OpinionsNon classé, Opinions, Tribune




Le Cercle de Réflexions Economiques, Sociales et Politiques porte son regard sur la diaspora camerounaise

Il présente ce qu'on peut appeler un bulletin de santé politique de la diaspora camerounais engagée. Le CRESPOL, Cercle de…

Il présente ce qu’on peut appeler un bulletin de santé politique de la diaspora camerounais engagée.

Le CRESPOL, Cercle de Réflexions Economiques, Sociales et Politiques fondé et animé par Thierry AMOUGOU, nous donne ici une analyse de la structure, de la place et du rôle de la diaspora camerounaise politiquement engagée dans le marché politique camerounais. C’est une analyse profonde au-delà des accusations creuses des tireurs aux flancs et des carences analytiques manifestes des militants naturels du RDPC sous des masques de journalistes. Il présente ce qu’on peut appeler un bulletin de santé politique de la diaspora camerounais engagée. Cette première partie (I) de l’analyse répond aux deux premières questions. La deuxième partie (II), déjà prête, suivra. Elle répond aux deux autres questions que pose le CRESPOL. Orpheline d’idées neuves, de paroles dissonantes et d’un renouvellement de ses figures politiques dans un pays tenu en laisse depuis plus de trente ans par une dictature aseptisante, le marché politique camerounais découvre depuis quelques temps un acteur qui compte : la diaspora camerounaise politiquement engagée. Cet acteur compte moins directement en termes de poids électoral ou de capacité effective à évincer illico la dictature camerounaise, qu’en termes de critique radicale. Critiquer radicalement revêt trois dimensions au moins :

* attaquer le mal à la racine, sortir des épiphénomènes et considérer que le mal camerounais depuis 1960 a pour causes à la fois les carences de gouvernance d’hommes à la tête de l’Etat et la nature dictatoriale des régimes mis en place par ces hommes ;

* ne pas mettre de gants pour dénoncer haut et fort les travers du régime de Yaoundé et de ses leaders ;

* mettre en pratique l’action critique sur le terrain en complément de la critique prosaïque, qui malgré le fait qu’elle soit aussi une action, a besoin d’être complétée d’expéditions punitives liant le discours critique aux gestes critiques. Sans nécessairement se coordonner, les principales unités du CODE et du CCD sont dans cette veine via des actions qui assurent la cohérence entre les actes de terrain et le discours de la critique intellectuelle.

Cette stratégie se situe ainsi en droite ligne de ce que disait Karl Marx en affirmant que la philosophes n’avaient fait qu’interpréter le monde et que le plus important était de le changer en s’appuyant sur la critique intellectuelle comme aiguillon et inspiration de l’action de terrain. La connaissance et la critique de l’ancien monde par la pensée non conventionnelle sont les faits de l’esprit, sa matérialisation, celui d’hommes et de femmes d’os et de chair. Raison pour laquelle le programme de recherche scientifique de Karl Marx était aussi un programme de combat politique même si ses prédictions apocalyptiques ne furent pas toujours autant justes que ses constats factuels.

Cette diaspora politiquement engagée construit aussi des valeurs qu’elle juge positives pour l’Afrique et le Cameroun. C’est ce travail que fait depuis quelques années la Fondation Moumié via un prix qui exalte et encourage les Africains qui, malgré les ténèbres généralisées de la mal gouvernance, maintiennent le flambeau de l’excellence des idées et des pratiques: le travail de mémoire n’est donc pas seulement un travail de marquage identitaire ou de revendications dérivant vers une névrose handicapante de la mémoire. Il est aussi et surtout une uvre de transmission de valeurs fondamentales qui tiennent des sociétés ensemble. Il en résulte que l’action politique de la mémoire surplombe les partis politiques car elle vise la consolidation de la nation par la construction de références communes, des totems civiques comme poutres du vivre ensemble.

Si nous mettons de côté, parce que déjà analysée ailleurs, une faiblesse relative et non absolue de cette diaspora dont la manifestation se traduit via des dissensions et des critiques endogènes et réciproques d’actions allant parfois dans le même sens au point de refléter l’image d’un melting-pot d’acteurs disparates et concurrentiels, son examen met aussi en évidence ce que l’on peut appeler l’urgence de son heure de vérité. C’est-à-dire une esquisse de réponse aux trois questions suivantes : A quel type de marché politique appartient-elle ? Quelles formes de participation politique promeut la diaspora camerounaise politiquement engagée ? Ses revendications se situent-elles de côté offre du marché politique camerounais ou du côté demande de celui-ci ? Pouvons-nous imaginer un critère pour sa crédibilité politique dans le futur de ce pays ?

Le caractère protéiforme du marché politique camerounais
A l’instar de bien d’autres marchés politiques subsahariens, nous pouvons approcher le marché politique camerounais comme un espace physique et immatériel où se rencontrent, non seulement une offre politique et une demande politique, mais aussi une offre de pouvoir et une demande de pouvoir. C’est donc un marché dual car structuré en deux composantes interdépendantes : la composante offre/demande politique et la composante offre/demande de pouvoir. L’offre politique théorique est construite et mise à la disposition du peuple camerounais par les partis politiques, les anciennes puissances coloniales et la société civile sous formes de programmes et de projets de sociétés. La demande politique quant à elle émane de la société camerounaise avide d’un projet de société qui améliorerait ses conditions de vie dans toutes les dimensions. En ce qui concerne le compartiment pouvoir, l’offre de pouvoir est du ressort du peuple camerounais détenteur du pouvoir dans un ordre des choses qui serait démocratique. La demande de pouvoir provient elle des leaders politiques camerounais candidats à plusieurs types de scrutins.

La concurrence monopolistique est la règle au sein de ce marché. Cela veut dire qu’un ensemble de programmes et de projets de société portant l’estampille de chaque parti politique ou de groupes de pression fondent la concurrence politique. Mais cette estampille joue aussi, à l’instar d’une marque pour un produit commercial, le rôle de différenciation entre programmes et projets de sociétés substituables : c’est la base du monopole car la marque est signe de monopole. C’est cette concurrence monopolistique qui devrait, en temps normal, aiguiller le choix des Camerounais parmi les différents candidats et, ainsi, donner une information sur les offres politiques susceptibles de rencontrer et/ou former une demande politique et vice-versa. La situation est plus compliquée du côté offre et demande de pouvoir. Sans démocratie, le peuple n’y est pas offreur de pouvoir car les élites qui le détiennent et se reproduisent depuis l’Etat-colonial ont fait du vote un mécanisme qui consiste à garder le pouvoir en transformant le peuple camerounais en une tête de turc. En conséquence, si nous considérons uniquement l’élection présidentielle, il apparaît que la dictature monopartiste d’Ahidjo et la dictature multipartiste de Biya ont entraîné le braquage de l’offre de pouvoir du peuple camerounais en transformant le marché politique camerounais d’une concurrence monopolistique (cas démocratique) en un monopole depuis 1960. Le Cameroun présente en effet un seul offreur politique (le parti au pouvoir) face à une multitude de demandeurs (société et partis politiques), puis un seul offreur de pouvoir (le parti au pouvoir) face à une multitude de demandeurs de pouvoir (partis politiques, société).

Le vote devient ainsi un moment de braquage politique car le peuple ne détenant pas le pouvoir ne peut donner ce qu’il n’a pas à quiconque le sollicite. Le régime en place depuis l’indépendance et sa reproduction sous Biya possède tous les pouvoirs et, de ce fait, braque ledit peuple à la manière d’une banque par des gangsters. Aussi, en termes d’avantages comparatifs stratégiques entre partis en course pour la conquête du pouvoir, l’UC, l’UNC et son avatar contemporain le RDPC, détiennent un avantage de séniorité lié au fait qu’ils ont hérité du pouvoir exécutif sans l’aval du peuple camerounais alors que les nouveaux partis politiques doivent le conquérir en passant par des urnes. Ce qui revient à demander au peuple camerounais un pouvoir qu’il n’a jamais eu depuis l’Etat-colonial. Le vote est donc crucial dans un Cameroun où celui-ci garde un statut colonial, c’est-à-dire soumis à l’arbitraire des puissances hégémoniques et donc sans effets émancipateurs sur la société. L’avantage de séniorité dont nous parlons pour le RDPC lui confère automatiquement un droit de seigneuriage via la gestion discrétionnaire du calendrier électoral, le rallongement des mandats désuets de députés et de maires, les manipulations de scrutins et des innovations biométriques non participatives.

C’est en complément à ce champ national comportant déjà 292 partis politiques légalisés que la diaspora camerounaise politiquement engagée s’est frayé un chemin via ses activités à l’échelle extranationale. Cette dimension extranationale du marché politique camerounaise est aussi duale et composite. On y rencontre un côté offre/demande politique et un côté offre et demande de pouvoir qui s’adressent au marché politique nationale. Des intellectuels, des activistes, des associations et les partis politiques au pouvoir y croisent le fer avec les partis politiques d’opposition sur la gouvernance du Cameroun depuis 1960. La concurrence monopolistique battue en brèche sur le plan national par l’avantage de séniorité du RDPC ne joue pas ici dans les activités politiques de ces différents acteurs. Il rejaillit en terre camerounaise, c’est-à-dire au sein des ambassades camerounaises où la séniorité du pouvoir reprend tous ses droits et peut agir en faveur du pouvoir en place.

Quelles formes de participation politique promeut la diaspora camerounaise politiquement engagée ?
En Occident, la démocratie représentative voit surgir comme critiques dans ses interstices, la démocratie participative. Celle-ci met en évidence le jeu malsain des alliances, marché secondaire du vote au sein des partis politiques après un marché primaire où s’opèrent les premiers choix réels des citoyens. Elle critique aussi la défiguration du peuple par la représentativité et le décalage des modes de vie et de patrimoines entre le peuple et ses représentants. La démocratie participative devient ainsi à la fois un objectif et une tentative de mimer à nouveau la démocratie directe d’Athènes. C’est une volonté de réintroduction de la proximité entre le représentant et le peuple, un ardent désir de faire coïncider le visage du pouvoir et la figure du peuple. En conséquence, les vieilles démocraties occidentales voient apparaître de formes inédites de participation citoyenne à la vie de la cité. Nous pouvons les signaler via quelques figures de styles. Dans plusieurs villes occidentales, les altermondialistes participent au combat politique contre le néolibéralisme par des forums, des conférences, des marches contestataires, le trouble des réunions de Davos ou du G20, l’affrontement avec les forces de l’ordre et le saccage fréquent des biens publics. Des ONG comme par exemple Greenpeace déploient de gros moyens (hélicoptères) pour pénétrer des centrales nucléaires, des plates formes pétrolières et montrer ainsi leurs carences sécuritaires de court et de long terme.

En Russie et ailleurs, de jeunes femmes, les femen, utilsent leur nudité (seins nus et écritures sur le corps) comme moyen de contestation politique. Les Tunisiens et les Marocains s’immolent au feu quand les Espagnols occupent des espaces publics via le mouvement des indignés, et les Américains Wall Street pour dénoncer les dérives de la finance globale. Dans d’autres villes occidentales, des diapositifs participatifs sont mis en place dans le cadre de ce qu’on appelle la démocratie urbaine relative à la vie dans la ville. On voit apparaître des individus qui tiennent des discours incohérents, irrespectueux des autorités et des experts quels qu’ils soient. Toutes ces formes atypiques de participation sont des symptômes d’une démocratie représentative de moins en moins satisfaisante pour certains Occidentaux qui jugent qu’on ne les écoute pas. Un des grands défis en ce moment en Occident est donc de réinventer des cadres où ces citoyens d’un nouveau genre auront non seulement droit à la parole mais aussi un destin politique à leurs revendications. La leçon politique qui en sort est que lorsque les citoyens ne sont pas écoutés au sein des dispositifs traditionnels, ils ne respectent plus les cadres réglementaires en vigueur. Ils cherchent l’extraordinaire pour se faire entendre dans des lieux qui n’autorisent plus que l’ordinaire et donc évacuent la critique originale. Il va sans dire que si les limites de la démocratie représentatives entraînent une innovation participative de nature peu orthodoxe en Occident, les dictatures en font autant dans de nombreux pays sans démocratie. Le comprendre revient à constater que ce que font les altermondialistes par rapport aux autorités des grandes puissances économiques, ce que font les femen avec leurs seins exhibés même dans des Eglises et ce que fait Greenpeace sont des actes, des gestes et des actions critiques à l’égard des pouvoirs politiques et économiques antidémocratiques et oppressants.

En conséquence, les expéditions du CODE à l’Intercontinental de Genève, les actions du CCD chaque fois que le Président Paul Biya passe par Paris, sont des actes politiques, des actions critiques, des gestes contestataires exactement de même nature. Ce sont des actes, des gestes et des actions critiques et contestataires de la dictature en place au Cameroun depuis 1960. Située dans le segment extranational du marché politique camerounais et bénéficiant de la liberté d’expression qui y existe généralement, la diaspora camerounaise politiquement engagée enrichit le marché politique camerounais de ces nouvelles formes de participation au jeu politique national via des moyens que ne contrôle pas le pouvoir de Yaoundé. Le journaliste qui n’a pas la moindre capacité analytique et conceptuelle de le voir est tout simplement peu outillé pour lire le jeu politique international à l’aune de la métamorphose du comportement citoyen à l’âge global où se dilate le modèle participatif traditionnel. Il n’a pas la culture politique nécessaire pour penser comment cela s’opérationnalise à travers le monde par des dispositifs contestataires et participatifs inédits, des actions à la lisière du conformisme et de l’orthodoxie politique. Autant ces formes atypiques permettent aux démocraties occidentales de continuer à s’améliorer, autant elles sont des instruments de combats contre des dictatures africaines qu’elles interrogent de façons originales.

Les faits stylisés participatifs ainsi mis en évidence par les actions du CODE et du CCD n’épuisent pas l’éventail participatif que la diaspora camerounaise offre au marché politique camerounais. Elle promeut aussi la participation « particratique », c’est-à-dire via l’adhésion aux partis politiques camerounais, la participation via la critique intellectuelle, complément à l’unité des actions et des gestes critiques de terrain, la participation associative via de multiples associations qui interviennent sur la scène politique camerounaise, et la participation cybernétique en mettant en liaison interlocutives et critiques via des forums des Camerounais et des Camerounaises disséminés à travers le monde. Cela dit, en dehors des limites relatives que l’on peut relever ici et là, la diaspora camerounaise politiquement engagée existe et est désormais un acteur politique qui compte. La preuve en est que la sécurité présidentielle est désormais sur ses gardes chaque fois que Paul Biya se déplace dans les capitales occidentales où, sans mettre sa vie en danger, il est certains de rencontrer des actes, des actions et des gestes critiques par rapport à lui et son régime trentenaire. Elle existe aussi et compte parce qu’elle enrichit le marché politique camerounais du développement de nouvelles formes de participation. Elle compte parce que les hommes politiques camerounais et leurs partis s’intéressent à elle et lui font des appels de pieds sous formes de pactes politiques. Elle maintient la vitalité politique du marché politique camerounais grâce à la critique radicale. Elle compte de plus en plus politiquement car des tireurs aux flancs s’en prennent à elles comme on lancerait des cailloux sur un arbre avec de beaux fruits. Ils veulent exister et se définir en critiquant cette diaspora camerounaise comme le font par ailleurs des militants naturels et inconscients du RDPC sous les masques de journalistes sans talent analytique de voir au-delà de l’écume des choses.

Thierry Amougou, macro économiste, enseignant-chercheur