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Essai de compréhension du phénomène de l’Obamania en Afrique

A travers la psychanalyse du refoulement racial permanent et du complexe politique misérabiliste chronique Mon enfance et mon adolescence, certainement…

A travers la psychanalyse du refoulement racial permanent et du complexe politique misérabiliste chronique

Mon enfance et mon adolescence, certainement comme pour beaucoup d’autres africains, furent marquées d’une profonde colère, d’un sentiment permanent d’injustice, et au bout, d’un complexe inévitable de race. La première fois que je réalisai que mes semblables de couleur de peau, frères et s urs, avaient été traités comme des bêtes, enchaînés, vendus et même souvent déversés en haute mer pour alléger les navires esclavagistes, je mesurai combien notre destin avait été injuste.
Il faut savoir que je suis par ailleurs, cet élève qui, malgré une bonne moyenne, fut chassé de la classe de sixième au collège Saint-Michel de Douala, parce que j’avais osé demander au frère Corentin, mon professeur blanc de nationalité canadienne, pourquoi Dieu était représenté par un blanc faisant pitié, et le diable par un noir faisant peur.
Nous avons grandi avec une forte appréhension négative de notre place dans le monde, de la place de la race noire dans les uvres du Seigneur, s’il en existe qui soit pour tous les peuples. Nous sommes devenus grands sous les affres de l’apartheid, éduqué dans les échos des luttes des noirs pour les droits civiques. Nous avons tant aimé et pleuré pour les Martin Luther King, les panthères noires, les Black Power. En fait, nous avons évolué, de l’enfance à l’âge adulte, dans un univers où tout pour la race noire se lisait et se comprenait en impossibilité, en exclusion, et marginalisation, et injures, et pitié. Imaginer un seul instant qu’un noir puisse être Secrétaire Général de l’ONU, relevait déjà de la folie. C’est pourtant arrivé et le gars y a passé dix années en faisant preuve d’une des meilleures expériences de professionnalisme et d’application diplomatique à ce poste. C’est le ghanéen Kofi Annan.

Le conditionnement des frustrations
L’histoire qui s’écrit sous nos yeux, même après avoir produit l’accession des noirs au pouvoir dans toute la partie de l’Afrique qui connu une des pires négations de la dignité humaine avec les régimes d’apartheid, ne nous a pas toujours convaincu que nous prendrons notre juste place dans le concert des nations autrement que comme des peuples marqués d’une couleur problématique. Que l’on nous entende souffrir en silence tout le long de l’histoire, vivre l’interpellation de mille besoins de vengeance, et affronter les espoirs de plusieurs générations totalement désorientées, en face d’un monde qui en se modernisant, n’a fait que mieux étaler l’arriération de l’Afrique, des noirs, de ce qu’ils ont pu bâtir ou essayé de construire comme modèle social et politique.
L’Amérique a changé, et la condition des noirs avec. Le monde a évolué, et les nations porteuses des identités diverses, y compris celles des noirs, sont admises dans le grand concert des instances de la coopération multilatérale dont l’ONU est la plus représentative. Trop de choses nous sont tombées dessus et ont révolutionné notre manière d’envisager notre avenir dorénavant. Nous avons, patiemment, lentement et progressivement, vu les noirs d’Amérique conquérir les échelons de la notoriété et de la respectabilité dans un système qui leur a, sans aucun doute, donné les moyens de s’épanouir et de ressembler à autre chose, que certains de leurs semblables africains demeurés parias. Ils sont devenus Ministre des Affaires Etrangères (Gondolezza Rice), ils sont devenus Chef d’état major général de la plus puissante armée du monde (Colin Powell), ils sont allés dans l’espace. Pourtant, tout cela nous est resté comme des gloires de circonstance, des étapes.

Nous voici donc, devant le plus grand dilemme de l’histoire de la race, appelés à cesser de nous condamner dans d’interminables frustrations, invités à entrer dans l’univers de ceux qui croient que tout est possible. Après tout, nous allons avoir un Président Noir à la tête de l’Amérique, aux commandes du plus vaste stocks d’armes de guerre, tenant le levier de décision de la machine qui imprime les dollars, donnant les ordres au FMI et à la Banque Mondiale, se faisant respecter par l’Europe, cette Europe qui est la première responsable de l’esclavage et de tant de nos souffrances. Hier le Secrétariat Général des Nations Unies, demain la Présidence des Etats Unis d’Amérique, et la suite, logiquement, la papauté catholique, donc le commandement de Rome et de tous les diocèses de la planète. Il ne nous resterait plus que le pouvoir des descendants de Mohammed, si jamais cela pouvait relever d’une élection démocratique, quelque part dans un pays comme les Etats Unis, ou ailleurs dans une Assemblée gigantesque représentative de toutes les races et de toutes les nations.
Ce que emporte comme symbole la prochaine élection américaine, est en passe de constituer, au plan psychologique, la plus importante des révolutions qui influencera définitivement la consistance entre les diversités multipolaires qui façonnent, font, forment ou déforment l’évolution de l’humanité.

Une recherche de vengeance par appropriation du succès d’autrui
Si la perspective de l’arrivée de Barack Obama à la maison Blanche a créé une véritable fièvre en Afrique au point que certains n’envisagent pas autre chose à la place de sa victoire, c’est qu’au fond, nous continuons de vivre un drame fait de multiples facettes. Le jeune Sénateur est vu par les africains tantôt comme le messie qui engendrera des révolutions inévitables pour sauver le continent, tantôt comme le moteur indémontable de la preuve de la capacité des noirs à se hisser partout et à occuper raisonnablement toutes les fonctions dans le monde.
En réalité, l’élection est plus une question de démonstration et moins une occasion de comprendre et de féliciter un système américain qui montre ici, une de ses qualités inégalable par aucun autre dans aucun autre pays. Par ailleurs, parce que cette perspective d’un noir à la Maison Blanche intervient dans un contexte où les images de milliers de nègres entassés sur des embarcations de fortune en quête de bonheur vers l’Europe dominent l’actualité, l’on croit tenir ici la porte de la vraie terre promise. Très peu sont ceux qui font l’analyse en termes de prédispositions institutionnelles du système américain à valoriser toutes les compétences et tous les mérites. En fait, l’on veut surtout marquer d’abord le temps par cette irruption presque inattendue, d’un noir dans un duel jusque là réservé aux blancs. C’est la vraie sortie du Ghetto, la réalisation du rêve de Martin Luther King, croit-on.
Pourtant, il faut se rendre à l’évidence et prendre du recul pour tout comprendre, ou alors pour comprendre d’autres choses. Au stade où en sont les africains et au regard des déceptions indescriptibles, les générations actuelles s’accrocheraient même à un serpent de mer pour obtenir quelques améliorations de leurs conditions. Si la couleur de la peau du candidat donne cette fois ci une dimension affective et presque passionnelle à la perception des africains, il n’est pas vain de rappeler que la différence entre républicains et démocrates de même qu’entre gauche et droite en Europe et particulièrement en France, a toujours dominé profondément les jugements des africains.
A chaque fois qu’une élection se dessine aux Etats unis ou en France, l’on a vite fait ici de choisir entre celui qui semble plus tendre, plus pieux et mieux disposé à l’égard des nations pauvres. Kennedy fut pour les africains, quelqu’un d’exceptionnel, à tel point que son assassinat provoqua des scènes de deuil public dans plusieurs pays. L’homme d’Etat que les africains connaissaient pourtant peu, avait construit sa popularité sur les solides convictions et le prestige d’une grande famille catholique. Son intonation d’un programme fondé sur la vision de l’Amérique vouée à porter au reste du monde, les vertus de la tolérance, de la démocratie, de la liberté et de la religion, était largement suffisante pour conquérir le c ur des Nègres.


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Ailleurs, en Europe, personne n’oublie les espoirs placés par les africains dans l’accession du socialiste François Mitterrand à l’Elysée. Homme politique de gauche qui prônait la rupture avec les méthodes d’asservissement et de clientélisme dans les relations de son pays avec l’Afrique, et dans les relations entre les pays riches du nord et les pays pauvres du sud, il avait durant son long séjour dans l’opposition et surtout durant la campagne électorale, donné à penser que sous son règne, tous les régimes sales du continent seraient balayés. La déception fut à la mesure des espoirs, c’est-à-dire brutale, profonde et sans appel. Mitterrand ne se contenta pas seulement de continuer à défendre les intérêts néocoloniaux et à soutenir les régimes dictatoriaux, il les renforça et fit encore plus de mal aux africains que tous les régimes de droite avant lui. Deux ans seulement avant sa fuite de Kinshasa, le mémorable dictateur maréchal Mobutu fut l’invité d’honneur du défilé du 14 juillet sur les Champs Elysées. Par ailleurs, Jean Pierre Cot, brillant professeur des relations internationales qui avait été nommé Ministre de la Coopération dans le premier gouvernement dirigé par Lionel Jospin, fut très vite remercié après seulement six mois en poste, pour avoir osé annoncer la moralisation des relations franco africaines et la promotion des régimes démocratiques.
Justement, le fait que aucune des grandes idéologies, ni aucun des grands modèles, et encore moins ces doctrines et religions impériales, n’aient pu nous délivrer de tant de doutes, de sentiments d’oppression et de rejet, nous laisse à la portée de toutes les aventures. Nous avons embrassé et adoré le marxisme, mais pour être déçu par tous ses travers. Nous avons cru aux champions du libéralisme, qui a juré de nous mettre au travail et de nous apprendre à gagner la considération par le mercantilisme marchands, mais pour découvrir que c’est juste la continuité du colonialisme. Nous avons par nous mêmes, inventé des doctrines et des idéologies, développement autocentré, renouveau, authenticité, socialisme scientifique, africanité authentique, et tout cela, mais pour nous rendre compte que ce ne sont que tromperies de quelques dictateurs imbéciles et obscurantistes ancrés dans une féodalité cruelle. C’est donc d’un mal profond que ressortent notre si grande et insatiable excitation pour Obama.

La fuite an avant
En fait, Obama est tombé du ciel comme un véritable fruit dont on a attendu trop longtemps le murissement. L’état des lieux sur le continent est une anthologie dégoutante de délabrement, de misère, de guerres civiles interminables, de pandémies, de bruits incessants de bottes souillées par les cervelles toujours plus fraîches des enfants soldats, des écoliers hâtivement arrachés à leurs cahiers pour des causes perdues et sales des seigneurs du chantage. Lorsque l’on vient du Zimbabwe, du Cameroun, du Congo, du Rwanda, de l’Ouganda ou du Togo, il n’y a aucune raison de penser que demain sera meilleur, de croire qu’un jour la liberté sera effective, de s’attendre à voir effectivement la volonté du peuple tracer le destin des nations à travers des urnes propres.


Obama dans ce contexte, sonne comme notre vengeance, l’espoir qui renaît du lointain dans une Amérique que l’on aime, que l’on veut toucher, une Amérique qui n’a montré que trop de basketteurs noirs, de boxeurs, et pas assez de noirs triomphants, une Amérique qui peut permettre enfin à un enfant des peuples d’esclaves, de la commander.
Pour une majorité d’Africains, la victoire c’est même déjà, d’avoir vaincu dans une compétition loyale et ouverte contre une des femmes blanches les plus puissantes, les plus charismatiques et les plus populaires du monde. Il a existé Jesse Jackson avant Obama, mais juste le temps des primaires, le temps d’une compétition de famille entre démocrates, des gens du même parti où certains coups étaient évités. Maintenant, un noir est descendu dans la vraie arène, pour discuter non plus des primaires, mais l’affaire centrale au niveau le plus élevé. Pour toutes les frustrations accumulées ici ou à cause de toutes ces frustrations, chaque africain malade des oppressions et de toutes les mauvaises gouvernances qui écrasent le continent, veut lire dans la victoire annoncée ou espérée de l’enfant de souche kenyane, le triomphe de la gloire des vaincus, des laissés pour compte, des damnés de la terre. Il ne faudrait pas prendre à la légère les risques d’émeutes par ici, si jamais nous étions déçus dans nos espérances, car les raisons d’un soulèvement d’un bout à l’autre du continent, se gonflent de plus en plus comme un abcès qui se rompra sans pitié au moindre signe négatif. Ce n’est pas l’Afrique du Sud qui nous encouragera à penser autrement, ce pays qui donne des signes de glisser dans la folie récurrente des disputes du pouvoir. Oui, l’ANC de Mandela est presque en déconfiture et nous n’attendons plus que de voir combien de petits vont en naître. Honte à tous !
Barack Obama, le fils du terroir nègre, représente donc tant, pour tant de gens, pour tant de siècles, pour tant de méprises, pour tant de souffrances, pour tant d’attentes.
Pourtant, nous devons avoir le courage de reconnaître, que nous renvoyons, sans honte ni excuses, à plus tard ou ailleurs, ce que nous aurions pu faire, ce que nous devons faire. La signification profonde, non dite, de cette obamania par ici, c’est la déchéance, la défaite, la peur, la renonciation. Mais que oui, nous ne sommes pas capables de créer les conditions d’une élection libre qui enverrait un enfant sorti des entrailles des exclus, au sommet du commandement de nos Républiques. Nous ne pouvons pas accepter les sacrifices indispensables à l’éclosion des révolutions porteuses de ce genre d’espérance. Nous sommes loin de correspondre aux peuples et races qui doivent leur salut à la guerre de libération, à la lutte pour la conquête de la dignité. Depuis Toussaint l’ouverture à Haïti qui battit l’armée de Napoléon, nous avons abdiqué. Et voilà notre première République noire devenue le miroir de la honte de notre race. Et nous voici cherchant en Obama, le salut par lequel, le monde nous respectera, nous considérera vraiment, nous fera une place saine et salutaire, à la table des mets de la science.
Le Noir avance donc par la las, et pendant qu’il recule par ici. L’embêtant, c’est que l’on se refuse à comprendre, que Obama ou pas Obama, ce sera d’abord l’Amérique en tant Nation-Etat, en tant que super puissance dominante du monde, en tant que conquérante en Irak et en Afghanistan, en tant que groupe d’intérêts précis à défendre, à protéger et à promouvoir. Il ne viendra pas, il ne pourra pas, il ne pourrait pas, venir construire l’Afrique, chasser les dictateurs, décourager les voleurs, mettre les détourneurs des fonds publics en prison. Obama ne fera pas notre révolution à notre place.
Ce sera juste un Président des Etats Unis d’Amérique, comme Clinton, Kennedy, Carter, Nixon, Jefferson, Jonson, Roosevelt et les autres le furent. Il agira, marchera, parlera, proposera, et ordonnera, au nom de l’Amérique, sur la base des principes fondateurs de l’idéologie de l’Union, une union de cinquante un Etats fédérés.
La grande leçon que le nouveau président nous donnera, ne sera pas si différente de cette phrase de Staline parlant aux révolutionnaires d’Afrique et d’Asie: C’est à chaque peuple qu’il revient de conduire et de réussir sa propre révolution. La révolution mondiale est un v u doctrinal, et une étape que les peuples doivent travailler ensemble à réaliser.
A ce propos, il est honnête de rappeler, qu’un lourd contentieux existe entre les afro américains, et leurs frères du continent ici. Les éléments directeurs de ce contentieux, recouvrent justement les accusations d’abord de cupidité et d’inconscience, et ensuite de faiblesse, de démission, et de paresse. Nos frères d’Amérique estiment que nous ne faisons pas assez et que nous n’avons jamais fait assez, pour changer le cours de notre destin et susciter le respect de la race. Ils estiment en effet que s’ils sont tant déconsidérés en Amérique, c’est à cause de l’image négative que nous projetons, après les avoir sacrifié entre les mains de marchands blancs pour quelques quolibets.
Par ailleurs, ce n’est pas du tout avec fierté que les Afro américains voient débarquer par milliers, des frères qui fuient le continent pour venir s’installer à Chicago, Silverspring, Atlanta, New York et autres grandes cités de la bas. Pour eux c’est la continuité de la trahison, de la démission, de l’irresponsabilité. Alors, que ceux qui viennent se pavaner en Afrique au nom de ce qu’ils parlent d’Obama ou font sa promotion, comprennent bien la leçon, à savoir qu’ils feraient mieux de venir d’abord s’investir à développer l’Afrique sur place, à opérer des révolutions que l’on attend depuis trop longtemps.
Les Afro américains ont donc une autre lecture plus dynamique et plus réaliste de ce que notre contribution devrait être dans le contexte actuel.


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