«Ça fait exactement 10 ans que AES/SONEL assure le monopole du service public de l’électricité au Cameroun. Triste anniversaire s’il en est…»
ça fait exactement 10 ans que AES/SONEL assure le monopole du service public de l’électricité au Cameroun. Triste anniversaire s’il en est pour les consommateurs d’énergie dont le quotidien reste rythmé par des délestages intempestifs.
Bref rappel historique
Dans les années 80, le secteur de l’électricité a été l’une des cibles privilégiées de la vague de privatisations des entreprises publiques camerounaises. En 2000, en application des directives du FMI, le gouvernement a décidé de privatiser la Société nationale d’électricité (SONEL), en espérant tirer de cette vente entre 50 et 60 milliards de FCFA. En février 2001, au bout d’un processus de privatisation bâclé et entaché de nombreuses irrégularités, la firme américaine AES CORPORATION devint l’unique concessionnaire du service public de l’électricité, l’Etat du Cameroun lui ayant cédé 56% du capital de la défunte SONEL. Cette liquidation avait rapporté 35 milliards de FCFA à l’Etat, dont 15 seront effectivement versés au trésor public, le reste, d’après les termes du contrat de concession, devant être « convertis en investissements d’urgence dans le secteur de l’électricité ». La SONEL changea de dénomination pour devenir AES/SONEL. A travers 04 contrats de concession et de licence signés le 18 juillet 2001, le gouvernement avait donc finalement concédé pour une durée de 20 ans, les activités de production, de transport, de distribution et de vente de l’électricité au Cameroun. Selon plusieurs sources gouvernementales dignes de foi, le choix de l’opérateur AES/SONEL comme adjudicataire avait été motivé par les promesses de la firme américaine faites aux autorités d’investir 1000 milliards de FCFA et de réaliser 680.000 nouveaux branchements durant les 10 premières années de la concession.
Violation du contrat et de la loi
Selon les chiffres officiels, le potentiel hydroélectrique du pays est estimé à 12000 MW par an, c’est-à-dire à peu près 10 fois l’énergie produite et exploitée en ce moment. Moins de 40% de la population ont accès à l’électricité, ce taux atteint à peine 10% en zones rurales, soit grosso modo 3.000 localités électrifiées sur 18.000. Le changement du fournisseur n’a donc pas eu d’incidence sur la condition du consommateur, bien au contraire. Et pour cause, dès le départ et malgré son statut d’entreprise de service d’utilité publique, AES/SONEL a privilégié la logique du profit au détriment de l’investissement d’urgence, en violation du contrat et de la loi régissant le secteur de l’électricité. Résultat, 10 ans après, l’offre de l’énergie reste encore largement inférieure à la demande. On déplore toujours des délestages fréquents, des rationnements et même des « blackouts » (coupures générales). Ces incommodités à répétition n’épargnent aucune catégorie de consommateurs et font peser de sérieux doutes sur les compétences techniques de AES/SONEL. La situation est encore plus difficile dans les zones périurbaines et rurales où les délestages peuvent durer plusieurs semaines voire plusieurs mois, en dépit des dispositions du contrat et de la loi sur l’égalité de traitement des usagers. Pourtant, le contrat de concession fait obligation à AES/SONEL de desservir sans discontinuité 2300 localités qui constituent le « périmètre de distribution concédé ». Malgré les clauses coercitives contenues dans le contrat de concession, la moitié de ces localités ne sont pas couvertes et la desserte avance à un rythme d’escargot. Par ailleurs, à la signature de cette convention en 2001, le nombre d’abonnés de AES/SONEL était estimé à 427.000 ; l’opérateur s’était alors engagé à porter ce chiffre à 1,3 million à mi-parcours de son contrat. Ce qui revenait à réaliser plus de 68.000 nouveaux branchements électriques chaque année. A ce jour, c’est-à-dire 10 ans après, AES/SONEL répertorie exactement 610.000 abonnés, parmi lesquels 1300 clients MT et 03 abonnés dits « Grands comptes ». Sachant qu’à chaque branchement correspond un abonnement, AES/SONEL a réalisé 183.000 branchements en 10 ans, y compris les installations effectuées et concédées par l’entité étatique AER (Agence d’électrification rurale), ce qui donne tout compte fait, 18.300 branchements par an ; très loin des 68.000 branchements annuels promis. Pendant ces 10 dernières années, la seule clause admise et scrupuleusement appliquée par AES/SONEL sera l’article 5 alinéa 3 du contrat de concession-cadre qui lui accorde la prérogative d’augmenter les tarifs d’électricité de 5% chaque année.
Conséquences socioéconomiques
Malgré l’extraordinaire potentiel hydroélectrique du Cameroun et en dépit des efforts consentis depuis 10 ans par les pouvoirs publics pour sortir notre pays de l’ornière, le déficit en énergie électrique reste endémique et fait perdre chaque année plus 02 points de croissance à l’économie nationale. Avec plus de 500 milliards investis et cautionnés par l’Etat, l’électricité est le secteur hors pétrole qui présente le plus fort coefficient de capitalisation. Depuis 10 ans, ce soutien financier massif et sans conditions que les pouvoirs publics apportent au programme d’investissements de AES/SONEL demeure sans effet sur la réalité quotidienne des ménages et des entreprises. La pénurie de l’offre de l’énergie électrique hypothèque le développement socioéconomique de certaines régions. Elle génère des tensions sociales ; comme en 2007 à Abong-Mbang (dans la région de l’Est) et Kumba (dans le Sud-ouest), où les émeutes de l’électricité, suite aux délestages avaient fait 03 morts et d’importants dégâts matériels. Selon le GICAM (Groupement interpatronal du Cameroun) : « La demande en énergie électrique des entreprises croit de 8% chaque année alors que l’offre progresse d’à peine 2% ». Toujours d’après le patronat : « Depuis 2003, les difficultés d’approvisionnement en électricité ont occasionné aux entreprises membres des pertes estimées à plus de 60 milliards de FCFA, soit plus d’un point du taux de croissance annuel du pays ». Pour faire face aux délestages, les entreprises ayant une assise financière suffisante s’offrent un ou plusieurs générateurs électriques et n’hésitent pas à répercuter les surcoûts des charges liées à l’énergie électrique sur les prix finaux de leurs produits et services appliqués aux particuliers. Pendant ce temps la bougie, à l’origine de plusieurs incendies et de nombreux drames dans les familles, est de plus en plus utilisée dans les foyers modestes. Ainsi, depuis 10 ans, ménages et entreprises ont globalement observé une augmentation de leurs dépenses d’électricité. En plus de l’inconfort des consommateurs domestiques, le déficit énergétique plombe sérieusement l’économie camerounaise et constitue un facteur majeur de dépréciation de plusieurs référentiels économiques sur le Cameroun. Le consommateur est doublement pénalisé, en plus des délestages et la dégradation générale de la qualité du service, c’est encore lui qui supporte l’énorme coût financier du retour sur investissements au bénéfice des actionnaires de AES/SONEL.
Confiscation du secteur
En vertu du contrat de concession, pendant les 05 premières années (de 2001 à 2006), AES/SONEL avait bénéficié d’un état de grâce pendant lequel l’entreprise n’avait de compte à rendre à personne. Nonobstant les terribles délestages et une électricité chère qu’elle faisait subir aux consommateurs, l’entreprise avait concomitamment engrangé plusieurs milliards de FCFA de bénéfices. Grâce à ce pactole payé par des milliers de ménages et entreprises camerounais spoliés, AES/SONEL avait même réussi l’exploit de relever financièrement sa maison-mère, AES CORPORATION, en quasi faillite aux Etats-Unis. Chaque année, depuis 10 ans, ces résultats comptables et financiers reluisants placent AES/SONEL parmi les 05 premières entreprises du Cameroun en termes de chiffres d’affaires (Dixit classement Jeune Afrique). Le Cameroun étant devenu une véritable mine d’or pour le groupe américain, malgré ces défaillances avérées, AES/SONEL veut par tous les moyens, rester maitre du secteur de l’électricité dans notre pays. Cette volonté d’asseoir son hégémonie se manifeste depuis 5 ans par l’obstruction au projet de création d’une filiale autonome de transport de l’énergie électrique, prévue par l’avenant au contrat signé le 04 décembre 2006. La filialisation du transport devait permettre la réduction des pertes techniques sur les lignes HT, vétustes et saturées, qui minent ce segment de l’activité et représentent près de 40% du tarif de l’électricité. En plus, cet obstacle systématique de AES/SONEL entrave tous les projets structurants visant à accroitre l’offre de l’énergie électrique au Cameroun. Face aux lourds coûts économique et social des délestages, mais aussi pour essayer de laver les accusations de laxisme et même de complicité avec AES/SONEL, les pouvoirs publics multiplient depuis quelques années des signes d’agacements devant les manquements chroniques de l’opérateur. En dehors des discours du Chef de l’Etat et d’autres officiels, l’adoption le 05 Avril 2011 de la loi sur la libéralisation du secteur de l’électricité est l’acte le plus significatif posé par le gouvernement prouvant sa volonté de s’affranchir du chantage permanent de AES/SONEL et surtout contourner les contraintes du contrat de concession. L’opérateur AES/SONEL l’a si bien compris qu’il exerce en moment une pression sourde sur les autorités afin de faire amender et/ou retarder la promulgation de cette loi qui visiblement, va ébranler son monopole dans le secteur.
10 ans de délestages, d’arrogance, de mépris et d’arnaque avec AES/SONEL, ça suffit. Pour les 10 prochaines années, tout en réaffirmant leur détermination à faire valoir leur droit légitime à une électricité de qualité à un prix abordable, les consommateurs exhortent la tutelle du secteur à faire preuve de plus de fermeté à l’égard de cette entreprise, notamment en exigeant un strict respect de tous les engagements contractuels pris en Juillet 2001. La 2ème révision quinquennale du contrat de concession qui devrait en principe intervenir avant la fin de cette année 2011, est une occasion exceptionnelle pour l’Etat d’agir dans le sens des intérêts du pays et des consommateurs. Quoiqu’il en soit, l’impopularité et l’incompétence de AES/SONEL sont telles qu’à défaut d’une renationalisation du service public de l’électricité, il faut impérativement liquider le monopole privé dans ce secteur de souveraineté d’intérêt stratégique pour le Cameroun.
