camerounais en France. Sa ‘Diaspora’ apparait très hétérogène de par ses apports ethniques, elle est très différenciée de par les profils sociaux de ses membres (sans emplois, ouvriers, commerçants/artisans, cadres, ingénieurs et scientifiques), elle est en outre très disparate de par les lieux de résidences (grandes villes, petites villes, campagne) de ses membres. Dans l’état actuel des connaissances, cette ‘Diaspora’ ne se distingue pas par une conscience collective camerounaise à l’extérieur du territoire camerounais renvoyant à une identité commune ou partagée. Mais il semble exister ou se dessiner une conscience collective Bamiléké renvoyant à un centre, ses périphériques, aux pôles, et à leurs réseaux. Cette conscience collective Bamiléké tient aux rapports étroits qui existent entre trois pôles déterminants, lesquels renvoient au Social, à l’Economique et à la Tradition (Environnement). Elles se perçoivent comme un système complexe fait d’enjeux dont les interactions décrivent dans son évolution, un réseau dynamique de solidarité. Autrement dit, l’action de ce réseau ne s’inscrit pas seulement dans un état statique d’harmonie, mais bien au-delà, dans un processus de transformation dans lequel la gestion des femmes et des hommes, la gestion des fonds, le choix des projets, et les orientations sont cohérents avec l’avenir comme avec les besoins d’aujourd’hui (Figure 2). En effet, Parmi « les diasporas camerounaises » installées en France, La diaspora ‘Bamiléké’ apparaît de loin celle qui a su transposer son modèle ethnique hors du territoire camerounais ; elle a su le faire en préservant son identité traditionnelle à travers la solidarité communautaire ; elle entretient avec le Cameroun, et notamment les villages de l’Ouest des rapports étroits qui contribuent à son identité. Toute chose égale par ailleurs, le développement des régions de l’Ouest par sa diaspora a des répercussions positives sur le développement du Cameroun. Considérant que toutes les diasporas camerounaises puissent s’organiser dans le temps et dans l’espace à l’image de la diaspora Bamiléké, l’agrégation des concours des diasporas sous l’impulsion d’un travail en réseau, piloté par une gouvernance responsable, traversant l’ensemble des pôles ethniques, définirait le dénominateur commun autour duquel s’élèverait une conscience collective camerounaise à l’extérieur du Cameroun. Cette conscience collective me semble indispensable pour que les diasporas jouent un rôle déterminant dans le développement et l’émergence du Cameroun.

« Diaspora » camerounaise et émergence du Cameroun
Selon toute vraisemblance, c’est autour du dénominateur commun qu’émaneraient les produits dont les effets seraient bénéfiques pour l’ensemble des Camerounais. Des tentatives sont faites, celles qui sont proposées comme par exemple le CADIDEC pour le fonds d’investissement, la CASA-Job pour les compétences, et d’autres programmes liés au DSCE sont louables, mais leur coordination en l’absence de valeurs communes partagées les rendrait peu efficaces. D’ici à 2035, un travail philosophique, historique et anthropologique de fond doit être mené pour dire clairement les valeurs communes partagées par les diasporas camerounaises. Ces travaux sont nécessaires si le Cameroun veut augmenter ses chances d’émergence en 2035. L’effectivité de cette émergence ne sera possible que si l’équilibre entre les trois enjeux (social – économique – traditionnel) est viable dans le long terme (diachronie et synchronie), et davantage si cet équilibre est cohérent avec l’enjeu de la gouvernance (transversalité). Aujourd’hui, il faut le dire, le contexte camerounais est celui d’une très longue crise économique et aussi celui du désengagement de l’Etat depuis les années 90 et bien avant. Le Cameroun doit mobiliser les ressources financières internes et externes pour améliorer les conditions d’existence de sa population, l’objectif à atteindre étant d’assurer le progrès social et le mieux-être pour tous. Sa Diaspora de toute évidence reste un maillon fort pour son émergence. Le Cameroun a la chance d’avoir parmi ses parties prenantes un modèle, le modèle Bamiléké dont les valeurs en partage de ses membres reposent fortement sur la tradition. Le modèle de développement du Cameroun n’est donc pas à aller cherche en Europe ou dans les aides au développement venues d’ailleurs, ces aides ont montré leurs limites. Il suffit aujourd’hui d’interroger les mémoires (archives) et d’oser adapter les pratiques ‘positives’ qui ont eu cours dans nos traditions, et de les ouvrir. Celles qui ont permis de développer l’Ouest-Cameroun dans les années 70 se sont appuyées sur le rôle central de l’UCCAO, elles établissaient les liens entre les élites ‘urbaines’ et leurs villages d’origine. Aujourd’hui, les rapports que les élites ‘urbaines’ entretenaient avec les villages de l’Ouest, se sont transformés avec le temps, ils se sont même déplacés. Ils interrogent davantage aujourd’hui sa diaspora, et sa mise en réseau sur la généralisation de tels rapports. Le réseau pourrait jouer le même rôle que l’UCCAO, à une échelle plus grande, mais à condition d’être accompagné par l’Etat dans son rôle transversal. D’ores et déjà, les diasporas camerounaises doivent s’organiser pour suivre de façon attentive l’évolution de la société camerounaise, user de ses influences dans les pays d’accueil pour peser positivement sur le développement de leur pays d’origine, et participer activement dans la réalisation des projets qui assurent le progrès social et le bien-être. De la même façon, les actions du réseau de la diaspora camerounaise doivent être acceptée ou validée par les pouvoirs publics camerounais comme une opportunité pour trouver des solutions aux demandes à satisfaire des populations. L’émergence du Cameroun se fera avec sa diaspora ou ne se fera pas.

Modèle d’équilibre pour l’émergence
Cyrille Mbiaga)/n