Raymond Mbadiffo: « La réforme fiscale de 2012 s’éloigne du Droit OHADA! »

Expert du domaine fiscal, il apporte des précisions sur les modifications de la loi fiscale et en présente quelques insuffisances…

Expert du domaine fiscal, il apporte des précisions sur les modifications de la loi fiscale et en présente quelques insuffisances

Pourriez-vous vous présenter pour ceux de nos lecteurs qui ne vous connaissent pas?
Je suis Raymond Mbadiffo Kouamo, Docteur en Sciences de Gestion. J’enseigne, la comptabilité et la fiscalité, dans plusieurs universités en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest. Par ailleurs je suis consultant pour cabinet OKAPI, spécialisé dans la finance des marchés et installé à Cotonou au Bénin. Avant de m’y installer, j’ai travaillé au Cameroun dans plusieurs entreprises privées et dans des cabinets comptables. Je suis aussi auteur de quatre ouvrages dans lesquels, j’ai fais des analyses sur la comptabilité et la fiscalité des pays de la zone OHADA. Mon cinquième ouvrage, est encore à l’imprimerie et sera publié avant juin 2012. J’ai par ailleurs initié le site www.investir-afrique.com, pour contribuer à la vulgarisation de la comptabilité des entreprises privées et du droit des affaires OHADA.

Parlons de la réforme de la fiscalité au Cameroun. Vous lui trouver d’emblée deux limites?
Il ressort de l’analyse de la Loi de Finances 2012, des omissions aux articles 149 et C47 du Code Général des Impôts du Cameroun. Cette loi vient consacrer la suppression du régime de base. Elle ramène ainsi à trois, le nombre de régimes d’imposition, en même temps qu’elle fait du chiffre d’affaires le critère dominant de l’assujettissement à ces différents régimes. Les nouveaux régimes sont, celui de l’impôt libératoire, pour les entreprises individuelles, et dont le seuil d’assujettissement a été ramené à moins de 10 millions de chiffre d’affaires, au lieu des 15 millions antérieurement retenus; le régime simplifié, pour les contribuables réalisant un chiffre d’affaires égal ou supérieur à 10 millions et inférieur à 50 millions; et le régime du réel, pour les contribuables dont le chiffre d’affaires est égal ou supérieur à 50 millions.

Alors c’est quoi le problème?
La conséquence de cette réforme au regard de la TVA est que, les contribuables relevant du régime simplifié ne sont désormais plus redevables de la TVA, c’est-à-dire qu’ils ne la facturent ni ne la collectent plus. Or l’alinéa 4 de l’article 149 du Code Général des Impôts qui concerne le traitement en fin d’exercice du crédit TVA ou du supplément de la TVA à payer, pour les contribuables du régime simplifié n’a ni été modifié, ni été supprimé. Par ailleurs cet article mentionne encore le terme « régime du réel simplifié » qui ne devrait plus existe dans le Code Général du Cameroun au regard de la réforme. S’agissant de l’article C47. L’alinéa 13 de cet article concerne les contribuables du régime de base, or ce régime a été supprimé donc l’alinéa 13 devait être supprimé par la loi, mais la Loi de Finances 2012 mentionne plutôt la suppression de l’alinéa 14 qui n’existe même pas. Voilà pourquoi nous avons parlé d’omissions.

Est-ce que cette réforme qui ne prend finalement pas en compte la nature juridique des entreprises telle que définie dans la loi OHADA, n’aura pas des conséquences, sur la tenue de la comptabilité en leurs seins respectifs?
Les dispositions des articles 11 à 13 de l’Acte Uniforme OHADA relatif au Droit Compta distinguent trois systèmes de tenue de la comptabilité des entreprises. Le système normal de comptabilité, le système allégé et le système minimal de trésorerie. Cette distinction est basée en gros sur le chiffre d’affaires de l’entreprise. Le système normal s’applique à toutes les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 100.000.000 FCFA. L’allégé s’applique (Entreprises de négoce dont le chiffre d’affaires est compris entre 30.000.000 FCFA et 100.000.000 FCFA ; entreprises artisanales dont le chiffre d’affaires est compris entre 20.000.000 FCFA et 100.000.000 FCFA ; entreprises de services dont le chiffre d’affaires est compris entre 10.000.000 FCFA et 100.000.000 FCFA) et le système minimal de trésorerie (entreprises de négoce dont le chiffre d’affaires est inférieur à 30.000.000 F, entreprises artisanales dont le chiffre d’affaires est inférieur à 20.000.000 F, entreprises de services dont le chiffre d’affaires est inférieur à 10.000.000 F Cfa

la nouvelle loi fiscale camerounaise respecte-t-elle ces différentes dispositions?
La législation fiscale camerounaise n’a jamais respecté ces prescriptions du Droit Comptable OHADA. Car les obligations comptables étaient fonction du chiffre d’affaires et de la forme juridique.
Le système normal pour les contribuables du régime du réel, c’est à dire pour les contribuables dont le chiffre d’affaires annuel (Hors taxes) était égal ou supérieur à 50 millions FCFA ; Le système allégé pour les contribuables du régime simplifié qui réalisaient un chiffre d’affaires annuel (Hors Taxes) égal ou supérieur à 30 millions et inférieur à 50 millions FCFA; Le système minimal de trésorerie pour les contribuables qui réalisaient un chiffre d’affaires annuel hors taxes compris entre 10 millions et 30 millions de francs CFA.
Nous constatons que la législation fiscale camerounaise s’éloigne des prescriptions du Droit comptable OHADA qui obligera certains contribuables à monter deux types d’états financiers : des états conformes aux prescriptions comptables et ceux conformes à la législation fiscale. Ce qui entraîne automatique un surplus de travaux comptables.

L’Etat a choisi de maintenir les avantages liés aux opérations boursières en conservant les exemptions pour une période de trois ans. Quel est votre avis sur le sujet?
Les dispositions de la loi de finances 2008 avaient renforcé les avantages accordés aux entreprises réalisant les opérations sur la place boursière du Cameroun. Toutefois, le bénéfice desdits avantages était conditionné à l’admission à la cote de la bourse avant la date du 1er janvier 2011. Ainsi, à partir de 2011 les entreprises cotées à la Douala stock exchange ne devraient-elles, plus bénéficier des avantages de ce régime de faveur. Afin de renforcer la promotion des investissements à travers l’incitation aux souscriptions auprès de la place boursière nationale et d’accroître l’attractivité du territoire camerounais, la Loi de Finances pour l’exercice 2012 proroge de trois ans à partir du 1er janvier 2012, le délai dans lequel doivent être réalisées les opérations ouvrant droit au bénéfice des avantages fiscaux du secteur boursier. Ce qui me semble important, parce que comme vous l’aurez constaté, le recours aux marchés financiers devient de plus en plus important pour les budgets des organisations, l’Etat y compris.

Raymond Mbadiffo
JDC)/n