Entretien avec le metteur en scène de la troupe « Art on Transit »
Parlez nous un peu de Saint-Dallas, la pièce que vous venez de présenter au CCF de Douala
Saint-Dallas c’est l’histoire d’un voyageur qui revient d’exil, et une fois à Saint-Dallas sa ville natale, il est totalement perdu au vu des différents changements que la ville a connue. Vous savez l’histoire de Jack Bauer à Yaoundé, les crises d’urbanisation, les casses de maisons, les déplacements de boutiques, tout cela trouble le voyageur et il ne se retrouve plus dans cet univers. Il est donc accueilli dans un bar par une serveuse qui de fil en aiguille lui raconte des histoires à dormir debout, des histoires d’amour, de misère, de galère et finalement il compati. Pourtant ce n’était qu’un bluff. C’est véritablement une farce préparée par cette serveuse parce qu’en fait le voyageur est un artiste qui vient au pays pour créer un spectacle avec ses collègues. Le lieu de rendez-vous c’est donc ce bar où il rencontre la serveuse qui n’est autre qu’une prostituée. Ce n’est qu’à la fin qu’il se rend compte que tout le spectacle, le jeu, les casses n’étaient que les moyens de l’embrouiller et de le resituer dans le contexte du pays qu’il a abandonné depuis longtemps. Ce sont des scènes qui nous sont proches, des histoires d’infidélité, d’alcoolisme, on parle aussi des fous, des gens qui animent nos rues. Comment nos cités sont passées de statut de village à la ville, bref nous essayons de peintre l’histoire de la modernisation de nos villes.
Ce n’est sans doute pas la première fois que vous présentez cette pièce, alors quelle a été la réaction du public lors de vos précédentes représentations?
La pièce a été créée à Lille en France en 2000 et j’avoue que les promoteurs culturels de là ont beaucoup aimé, surtout nos producteurs de l’époque qui étaient représentés par Barbara Boulay, metteur en scène, ce qui a permit d’avoir confiance à ce spectacle; C’était un retour très encourageant. Lille nous a accueilli, Aubervilliers à Paris, les gens ont beaucoup aimé et nous sommes revenus au Cameroun où nous avons joué ici à Douala à l’invitation du cercle des plasticiens Kapsiki qui avait organisé un mouvement appelé Scéno urbaine, c’était la première expérience de Saint-Dallas dans la rue, c’était à New bell. Puis nous avons été invités à Bruxelles, le public a bien accueilli le spectacle, tout le monde a aimé la façon dont évolue l’Afrique. Tout récemment nous étions au Centre Culturel Français de Yaoundé le spectacle a fait un tabac, ce qui nous a encouragé à venir le proposer au public de Douala, ceci pour la deuxième fois, la première en salle.
Votre troupe existe depuis à peu près trois ans, qu’est ce qui a motivé votre regroupement?
Je suis très passionné par le théâtre, j’ai fait des études d’art et spectacle à l’université de Yaoundé I. C’était une passion pour moi depuis le lycée et je me suis toujours entouré des amis qui font du théâtre, la musique, la danse et les étudiants qui m’ont vu travailler sont venus me demander si on pouvait travailler ensemble, j’ai juste transmis ce que j’ai appris aussi et c’est ainsi que la compagnie est née. Etant aussi en Europe, j’ai rencontré des amis allemands, français, belges, il y a avait une sorte d’éclectisme, de rencontre des cultures et des arts c’est à dire que le phénomène de fermeture des arts ne peut se passer au niveau de la culture. C’est difficile de fermer l’art. Il voyage, c’est le temps, c’est le vent, il va toujours d’une frontière à une autre sans demander le visa. Art on Transit répond à cela, c’est-à-dire veut juste regrouper les gens au Cameroun comme ailleurs et qui partagent l’idée selon laquelle, il n’y a pas de frontière dans l’art. La culture c’est un mixage. Je pense que notre identité est pluridimensionnelle. On ne saurait se limiter à nous mêmes. Certes nous appartenons à une nation qui est le Cameroun, mais le Cameroun c’est une terre d’accueil et notre compagnie se situe dans cette vision.
Vous qui êtes acteur, comment appréhendez-vous le théâtre camerounais?
Le théâtre camerounais est un théâtre qui fait des efforts et je pèse mes mots. Vous voyez nous n’avons plus de salles de théâtre, je ne dis pas que nous n’avons pas de théâtre; il y a des écrivains percutants dans ce pays, des dramaturges, metteurs en scène, des acteurs de qualité au Cameroun bien que physiquement on ne les voient pas beaucoup, j’encourage celles des associations qui se donnent aujourd’hui pour tâche de promouvoir les dramaturges, acteurs, comédiens et producteurs même sur le net, et même ceux des critiques, des journalistes comme vous qui continuez à faire votre boulot pour que nous puissions être vus et connus. Si non le théâtre camerounais existe, mais peine à s’épanouir ; Pour la simple raison qu’il n’est pas aisé de créer au Cameroun. Pas facile d’avoir des financements, et même quand on a réussi à en avoir ce n’est pas facile de remplir une salle de spectacle. Au Cameroun il n’y a pas encore la culture de la Culture, pas de culture du théâtre. Il y a encore beaucoup de travail à faire, sauf si on peut faire dans une catégorie comme la bouffonnerie qui semble être mieux consommée. Mais quand on fait un peu de théâtre élitiste, même les élites ne sont pas dans la salle.
