Quand la littérature et le cinéma ne font qu'un!

La gémellité existant entre les deux formes artistiques n'échappe pas à la création africaine. Les cinéphiles n'ont pas manqué de…

La gémellité existant entre les deux formes artistiques n’échappe pas à la création africaine.

Les cinéphiles n’ont pas manqué de constater que la dernière édition du festival Ecrans noirs a fait la part belle au réalisateur sénégalais Ousmane Sembene. Une opération qui n’est pas sans rappeler les liens qui existent entre le promoteur de cet événement culturel d’envergure et le défunt. D’ailleurs, en parcourant leurs parcours respectifs, une donnée fondamentale émerge : tous deux se sont révélés à l’art par la littérature avant de poursuivre sur le chemin du septième art. Ce qui pose la problématique toujours intéressante du lien entre les deux formes d’art qui en, Afrique comme ailleurs, se mettent plus souvent ensemble qu’on ne saurait l’imaginer.
La relation entre la littérature et le cinéma, explique le critique Dominique Mondoloni  » est ancienne et multiforme. Bon nombre d’ uvres littéraires ont inspiré le septième art qui -lui aussi et plus d’une fois- a fait couler beaucoup d’encre. Qu’il s’agisse des thèmes abordés, de l’adaptation, du scénario, des dialogues, de l’histoire, du sous-titrage, de la traduction, de la critique comme de bien d’autres aspects, un lien intime et essentiel associe l’écrit et l’écran. »

Le réalisateur français Jean-Luc Godard disait déjà dans les années soixante que  » Ecrire c’est déjà faire du cinéma « . Pour le critique de cinéma Jean-Marie Mollo Olinga,  » un bon film c’est d’abord une belle histoire puis un bon scénario. Les deux sont indissociables dans l’art cinématographique « . En clair donc, le texte est à la base des deux formes d’art comme en atteste l’indispensable scénario. En Afrique, ce lien est plus étroit encore. Le critique Romuald-Blaise Fonkoua pense que  » la congruence de ces deux arts permet une économie de scénario. La littérature offre un canevas à la mise en image ; une possibilité de découpage en séquences filmiques et une compréhension immédiate du monde. Le roman, la nouvelle et surtout le théâtre sont pour le cinéaste des ‘prêts-à-filmer’ « . Avant d’ajouter que  » le roman laisse sa place à la fiction -au mensonge sans lequel il n’y a pas de littérature-, le cinéma prétend traduire la vérité. Il est un révélateur des situations sociales et des moeurs « .

Connivence
Joseph Fumtim, écrivain, éditeur et étudiant en art cinématographique à l’Université de Yaoundé I, pense pour sa part que  » la littérature et le cinéma offrent des formes esthétiques qui véhiculent des émotions proches. Ils mobilisent le même registre émotionnel parce que ce sont des formes d’art qui sollicitent le lecteur ou le spectateur.  » Une connivence que Ousmane Sembène, considéré comme le doyen du cinéma africain, considère comme étant au départ même de la création cinématographique du continent. Il déclarait avant sa mort que « Les cinéma d’Afrique (noire) sont les fils aînés de la littérature anticolonialiste « .

Selon le critique Alexis Tcheuyap, le texte littéraire est fondamental dans un contexte de rareté d’écoles de cinéma. Car  » l’écriture et la langue française demeurent, qu’on le veuille ou non, l’apanage d’une petite minorité. C’est donc pour combler les lacunes du système de production de la culture, que Ousmane Sembène décide de faire porter le discours littéraire par ses films. Il veut capitaliser sur la nature dénotative et suggestive de l’image pour permettre aux paysans marginalisés d’accéder au message filmique  » C’est alors qu’il se mettra à adapter à tour de bras ses uvres pour finalement atteindre l’objectif recherché. Dominique Mondoloni peut alors avancer que  » En Afrique, continent parfois présenté à l’excès comme étant celui de l’oralité, cinéma et littérature sont souvent si proches qu’il en devient délicat de discerner la part qui revient à chacun. L’ uvre de Ousmane Sembène, par exemple, est-elle séparable de son uvre cinématographique?  »

Bien sûr que non, tant rien que les titres renvoient aux uvres déjà connues ; du moins pour la frange lettrée du public. Depuis, des réalisateurs africains comme Mehdi Charef, Ali Ghalem, Tayeb Seddiki ou Merzak Allouache au Maghreb se sont engouffré dans la brèche ainsi ouverte à savoir l’écriture littéraire et la production filmique du même titre. Ou en adaptation des uvres écrites par d’autres comme cela a été le cas pour Med Hondo, Laurent Chevalier, Mansour Sora Wade ou Djibril Diop Mambety. Pour aboutir à ce que Alexis Tcheuyap appelle  » la relation de fécondation et d’engendrement réciproque « .

Sauf que des différences majeures existent entre les deux formes d’art comme l’explique le critique Moussa Konaté pour qui  » l’écrivain est celui qui pense son uvre et l’écrit, tandis que le cinéaste n’est pas forcément scénariste et réalisateur la fois « . C’est à ce niveau qu’il faut sans doute sonder l’inquiétude ou la lassitude des cinéphiles quand une adaptation n’emporte pas leur adhésion. Pour Joseph Fumtim,  » on attend souvent trop du réalisateur dans ces cas là, lui qui n’a pas toujours le temps technique de l’auteur. C’est pourquoi on parle d’ailleurs d’adaptation. L’autre chose à dire est que l’auteur dispose d’un aréopage d’outils à portée de main comme le temps alors que dans le cinéma, l’espace syntaxique est très faible. « 


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