Par Patrice Nganang
Serais-je a l’étranger que je n’aurai pas cru que l’infamie qui a eu lieu au Cameroun aie vraiment eu lieu – la néantisation de Lapiro de Mbanga, et l’héroisation de Charles Ateba Eyene. Le silence sur le héros national le plus célébré de ces derniers vingt ans, et l’invention d’un héros national a partir de l’écume de la droite. Et que celle-ci fut orchestrée par une décision extraordinaire – celle d’un qu’on me dit spécialiste de sciences politiques – Matthias Owona Nguini. Avec l’arrestation de Bapes Bapes, nous passons à autre chose. Le Cameroun aura donc passé sous silence le décès de Lapiro de Mbanga, ses funérailles, et tout ce qu’il aura été – Lapiro! Lapiro! Lapiro! Trente ans de musique auront ainsi été mis dans le silence d’une indignation, quand la meute astroturfée prenait la rue, avec devant elle Matthias Owona Nguini. Je dois dire que je n’ai jamais cru qu’il soit une force de changement. Son péché originel, m’a toujours mis sur les gardes. Mais ce qui m’a toujours fait douter est qu’il ait toujours manque le courage d’un jugement. Je précise ma pense: un intellectuel, c’est une analyse, basée elle sur un jugement, qui se fonde dans un paradigme précis. Trois piliers dont le premier forme des universitaires. Bref, il m’est toujours apparu comme un universitaire, jetant le jargon de sa discipline a la télévision pour éblouir, ce qui a lieu évidemment. La lignée de Mbembe, quoi.
Le jugement se situe, lui dans le feu de l’action, car alors il faut choisir. Et là l’analyste chez l’homme a toujours servi de poche d’esquive – ce qu’au pays on appelle ‘l’objectivité’. Ainsi jamais ne s’est-il soucié de ses étudiants incarcérés, même quand c’était tout a fait évident que ceux-ci étaient innocents, et à contrepartie étaient jetés dans des prisons aussi infâmes que Mfou – Herve Nzoubeth, Denis Emillien Atangana, Demanga sont des exemples les plus infâmes de sa fuite quand l’histoire de son propre amphi appelait le jugement. Ce qui cependant s’est joué a Yaoundé ces derniers jours révèle le jugement autant que le paradigme duquel il part – car l’héroisation de Charles Ateba Eyene demeure pour moi extraordinaire, et encore plus indigestible, parce qu’elle est assise sur le silence de la République sur la mort et l’enterrement d’un homme, Lapiro de Mbanga, qui aura passé 55 de ses 56 ans au Cameroun, et qui sera mort en exil, oui, mort en exil, après avoir passé 4 de ces 56 ans-là en prison pour rien! Voilà bien cet homme que durant sa vie la rue aura porté, aura questionné, aura suivi, aura défendu au final, et qui sera mort loin d’elle – comme tant de héros de ce pays!
Mais ce qui est le plus troublant pour moi, plus troublant même que le silence sur l’héroïsme de Lapiro de Mbanga, c’est le choix de Charles Ateba Eyene, l’apôtre du ressentiment comme ‘héros national’. Quoi? Quel choix écervelé! Lever les foules en jetant en pâture ‘les éperviables’ fait déjà le ‘héros national’ au Cameroun? Comment célébrer telle écume, quand je viens de passer un après-midi avec un de ces hommes qui a passé cinq ans en prison a Kondengui, et a été innocenté totalement dans ce Cameroun par le tribunal spécial devant lequel il a démontré son innocence justement, comme Lapiro avait démontré devant la Cour suprême la sienne et fut innocente? Comment célébrer ceux qui voient ‘les pédés’ partout dans leur misère, qui criminalisent le succès, qui se retournent contre l’excellence au nom des ‘sectes’? C’est ça l’héroïsme au Cameroun? Vraiment? Ca fait pitié! Le ressentiment, oui, c’est cela, et ce n’a jamais rien produit de bon, rien, rien, et rien. Voyez donc, chez nous ce sont ‘les éperviables’, ‘les pedes’, et ailleurs ce sont ‘les juifs’, ‘les noirs’ qui sont la cause des malheurs de la race. Élever le pire des poujadismes au rang d’héroisme dans ce pays, quand celui-ci est au creux de la tyrannie, ah quelle déroute intellectuelle! Il a parle de ‘vérité’. La vérité dans ce Cameroun de la tyrannie c’est ça vraiment, le ressentiment? Ah, me dit-on, que Charles Ateba Eyene c’était son ami, sinon venait de l’océan comme lui – c’est a se demander si c’est ainsi que notre professeur corrige ses copies. Donne les meilleures notes a ses copains, ou alors aux gens de sa tribu. Juste parce qu’il le peut. Ah, le pays organisateur! Ah, le pays organisateur! Les mêmes gens, les mêmes méthodes!
