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Intelligence économique et stratégique: Ce que la Chine cherche au Cameroun (Partie V)

Expert en intelligence économique et stratégique, Guy Gweth nous propose à travers une analyse, sa vision des raisons d'une présence…

Expert en intelligence économique et stratégique, Guy Gweth nous propose à travers une analyse, sa vision des raisons d’une présence chinoise au Cameroun

2.2 – Défense et sécurité des intérêts chinois
Dans son désir d’assumer sa nouvelle posture internationale de « grand pays émergent », la Chine a affecté plusieurs de ces citoyens aux Opérations de Maintien de la Paix (OPM) en Afrique au cours de la décennie qui s’achève, plus d’un millier en 2010. De plus, des dizaines d’ouvriers chinois ont été pris en otage (et/ou tués) sur les côtes africaines ces dernières années, en particulier au large du Kenya et de la Somalie où des bateaux chinois ont essuyé des attaques à plusieurs reprises. En réponse à cette menace, Pékin a décidé l’envoi de navires militaires pour sécuriser ses intérêts. « Mais nous devons surtout travailler en étroite collaboration avec les forces de sécurité des pays africains si l’on ne veut pas être accusé de néocolonialisme », souligne He Wenping, directrice des études africaines à l’Académie des sciences sociales de Pékin. A ses partenaires africains, l’Empire du Milieu renouvèle donc sa coopération militaire en même temps qu’il propose l’assistance technique et la formation.

Avant d’aller plus loin, il est important de rappeler que dans les années 70-80, la Chine se posait déjà en rivale de l’Union soviétique et des Etats-Unis en Afrique, s’infiltrant dans les pays épargnés par ces derniers et contribuant à l’effort de guerre de plusieurs mouvements locaux de libération. Elle en a profité pour signer des accords de coopération militaires avec des alliés idéologiques tels que l’Egypte, l’Ethiopie, l’Ouganda, la Tanzanie ou la Zambie ; et s’ouvrir de nouveaux marchés industriels. En vingt ans (de 1955 à 1975) la Chine a vendu pour près de 140 millions de dollars de matériels militaires aux Africains, et entrepris de colossaux chantiers comme la construction de l’impressionnant chemin de fer TanZam reliant la Tanzanie à la Zambie. Depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, la Chine a considérablement diversifié et même renforcé sa coopération militaire avec un plus grand nombre d’Etats africains. Pékin s’est ainsi ouvert de nouveaux marchés pour la vente de matériels militaires en Angola, au Burkina Faso, en Centrafrique, au Libéria, en République Démocratique du Congo, au Sénégal et au Tchad notamment pour l’artillerie légère, des véhicules blindés, des uniformes et du matériel de communication ; et puis des hélicoptères pour l’Angola, le Ghana et le Mali, des avions d’entrainement K8 pour la Namibie, le Soudan et le Zimbabwé. etc. La plupart de ces marchés sont remportés par la North Industry Corporation et surtout Polytech Industries, la plus importante firme de vente d’armes de l’armée chinoise.

D’importants accords militaires ont par ailleurs été signés avec des pays tels que le Congo Brazzaville et des instructeurs chinois ont contribué à la formation des militaires dans des pays pétroliers tels que l’Angola. Des accords de fourniture de matériels militaires ont été conclus avec l’Angola, le Botswana, l’Érythrée la Namibie, le Soudan, le Zimbabwe, les Comores et la République du Congo, trois usines de fabrication d’armes légères ont ouvert au Soudan et des usines de munitions et d’armes légères implantées au Mali et Zimbabwe. Depuis 2004, Pékin livre des blindés, des chars, de l’artillerie, des vedettes rapides et des batteries de défense antiaérienne au pays de Robert Mugabe. Au Cameroun, les sources ouvertes sont relativement muettes sur la coopération militaire avec la Chine. L’actualité des 24 derniers mois nous apprend tout juste que les deux pays sont liés par un accord en matière de formation militaire, et que dans le but de renforcer la coopération militaire entre Pékin et Yaoundé, le ministre chinois de la Défense nationale, Liang Guanglie, a rencontré Jean-Baptiste Bokam, le Secrétaire d’État en charge de la gendarmerie nationale auprès du ministre camerounais de la Défense le 10 Juin 2009 à Pékin. Au sortir de cette rencontre à huis clos, les deux parties ont qualifié leurs échanges de fructueux, sans plus.

Conclusion
Contrairement à ce que laisse entendre un certain nombre de critiques occidentales, la relation entre la Chine et l’Afrique est loin d’être un marché de dupes en défaveur du continent noir. L’Afrique obtient les capitaux de qualité dont elle a besoin pour financer ses investissements, créer des emplois et booster sa croissance. Pour l’universitaire zambienne Dambisa Moyo notamment, « le troc d’infrastructures contre des ressources en énergie est parfaitement compris aussi bien par les Chinois que par les Africains. C’est un échange et nul ne se fait d’illusion en cette affaire. On considère parfois que la Chine se sert de l’Afrique pour ses fins politiques et économiques : pour continuer à croître au rythme extraordinairement rapide qui est le sien, la Chine a besoin de pétrole et l’Afrique a ce pétrole. » Depuis la chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc communiste, les Etats major occidentaux observent la conversion accélérée du plus grand Etat communiste de la planète à l’économie de marché, non sans inquiétude. Car la Chine ne se contente plus d’être « l’usine du monde ». Bien qu’elle se refuse encore tactiquement à endosser tous les habits d’une superpuissance pour éviter, avons-nous vu plus haut, d’être assimilée aux grands pays occidentaux et d’avoir à en assumer les responsabilités, la Chine s’en donne stratégiquement les moyens scientifiques, financiers, économiques, technologiques et diplomatiques. L’influence de sa stratégie de puissance est désormais visible en Afrique peut-être plus qu’ailleurs dans le monde.

Bien que certaines parmi elles soient fondées, force est de constater que la plupart des critiques portées contre la présence chinoise en Afrique proviennent des anciennes puissances coloniales et des Etats-Unis dont la Chine menace désormais les positions sur le continent. La Chine qui aide les gouvernements surendettés, défend le sud dans les instances internationales, soutient les régimes isolés, éduque les futures élites, construit des infrastructures, soigne les moins nantis, équipe et habille les classes moyennes et populaires, et contribue au maintien de la paix en Afrique, etc. dépasse les pronostiques les plus optimistes. « Depuis un demi-siècle, déclare Hu Jintao, les Chinois et les Africains, étroitement solidaires, voient se raffermir sans cesse leur amitié. Les échanges et la coopération sino-africains se sont développés sur tous les plans et ont donné des fruits abondants. Dans les affaires internationales, la Chine et l’Afrique se sont prêté confiance et concertées pour défendre les intérêts légitimes des pays en développement. » D’après l’étude Malaise global avec les grandes puissances réalisée dans 10 pays africains (Afrique du Sud, Côte d’Ivoire, Ethiopie, Ghana, Kenya, Mali, Nigeria, Ouganda, Sénégal et Tanzanie) et publiée en juin 2007 par l’Institut américain Pew, « la puissance économique montante de la Chine a un rôle positif dans les pays des personnes interrogées, notamment dans le monde en voie de développement. » En Ouganda, 45% de personnes interviewées pensent du bien de la Chine contre 23%. Au Mali et en Côte d’Ivoire, 90% des personne interrogées apprécient favorablement la Chine contre 81% au Sénégal et au Kenya. 2/3 des Ethiopiens et ¾ de Nigérians et de Ghanéens approuvent l’action de la Chine en Afrique.

Situé au fond du golfe de Guinée, le Cameroun intéresse l’Empire du Milieu, tant par son histoire, sa stabilité politique, la sociologie de sa population, son poids économique, ses terres arables, les richesses de son sous-sol, et son hospitalité, que par sa situation géostratégique et sa posture diplomatique. L’ensemble de ces mobiles suffit largement à justifier le fait que depuis trente ans, l’Empire du Milieu se sert de « l’Afrique en miniature » comme le tube à essai de ses conquêtes africaines. A quelques exceptions près, la Chine tend, en effet, à reproduire dans le grand ensemble subsaharien ce qu’elle a déjà testé au Cameroun. Cette grille de lecture donne à espérer que des analyses ultérieures sur l’axe Yaoundé-Pékin viendront éclairer des aspects restés à l’ombre dans le cadre des présents travaux et, ainsi, contribuer à la construction d’une relation plus fructueuse entre la Chine et l’Afrique.

Guy Gweth
Journalducameroun.com)/n