Dan Rugabira, Coordonateur sous régional pour l’Afrique centrale de l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO)
L’Afrique s’est dotée en 2001, d’une stratégie pour le développement de son secteur agricole dénommée Programme Détaillé de Développement de l’Agriculture Africaine (PDDAA).Ce programme avait été assigné d’objectifs très ambitieux, notamment une croissance annuelle moyenne de 6% et l’atteinte pour l’année 2015 de la vision suivante:
1. Des marchés agricoles dynamiques dans les pays africains et entre les régions africaines ;
2. L’agriculteur africain devient un acteur important dans l’économie de marché et un exportateur net des produits agricoles ;
3. L’agriculture africaine devient créatrice des richesses pour les populations rurales ;
4. La science et la technologie comme atout stratégique pour répondre aux besoins du secteur agricole ;
5. Une agriculture respectueuse de l’environnement et de la gestion durable de l’environnement, prenant en compte les nouvelles connaissances en information et technologies.
Fin 2013, nous constatons avec amertume que l’Afrique est loin d’atteindre ces objectifs, en dépit des efforts notoires à souligner dans quelques pays.
Les objectifs 4 et 5 ci-haut évoquent l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Aujourd’hui une grande proportion de la population de l’Afrique subsaharienne, souffre des problèmes de faim et de malnutrition. L’Afrique Centrale, malgré ses nombreuses ressources en terres fertiles, en ressources halieutiques et minérales n’est pas en reste. Selon les données récentes sur la malnutrition infantile dans la région, les taux de malnutrition aigüe et chronique sont très alarmants. De 20% au Gabon, 29% en Guinée Equatoriale, de 38.1 au Cameroun, ce taux monte à 58% en RDC.
L’apport de l’agriculture
Toutefois, une lueur d’espoir semble poindre à l’horizon car tous les pays de la région, reconnaissent l’importance que doit jouer l’agriculture dans leur développement et lui consacrent une part importante dans leur vision de développement à moyen terme. Pour que l’agriculture puisse promouvoir le développement global et créer des richesses pour nos populations, elle doit être capable d’intégrer et d’utiliser les nouvelles technologies de l’information et de la communication à travers les outils les plus répandus et accessibles aux masses, à savoir les téléphones mobiles.
L’Afrique de l’Est semble avoir compris ce message et a fait des efforts notables dans l’utilisation des Smartphones dans plusieurs secteurs économiques et particulièrement dans le secteur agricole. Le Sommet de Kigali intitulé Transform Africa (octobre 2013) – au cours duquel le Président Ali Bongo Ondimba a prononcé un brillant discours ainsi que la Conférence Internationale de Kigali, qui s’est tenue en novembre 2013, consacrée spécialement à l’application des TIC à l’Agriculture, ont démontré à suffisance que les TIC sont un ferment de développement important et ont recommandé leur adoption rapide en Afrique.
La pénétration du téléphone mobile dans notre région est très élevée et de loin supérieure à celle de l’Afrique de l’Est. Par exemple, selon les données de l’Union Internationale des Télécommunications, les souscriptions des téléphones mobiles pour 100 habitants en 2012 sont de 64 % au Cameroun, de 102% au Congo, de 187% au Gabon, mais de 72 % au Kenya et de 50 % au Rwanda. Par contre, les utilisations téléphoniques ainsi que les applications qui ont été développées en Afrique de l’Est donnent de l’avance à cette région et en font un modèle à suivre dans le domaine de développement des TIC.
Les applications des TIC dans le secteur agricole en Afrique de l’Est
Les applications TIC pour le secteur agricole répondent à deux catégories: les besoins et les utilisations directs de l’agriculteur ainsi que les informations nécessaires pour les besoins de la planification (utilisées notamment par les administrations et les organismes internationaux). Dans la première, on retrouve les applications pour les besoins directs de l’agriculteur :
a. Paiement mobile : l’application M-Pesa (ou mobile pesa= argent en swahili) permet de faire les transactions financières telles que le transfert d’argent, le paiement des factures et bien d’autres paiements par le biais du téléphone mobile. Pour l’agriculteur loin des villes, le M-pesa est une innovation majeure qui a remporté un franc succès. En effet, les personnes vivant en ville pouvaient tout d’ un coup envoyer de l’argent pour subvenir aux besoins de leur famille en milieu rural, lesquelles sommes étaient investies dans l’agriculture. Grâce à un simple SMS, l’agriculteur bénéficiaire est alerté du transfert et va tout de suite récupérer son argent auprès des kiosques M-pesa présents sur tout le territoire.
b. Bons d’échanges électroniques : beaucoup d’institutions ou organisations de vulgarisation fournissent de temps en temps des intrants et des outils agricoles, notamment les semences de qualité. Pour s’assurer que ceux-ci soient rapprochés des bénéficiaires et que l’argent destiné à leur achat soit utilisé de manière effective et à l’ achat des intrants, les bons d’achat électroniques sont émis. Un SMS avertit l’agriculteur bénéficiaire qu’un bon d’achat d’un tel montant lui est octroyé et qu’il peut récupérer les intrants auprès des boutiques/magasins d’intrants certifiés.
c. E-Soko, E-Cow : il s’agit de plateformes offrant des services de consultation aux agriculteurs à travers le téléphone mobile. L’E-soko (soko veut dire marché en swahili) fonctionne par souscription. L’agriculteur abonné reçoit un ensemble de conseils sur les pratiques agricoles de la saison, la prévision des pluies et des températures, les prix du moment des principaux produits agricoles. La plateforme permet également de mettre en contact les producteurs avec les acheteurs et ainsi favorise de bons prix pour les agriculteurs, tout ceci par un simple message électronique. E-Cow (cow signifie vache en Anglais) fonctionne de la même façon et s’occupe principalement du secteur de l’élevage. L’éleveur souscrit au service et reçoit de l’information sur la gestion du cheptel, la période propice pour la gestation, les méthodes de traite et d’alimentation, les facilités d’insémination proche, le contrôle des maladies et met en contact les vendeurs de bétails et les acheteurs, le tout sur son portable. Les évaluations de ces applications ont confirmé des gains monétaires importants aux agriculteurs et petits éleveurs. Les milieux ruraux bénéficiaires de ces applications sont sortis de la pauvreté.
TIC pour décideurs
La deuxième catégorie d’applications est utile pour la planification et s’adresse aux décideurs (les applications décrites ici ont été ou sont développées ou utilisées par la FAO Kenya) :
a. Utilisation des mobiles pour la surveillance de la vaccination et le déparasitage du cheptel. Cet outil permet d’avoir en temps réel l’état de vaccination du cheptel dans les villages et permet d’éviter les duplications des services par plusieurs projets ou services. L’application sert à collecter l’information sur la localisation de la zone de vaccination ou de traitement du cheptel, le nombre d’animaux traités, le service prestataire de soins et le nombre d’éleveurs bénéficiaires.
b. Surveillance des points d’eau pour les besoins de l’élevage : le Kenya est à 80% un territoire semi-aride ou aride habité par des populations nomades vivant pratiquement de l’élevage extensif. L’information sur les points d’eau est capitale et vitale pour ces populations car elle les aide à obtenir des prévisions sur le niveau de l’eau, la disponibilité des pâturages, la planification des migrations vers des zones de disponibilité en eau et, en période de grande sécheresse, prendre des mesures anticipées de déstockage et vente du cheptel. Le système d’alerte rapide est un moyen d’éviter les conflits entre communautés d’éleveurs, à cause de la ressource, car il facilite l’intervention humanitaire par les autorités en cas d’extrême sécheresse.
c. Transaction de marché de bétail et système de registre de maladies des animaux : la plateforme comporte deux activités. La composante de transaction de marché met en contact acheteurs et vendeurs de cheptel et autres produits animaux. La FAO en collaboration avec le service vétérinaire capte toute information de terrain sur les maladies du cheptel et ainsi alerte le service national vétérinaire sur les risques de maladies pour une réponse rapide. Tout ceci, simplement à l’aide d’un téléphone portable.
Evaluation de la sécurité alimentaire :
La FAO et les Ministères de l’Agriculture dans la plupart des pays du monde conduisent des enquêtes annuelles sur la production agricole. Au Kenya, la téléphonie mobile est utilisée dans la capture des données de l’enquête agricole. Ainsi, les données sur la localisation des échantillons, les zones de production et de déficit alimentaire sont enregistrées pour une analyse ultérieure.
Les pays de l’Afrique Centrale pourraient profiter de ces avancées en s’en inspirant. La jeunesse de la région devrait être encouragée à créer des applications TIC adaptées à l’agriculture locale. Par ailleurs, il est souhaitable que les administrations utilisent les TIC pour leurs besoins de planification, d’ enquête et de collecte d’informations.

FAO-Gabon)/n