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La machine est devenue folle

Par Haman Mana C'est un remake à la sauce bantoue d'un classique de la littérature d'épouvante, repris par le cinéma…

Par Haman Mana

C’est un remake à la sauce bantoue d’un classique de la littérature d’épouvante, repris par le cinéma et le théâtre : l’histoire du Dr Frankestein, apprenti-sorcier génial, qui dans ses expériences fabriqua avec des cadavres humains une créature à qui il réussit à insuffler la vie. Cette créature d’épouvante sema la panique, puis finit par s’en prendre à son maître et créateur. Dans un épilogue tragique, la créature et son maitre s’abimèrent, l’une et l’autre, pour mettre fin à la monstruosité que représentaient le monstre et celui qui en eut l’idée.

L’opération dite « épervier », en fait l’épuration politico-mafioso-tribale à tête chercheuse des responsables du système Biya, vient de nous montrer l’une de ses versions les plus risibles, mais aussi des plus inquiètantes : l’arrestation-humiliation-libération du ministre des Enseignements secondaires, Louis-Bapès. Ce personnage sans grande couleur, qui fait partie du paysage biyaien au point de s’y confondre, a été convoqué avant-hier par un juge d’instruction du Tribunal criminel spécial, placé sous mandat de dépôt, reçu par le régisseur de la prison de Kondengui, installé au quartier 7 de la prison, avant d’être remis en liberté vingt-quatre heures plus tard. On imagine que ce matin, il va vétir son costume, nouer sa cravate et aller s’asseoir sur son fauteuil de ministre. Dans la chronique des faits de justice loufoques, l’ « Epervier » nous avait fait passer la ligne du ridicule et de l’incohérence. Cette fois-ci nous allons loin, bien loin au-delà. On tutoie le fantasque. L’ubuesque.

Pour qui connait la « Justice » du Cameroun, on sait qu’il est impossible pour un petit juge d’instruction de prendre sur lui la mise sous mandat de dépôt d’un ministre en fonction. Pour ces cas-là comme pour d’autres, les instructions viennent « d’en haut ». il est donc clair que l’arrestation et l’incarcération de Louis Bapès n’a pas échappé à ce schéma. Son subit et spectaculaire élargissement aussi.

La pantalonnade Bapès nous permet de tirer quelques conséquences : d’abord, il faut comprendre qu’aujourd’hui au Cameroun, n’importe qui, n’importe quand, n’importe comment et pour n’importe quoi, peut être arrêté par une machine judiciaire dont on ne sait plus si elle est mue par la loi ou l’aloi. Ensuite, il faut avoir désormais à l’esprit que, sur une question grave concernant les affaires de l’Etat, un ordre et un contrordre, une décision et son contraire peuvent à tout moment jaillir « d’en haut ». Un « en haut » dont on ne maîtrise plus ni les contours, ni les locuteurs, ni les interlocuteurs.

Quand on aura fini de rire de ces bouffonneries grossières qui en disent long sur le type de république sous laquelle nous vivons, il faudra qu’on s’interroge sur les jours prochains du Cameroun. En trente ans de Biyaïsme, les Camerounais avaient pris l’habitude de faire avec un chef, qui faisait des gouvernements, respectait un certain nombre d’usages politiques et républicains, bref, « tenait » son système.
La machine si huilée depuis le temps est-elle en train d’échapper à son maître ?

Haman Mana
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