Constitutions africaines: Les bombes à retardement de 2015

L’année qui commence sera politiquement mouvementée dans certains pays d’Afrique subsaharienne: RDC, Congo, Burundi, Togo, Bénin

L’année qui commence sera politiquement mouvementée dans certains pays d’Afrique subsaharienne, où les révisions des normes fondamentales par des gouvernants désireux de se maintenir au pouvoir au-delà de leurs termes constitutionnels font débat et grondent comme les bombes à retardement de 2015, augure Serigne Ousmane Beye, analyste politique et enseignant à l’université de Dakar (Sénégal) dans un entretien à Anadolu.

Beye part d’un constat: les projets de révision constitutionnelle dans ces pays sont lourds de danger pour la stabilité du continent, qui se trouve déjà confronté à des rébellions, notamment en République Démocratique du Congo (RDC), au djihadisme au Mali, au Nigéria et au Cameroun, et à l’épidémie du virus Ebola dans sa partie occidentale.

Le cas du Burkina Faso (chute du régime de Blaise Compaoré, le 31 octobre dernier, qui voulait modifier la Constitution pour se maintenir au pouvoir) « devrait servir d’exemple », souligne-t-il, au-delà même de la région ouest-africaine, pour les Chefs d’Etat qui auraient la tentation de modifier les normes fondamentales de leurs pays pour déverouiller les dispositons constitutionnelles les empêchant de briguer un nouveau mandat.

Le président de la RDC, Joseph Kabila, qui ne peut, théoriquement, se présenter en 2016, puisque l’article 220 de la Constitution fixe à deux le nombre de mandats présidentiels, son homologue du Congo-Brazzaville Denis Sassou Nguesso, confronté, lui, à l’article 57 de sa Constitution qui l’empêche de se porter candidat aux élections de 2016, le président burundais Pierre Nkurunziza, soupçonné de vouloir se présenter une nouvelle fois en 2015 alors que la loi fondamentale ne prévoit que deux mandats, le Chef de l’Etat togolais, Faure Gnassingbé, appelé par l’opposition à opérer des réformes politiques, vue que la Constitution ne limite pas les mandats présidentiels et le Béninois Boni Yayi, qui ne peut pas se présenter en 2016, puisque la Constitution béninoise fixe le mandat du président de la République à cinq ans, renouvelable une seule fois, sont les principaux concernés.

A l’orée du 21ème siècle, où les peuples africains ont commencé à acquérir une maturité supérieure à la faveur, notamment, du développement des techniques de l’information et de la communication (TIC), de l’émergence de sociétés civiles actives et d’une nouvelle forme de citoyenneté aspirant aux techniques démocratiques occidentales tout en puisant ses sources dans des figures de proue nationales, « ces présidents sont appelés à méditer l’exemple burkinabé et le printemps arabe s’ils veulent quitter le pouvoir par la grande porte » selon l’universitaire sénégalais.

Si, en revanche, les chefs d’Etat susmentionnés refusent de tirer les leçons de l’Histoire récente et s’entêtent à s’accrocher au pouvoir malgré les exigences constitutionnelles, ils seraient alors dignes de cet adage qui dit: «le pouvoir grise et rend fou», prévoit Beye. C’est qu’il faudra s’attendre, selon l’analyste, à des remous dans leurs pays, où la détermination des peuples à vouloir faire respecter les principes et exigences constitutionnels sonnera le glas de leurs ambitions «démesurées».

Des ambitions «démesurées» si l’on considère que ce qui était valable au milieu du 20ème siècle par une gouvernance dictatoriale, ne l’est plus aujourd’hui, poursuit Beye qui estime que « la donne a changé. » De ce point de vue, l’universitaire sénégalais affirme derechef: «Nous sommes à l’ère d’une nouvelle civilisation de l’information et de la communication, d’une nouvelle citoyenneté et d’une prise de conscience affirmée de la jeunesse africaine.»

Afin d’épargner au continent une instabilité politique et sécuritaire assassine, l’analyste appelle la communauté internationale à agir en amont. Ce sera «en prenant des initiatives hardies de prévention et en rappelant les chefs d’Etat en question à l’ordre, au lieu d’attendre que le feu soit allumé pour jouer aux sapeurs-pompiers. Mieux vaut prévenir que guérir».

L’initiative américaine conditionnant, récemment, le déblocage de l’aide au Bénin par l’organisation en 2015 d’élections locales, sans cesse reportées depuis juin 2014, verse dans ce sens, fait-il observer. De même, que l’incitation faite par la voix du secrétaire d’Etat, John Kerry, à l’adresse des présidents africains, lors du dernier sommet Etats-Unis/Afrique, l’été dernier, à ne pas torpiller leurs Constitutions pour se maintenir au pouvoir.

«Ceci rejoint ce que nous disions plus haut, c’est-à-dire agir en amont, faire des pressions sur ces régimes et les amener à respecter leurs propres constitutions respectives», conclut-il.


Droits réservés)/n