Les initiateurs parlent du renforcement des capacités, des observateurs parlent d’une confiscation des élections par l’administration
Deux dispositions essentielles sont visées
Ce vendredi 26 mars 2010, l’Assemblée nationale camerounaise réunie en séance plénière a examiné un projet de loi portant modification de l’organisation d’Election Cameroon (ELECAM), l’organe chargé de gérer les élections en toute indépendance. Deux articles sont visés selon l’exposé des motifs du projet de révision, dont JDC a pu obtenir une copie. La modification de l’article 7 présente une nouvelle implication des partis politiques et la participation de leurs représentants ou de ceux des candidats aux étapes du processus électoral (révision des listes électorales, distribution des cartes, déroulement et dépouillement du scrutin, recensement des votes). Selon le nouveau projet de loi, alors que les commissions communales de supervision seront placées sous la présidence effective des représentants d’ELECAM, les commissions départementales de supervision, les commissions régionales de votes seront présidées par un magistrat de l’ordre judiciaire. Autre modification, l’article 40 de la même loi. Cette modification précise explicitement qu’ELECAM bénéficie désormais dans l’exécution de ses missions, de la collaboration et des appuis des administrations de l’Etat.
Les experts critiquent
Les initiateurs du projet de modification affirment qu’un tel réajustement constitue un facteur de transparence, voire un acquis à préserver, pour amener les protagonistes du jeu électoral à intégrer une culture d’acceptation du verdict des urnes. La modification de l’article 40 a été justifiée par une volonté de conjuguer les expériences de tous les acteurs concernés par le processus électoral. Pour Mathias Owona Nguini un politologue très réputé au Cameroun, les réajustements qui ont été faits trahissent l’intention de l’ordre dominant administratif de reprendre une part considérable du contrôle dans l’organisation des élections au Cameroun. On est dans une entreprise de verrouillage du processus électoral par l’ordre gouvernant, qui joue de la dialectique entre l’administration centrale et l’autorité administrative qu’est Elecam, a-t-il ajouté. Pour sa part John Fru Ndi qui donnait une conférence de presse hier à Yaoundé. La mise à l’écart de la société civile garante, selon certains commentaires, d’une certaine neutralité est la preuve que l’administration majoritairement constituée des cadres du RDPC veut tout faire pour y conserver le président national Paul Biya.
La désillusion des défenseurs d’élections transparentes
Dans ses différents discours ces dernières années, le président de la république Paul Biya a toujours présenté ELECAM comme un des actifs de son bilan. La preuve manifeste du renforcement de notre processus démocratique déclare-t-il très souvent. La loi de modification a toute les chances de passer et les débats vont certainement s’ouvrir dès ce week-end. Le président du Social Democratic Fund n’exclut pas l’idée d’un boycott des élections. Nous voulons, à travers la presse, dire au peuple que nous rejetons ELECAM. Paul Biya vient d’envoyer à l’Assemblée nationale un projet de loi tendant à amender cet Elecam en y introduisant toutes les commissions électorales qui existaient auparavant a-t-il déclaré. Au mois de janvier, l’administration avait procédé à la rétrocession symbolique du matériel des élections à ELECAM. Tout un symbole. À partir de cette remise du matériel à ELECAM, cet organisme est désormais responsable de la gestion et de l’organisation des élections au Cameroun, avait déclaré le gouvernement par la voix de Marafa Hamidou Yaya, le ministre en charge de l’administration territoriale. De nombreux observateurs s’interrogent aujourd’hui sur les raisons effectives de la modification de la loi portant organisation d’ELECAM.
Le paradoxe d’une modification
A la façon dont on a procédé à la mise sur pied de l’organe, de nombreuses organisations de la société civile avaient envisagé le risque d’une impréparation d’ELECAM à pouvoir organiser des élections. Chose que le gouvernement et le RDPC avaient rejeté d’un revers de la main, accusant ces observations de manipulations contre les grandes ambitions du chef de l’Etat Paul Biya. Les observateurs de la scène politique avaient aussi déploré le fait que le conseil électoral de cet organe soit constitué en majorité des personnes acquises au parti au pouvoir. Nouvelle contre-offensive du gouvernement qui argumentait que ces personnes avaient démissionné du parti. Il semble évident aujourd’hui que ces membres aient soit un parti pris, soit aucune conscience du rôle qui est le leur. Malgré ce projet de loi qui va affecter la crédibilité d’ELECAM et diminuer leur pouvoir, aucun d’eux n’a fait montre de protestation. Au mois de février dernier, ELECAM n’avait pas encore réussi le recrutement de ses agents de terrain et ne possédait pas encore de budget pour son fonctionnement. Une situation qui devait s’arranger, disait son Directeur général Mohaman Sani Taminou. Aujourd’hui, c’est pour palier à son incapacité que son organisation va être modifiée, un vrai paradoxe.
