L’analyste pour le Cameroun de l’International Crisis Group revient sur les conclusions présentées dans un récent rapport de l’institution
Les prémices du radicalisme religieux apparaissent dans la société camerounaise, qu’est-ce qui vous permet d’affirmer cela?
Disons que depuis 30 années, le Cameroun est travaillé par un ensemble de dynamiques à l’intérieur des courants religieux, chrétiens et musulmans, qui font que, peu à peu, l’orientation doctrinaire et idéologique de ces courants religieux va vers des voies fondamentalistes et des voies radicales. Si vous prenez par exemple l’islam au sein du Cameroun, vous vous rendrez compte qu’à partir des années 1960, il y a eu peu à peu la Tidjaniya, qui est l’islam traditionnel camerounais, l’islam Soufi, qui a été supplanté à certains endroits par le sunnisme. A partir des années 1980, il y a eu un prosélytisme qui est venu d’Egypte, des pays du Moyen Orient, mais aussi des Camerounais qui sont allés se faire former à l’étranger, au Soudan, en Egypte et dans ce Moyen Orient. Peu à peu, ils ont ramené dans leurs bagages un islam qui est soit proche du wahhabisme, soit proche du salafisme. Donc, c’est tout cela qui, mis ensemble, avec également la montée en puissance des églises de réveil, permet de penser qu’il y a aujourd’hui des dynamiques qui sont beaucoup plus rigoristes, plus fondamentalistes; et qui, mises en relation avec beaucoup d’autres échos au sein de la société camerounaise, sont potentiellement conflictogènes.
Ça veut dire que le radicalisme religieux, ce n’est pas seulement Boko Haram, c’est un phénomène bien plus large que cela?
Oui, c’est un radicalisme rampant qui travaille la société camerounaise, et qui, mis en corrélation avec le contexte actuel, est à tout le moins menaçant.
Pourquoi ces idées radicales, rigoristes, du côté des musulmans attirent-elles les jeunes dans le pays ?
Disons qu’il y a plusieurs raisons pour expliquer cela. D’une part, il y a de plus en plus une conversion à l’islam de non-Peuls et de non-Haoussas. Et lorsque ceux-ci se convertissent à l’Islam, pour certains, pour échapper à la domination qui reste prégnante même si elle est aujourd’hui relative de Peuls et de Haoussas dans l’Islam camerounais, préfèrent aller disent-ils vers la source, c’est-à-dire vers l’Arabie Saoudite, vers le Soudan, vers les pays du Golfe, où ils subissent un processus d’arabisation. Ils rentrent parfois avec, dans leurs bagages, un islam qui peut être rigoriste. Les jeunes aussi parce qu’il y a un problème de fracture générationnelle au sein des instances représentatives de l’Islam.
Concernant le Christianisme, les églises du réveil sont en plein essor depuis plusieurs années, pourquoi sont-elles porteuses d’intolérance religieuse selon vous?
Le premier tient au fait que ce sont des églises qui, du point de vue de leur fondement doctrinaire, ont une interprétation libéraliste et exclusiviste de la doctrine chrétienne ou de la foi chrétienne. Elles se coupent elles même de la relation avec les autres communautés chrétiennes: catholiques, protestants ou même pentecôtistes traditionnels du pays. L’autre élément tient au fait qu’il s’agit des églises qui pour certaines s’auto-excluent elles même des initiatives de dialogue interreligieux. Bien entendu, ce ne serait pas complètement exact de ne pas relever le fait aussi que ces églises sont mal perçues et parfois perçues avec une certaine condescendance par d’autres tendances du christianisme camerounais. Je pense notamment aux catholiques pour qui ces églises sont purement et simplement des sectes.
Quels sont les risques que fait peser la montée de ce radicalisme, à la fois du côté musulman et du côté chrétien?
Les risques sont de deux ordres. Le premier risque est la montée de l’intolérance religieuse au sein des deux communautés parce que qui dit radicalisme dit se couper de l’autre, dit moins de dialogue interreligieux, moins de compromis. Le deuxième risque est lui lié au développement de la menace Boko Haram: c’est qu’il puisse y avoir un acte de jonction d’intérêts entre les radicaux les plus endurcis dans l’Islam; et ceux qui sont proches de la mouvance véritablement théorique des djihadistes de Boko Haram.
Le gouvernement au Cameroun a-t-il pris la mesure du phénomène pour vous?
Le gros des efforts du gouvernement camerounais est concentré à la lutte contre Boko Haram, c’est la menace visible. Mais pour ce qui est de la menace beaucoup plus insidieuse, celle du radicalisme religieux, il y a des initiatives éparses qui sont prises par le gouvernement mais il n’y a pas encore une politique réelle de lutte contre la radicalisation.
Consulter le rapport d’ICG: « Cameroun: la menace du radicalisme religieux »
