Louis Banga Ntolo: «Il y a des limites à la bi-bancarisation en Afrique centrale»

Le Directeur général adjoint de la Sgbc évoque les obstacles financiers de la diaspora pour le développement de leurs pays…

Le Directeur général adjoint de la Sgbc évoque les obstacles financiers de la diaspora pour le développement de leurs pays d’origine

Comment résumez-vous la bancarisation ?
La bancarisation c’est le fait d’avoir un compte dans une banque. C’est aussi la possibilité de pouvoir accéder à tous les services bancaires qui sont associés à ce compte-là.

Et la bi-bancarisation ?
C’est un concept que l’ONG «Epargne Sans Frontières» a créé, dans le cadre de sa recherche sur les transferts d’argents des migrants, pour parler d’une situation où, une personne peut avoir un lieu de résidence qui est différent de son lieu de naissance, avoir un compte dans le lieu de résidence et un autre compte dans le pays d’origine. C’est aussi avoir un compte bancaire à deux endroits dans deux banques différentes ou alors dans deux banques différentes dans un même pays ou dans deux pays différents.

Quel est votre positionnement, vis-à-vis de cette thématique dans le cadre du séminaire organisé par la Banque africaine de développement à cet effet, compte tenu du fait que vous avez de hautes responsabilités dans une banque camerounaise?
Ma présentation se voulait être un résumé dans le cadre de la restitution du rapport sur les transferts d’argent des migrants africains. Le document présente des pistes de solutions pour permettre, non seulement que les coûts des transferts des migrants soient réduis, mais aussi, qu’on puisse les stimuler. Il est aussi question de voir comment faire pour qu’ils viennent intégrer, contribuer au développement des pays d’origine des migrants. Le fil conducteur est de dire: réduire les coûts de transfert et augmenter le nombre. Le rapport demande de chercher des pistes une fois que la quantité des transferts croît, de penser à la bi-bancarisation pour permettre aux migrants, en même temps qu’ils envoient de l’argent dans les pays d’origine, qu’ils essaient d’être porteurs des projets de développement pour pouvoir faire quelque chose : des investissements immobiliers, créer des entreprises dans les pays d’origine, etc. On n’oublie pas que quand ils font des transferts via les Sociétés de transfert d’argent (STA), cela va chez les récipiendaires, dont les banques ne s’occupent jamais. A elles de regarder les récipiendaires et de leur proposer d’être bancarisés.

Comment renverser cette tendance ?
Nous augmenterons en même temps le taux de bancarisation dans nos économies, et permettrons à ces personnes qui sont exclues du système bancaire d’entrer dans ce que l’on appelle « l’inclusion financière ». Parce que l’on pense qu’une personne qui n’a pas accès à des services bancaires ne peut pas envisager son avenir. Dans mon propos, il était question de dire qu’il y a des limites à cela, au niveau de la sous-région d’où je viens, et on peut les lever. J’ai essayé de les lister. Malgré le fait, il y a un droit au compte, l’instauration d’un service minimum, il y a une réglementation qui dit : « si le compte ne fonctionne pas, vous le fermez !» On tombe dans le taux d’attrition. Donc, il faudrait que nous touchions un certain nombre de leviers, pour essayer de nous assurer que nous pouvons faire un travail sans qu’il soit détruit le lendemain. Il s’agissait pour moi de présenter les difficultés, et à peu près les pistes de solutions pour des voies palliatives.

Par rapport à vos activités quotidiennes quel sentiment avez-vous vis-à-vis des démarches de « bancarisation » ou non des migrants et de la diaspora camerounaise?
La Banque que je représente est déjà dans un schéma de bi-bancarisation avec des conventions et des accords. Nous avons une agence du siège uniquement dédiée à la Diaspora afin d’initier des opérations avec le Sud, par rapport auquel nous faisons des remontées d’informations lorsque ces personnes veulent ouvrir des comptes au Cameroun. Nous envoyons des informations à une banque qui contacte ces personnes et leur donne le OK. Cependant, cette offre est très limitée et tous les Camerounais n’y ont pas accès. Lorsque nous sommes allés prospecter en Europe : France Allemagne, Suisse, Belgique, les clients ont fait savoir qu’ils ne pouvaient pas tous être domiciliés à la Société Générale. Cela voudrait dire qu’ils quittent la BNP, La Poste, etc. ce qui est invraisemblable. Nous ne pouvons pas les obliger à devenir un pur produit SG. Et c’est cela, la limite. C’est la raison pour laquelle, je préconisais qu’il y ait plusieurs banques dans le « process », afin qu’il y ait plus d’adhésion.

Vous avez signalé la présence de ces autres acteurs de l’informel, qui seraient d’après vous de sérieux concurrents. De quoi s’agit-il exactement ?
Ce n’est même pas de la concurrence. Ils se sont installés naturellement, comme plus proches du peuple. Ils ne sont pas dans un secteur régulé, avec les mêmes critères et réglementations qui s’appliquent aux banques. C’est un secteur qui est reconnu être dans le social, dans l’informel et qui peut travailler avec les gens qui n’ont pas besoin de justifier leurs revenus parce que leurs activités ne sont pas contrôlées. Ces personnes-là bénéficient généralement de la visite de ceux qui ont des petits projets et qui savent que la banque est trop lointaine trop lourde et trop chère pour eux. Ce secteur informel bénéficie automatiquement et logiquement par sa simplification, c’est à -dire qu’il y a la financiarisation et pas la bancarisation. Le récipiendaire ou n’importe quelle population ne considère pas qu’il y a un problème à son niveau parce qu’il peut trouver une structure avec laquelle il peut faire quelques opérations financières.

Est-ce que l’inclusion financière telle que vous la spécifiez rentre dans cette logique-là ?
L’inclusion financière est un concept. En 2003, le terme avait été enrôlé par les Nations unies et est devenue un objectif de développement autant que les OMD. L’inclusion financière est un objectif de développement, qui suggère d’élargir et de permettre au plus grand nombre des populations d’avoir accès aux services et produits bancaires afin que le taux de bancarisation soit plus élevé. La constance du taux de bancarisation en Afrique sub-saharienne étant d’à peine 10%. Si nous essayons d’atteindre les 20 voire 40% et pourquoi pas 80% de la population, la problématique de l’inclusion financière devient alors un challenge pour le développement. Mais cela ne peut pas se faire automatiquement. Il faudrait que le concept et la démarche soient accompagnés par les pouvoirs publics.

Et comment se positionne la Banque?
La Banque ne fait que ce qu’on lui demande de faire. La banque est dans un secteur complètement régulé. La Banque a un agrément, l’autorité monétaire. Nous sommes un intermédiaire à qui la puissance publique dit : « vous êtes garant du patrimoine que vous aura confié un client. Nous vous donnons l’agrément de pouvoir utiliser son patrimoine. Mais vous devez le lui rendre chaque fois qu’il en fait la demande ». La banque fait ce que la puissance publique peut lui demander de faire. Donc, si l’on crée un terreau favorable pour permettre à la Banque de pouvoir s’orienter vers l’inclusion financière, elle le fera.

Au terme de ce séminaire panafricain et au regard des présentations des participants, quel est votre appréciation des travaux?
Les débats ont été de très haute facture, nous avons eu des témoignages assez impressionnants. Sur le continent africain seulement, nous nous rendons compte que l’expérience du Maghreb devait être entendue et partagée, le gouvernement français, les grandes banques sont représentées. Tout le monde a conscience que ce sont des thématiques d’avenir. Tout le monde rêve d’avoir des économies, où un système financier est fort, c’est par ce créneau aussi que passe le développement. La thématique de l’éducation financière est essentielle, même pour la diaspora que l’on ne soupçonne pas. Laquelle n’est pas présente. Ce sont ces personnes que je voulais entendre pour savoir quels sont leurs désidératas, ce qu’elles pensent de la bi-bancarisation. Nous sommes convaincus qu’il faut faire quelque chose. En tant que banquier, mon rêve tous les matins et quand j’envoie les commerciaux, c’est de dire, « plus de clients, plus de crédits, plus de dépôts collectés ». De toutes les façons, l’inclusion financière est déjà même dans la stratégie d’une banque. Mais lorsque les pesanteurs existent, l’économie n’arrive pas à décoller, il y a du chômage, et même si le concept est là, la Banque peut toujours attendre, car, il n’y a pas le minimum pour permettre aux familles et aux personnes de pouvoir accéder à des produits bancaires.

Louis Banga Ntolo, Directeur général adjoint de la Société générale des banques au Cameroun
Journalducameroun.com)/n