Au cours d’une conférence de presse le ministre en charge de l’eau a imputé la situation qui prévaut, en partie aux plans d’ajustement structurel du FMI
Pas de solution définitive avant trois ans
Les images de personnes s’alignant pour s’approvisionner en eau devant un tuyau cassé ou un camion des sapeurs-pompiers est devenu courant. Le déficit en eau serait actuellement de 53.000 m3 à Yaoundé et de 165.000 m3 à Douala. Conséquence dans de nombreux quartiers, l’eau ne coule plus des robinets, ou épisodiquement, ou sous la forme d’un liquide peu clair. Les villes moyennes sont elles aussi touchées par la pénurie, ajoutées aux zones rurales qui n’ont presque jamais d’eau potable. Selon le ministre Michael Tomdjio en charge de l’Energie et de l’eau, deux facteurs principaux expliquent le déficit en eau potable dans la ville de Yaoundé. La sécheresse de ces derniers mois qui aura asséché le fleuve Nyong d’où part le réseau de distribution, mais aussi la vétusté des infrastructures et des réseaux. Le ministre accuse sur ce deuxième point le Fonds monétaire international et ses politiques d’ajustement structurel. «Pendant vingt ans le FMI nous a empêché de procéder à des investissements dans les secteurs sociaux» a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse, en ajoutant qu’une solution définitive n’était pas envisageable avant trois ans.
Des centaines de milliards empruntés pour la cause
Le ministre a repris en échos les arguments de la Camerounaise des eaux(CDE) chargée de la production et de la distribution de l’eau potable au Cameroun, et de la CAMWATER, habilitée à effectuer des investissements dans le secteur de l’eau. Pour certains experts, derrière cette situation catastrophique se profile concrètement un problème de gouvernance. A la responsabilité du ministère de l’Eau s’ajoute celle de CAMWATER et de la CDE. Le 21 janvier dernier, un prêt d’un montant de 66 milliards de FCFA a été concédé par l’Agence française de développement et la Banque européenne d’investissement pour remettre en état les infrastructures. Ils ont porté à 260 milliards de francs CFA, le portefeuille d’investissement dans ce secteur, sans que cela se traduise par des améliorations concrètes. Au cours d’un échange avec la presse après la signature de cet autre accord de financement, Basile Atangana Kouna, le Directeur Général de CAMWATER a déclaré qu’une partie de cet argent sera utilisée pour lutter contre la carence en eau courante dans la ville de Yaoundé. A la Camerounaise des Eaux, l’on pense qu’il faudrait seulement 40 milliards FCFA d’investissements pour combler le déficit de 60 000 mètres cubes d’eau dont Yaoundé a besoin par jour.
Une situation catastrophique
La distribution d’eau par des pompiers au Cameroun, un pays au potentiel hydraulique deux fois supérieur à celui de la France pour trois fois moins d’habitants, reste très impressionnante. C’est « une situation éc urante et inacceptable », estime pour sa part un responsable d’association ayant requis l’anonymat. « Cela traduit l’échec du système », indique-t-il. Par le ministre Tomdjio, on a appris ce weekend que le gouvernement a récemment adopté un programme de 400 milliards de FCFA pour renouer avec les investissements dans le secteur de l’eau, gelés depuis 20 ans, en raison des pressions du FMI. Mais une réalité demeure constante. Seulement 29% des ménages camerounais disposent d’un accès direct à l’eau potable, selon le gouvernement. Mais les observateurs font remarquer qu’être raccordé au réseau urbain ne constitue pas la garantie d’un accès permanent à l’eau courante. Aux inquiétudes légitimes des populations, s’ajoutent aujourd’hui les pressions d’associations de consommateurs, comme la Ligue camerounaise des consommateurs (LCC) dirigée par le journaliste Delors Magellan Kamgang, qui exigeaient des explications. Pour une fois, même les journalistes des médias officiels se sont montrés très critiques à l’égard de cette situation.
Les experts critiquent le mensonge d’Etat
Le Cameroun est considéré comme l’un des pays africains les plus riches en ressources en eau. Le réseau hydrographique est dense mais inégalement réparti sur le territoire national (près de 72% des ressources sont situées dans la partie méridionale du pays). Le Cameroun partage d’importants bassins hydrographiques avec d’autres pays, c’est le cas des bassins du Congo, du Niger, du Lac Tchad et du bassin de l’Atlantique. Les ressources en eau souterraines sont estimées à environ 120 milliards de m3, et les ressources en eau renouvelables globales sont estimées à 285 milliards de m3 par an. En eaux souterraines, les statistiques d’AQUASTATS une institution sous contrôle du fonds mondial pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) rappelait en 2007 que la capacité du Cameroun était à près de 15 milliards de mètre cube d’eau exploitable par forage. Lorsqu’on sait qu’un mètre cube d’eau équivaut à 1000 litres, on imagine mieux le gap qu’il y a entre les potentialités, les prix appliqués à l’achat de l’eau et surtout les besoins. «Il reste établi qu’en 2007, seulement un milliards de mètre cube avait été utilisés pour les besoins en eau au Cameroun (irrigation, industries ménages et autres). Il me semble illogique de vouloir dire aux Camerounais que de ce moment-là jusqu’à maintenant, les changements climatiques ont asséché les fleuves du Cameroun en dessous de cette capacité, c’est une vraie insulte à l’intelligence» affirme un expert en hydrographie dégouté.
