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Terrorisme: la justice condamne Ahmed Abba à dix ans de prison

Le correspondant en langue haussa de RFI a également écopé d’une peine de 56 millions de francs Cfa d’amende pour…

Le correspondant en langue haussa de RFI a également écopé d’une peine de 56 millions de francs Cfa d’amende pour non-dénonciation et blanchiment des actes de terrorisme.

Il a fallu patienter des heures lundi, 24 avril 2017, pour entendre le juge donner la sentence qui condamne Ahmed Abba à dix ans de prison et 56 millions de francs Cfa d’amendes pour non-dénonciation des actes de terrorisme et blanchiment des produits de terrorisme.

Bénéficiant des circonstances atténuantes plaidées par ses avocats le 20 avril dernier, Ahmed Abba a ainsi échappé à l’emprisonnement à vie requise par le commissaire du gouvernement, conformément à la loi antiterroriste en vigueur dans le pays.

Pour le Syndicat national des journalistes du Cameroun (SNJC), la reconnaissance des charges de non-dénonciation de terrorisme est une entorse à la pratique du journalisme au Cameroun «C’est une punition contre la presse, c’est une volonté de criminaliser le métier de journaliste au Cameroun. La presse était jusqu’ici sous le coup d’une oppression silencieuse, et la condamnation d’Ahmed Abba est un message fort à l’endroit des journalistes qui osent encore exercer ce métier dans ce pays où l’on nous dit tous les jours qu’on est en démocratie», a réagi Denis Nkwebo, le président dudit syndicat.

Lundi, la direction de RFI s’est dite «consternée par le verdict du tribunal militaire de Yaoundé». Le conseil de la défense annonce qu’il fait appel de cette décision dès ce jour.

Ahmed Abba a été arrêté à Maroua, région de l’Extrême-Nord, le 30 juillet 2015 alors qu’il sort d’une réunion sur la sécurité organisée par le gouverneur Midjiyawa Bakari, huit jours après un double attentat attribué à Boko Haram dans la ville. «Les policiers m’ont demandé de les suivre et je les ai suivi», avait-il déclaré au cours de son procès. Pendant deux semaines, ce dernier est gardé à Maroua avant d’être transféré dans les locaux Direction générale de la recherche extérieure à Yaoundé. Les forces de sécurité tentent, par le biais des «tortures», de lui arracher des aveux sur ses actions en «complicité» avec des membres de la secte terroriste.

Durant trois mois, Ahmed Abba est gardé au secret, sans contact avec sa famille ni ses avocats. Des mois plus tard, le gouvernement camerounais avoue détenir le journaliste et le 30 octobre 2015, le ministre de la Communication Issa Tchiroma Bakary déclare sur les ondes de RFI «Ahmed Abba va bien.»

Le procès d’Ahmed Abba s’ouvre au Tribunal militaire de Yaoundé le 29 février 2016, un an après son interpellation. Il est jugé pour «complicité de terrorisme» et «non-dénonciation des actes de terrorisme». Il lui est reproché d’avoir été en contact avec des membres du groupe islamiste Boko Haram et de ne les avoir pas dénoncés auprès des autorités, de s’être trop souvent retrouvé sur les lieux des attentats et d’avoir fourni des informations aux terroristes.

«Je suis journaliste et dans le cadre de mon travail il arrive souvent que je reçoive des coups de fils de certaines autorités et sources qui me préviennent qu’un attentat vient d’avoir lieu dans un lieu. Je me rends là-bas pour collecter et prendre des images que je transmet à mon supérieur à Lagos», s’était défendu Ahmed lorsque l’occasion lui en avait été accordée durant le procès. Sur les faits de non-dénonciation d’actes de terrorisme Il avait indiqué à la Cour avoir souvent saisi des autorités, notamment «le gouverneur», pour signaler des signaler des cas suspects.

Une procédure entachée par des vices de forme
A la fin de l’année 2016, le procès opposant le correspondant de RFI à l’Etat du Cameroun n’en était encore à l’examen des questions de forme. Et pour cause, des vices de forme dénoncées par le conseil de la défense. La première fut la non-présentation des témoins annoncés par l’accusation. Ces derniers étaient censés permettre au commissaire du gouvernement d’étayer les accusations de complicité de terrorisme. Au lieu des témoins, la partie civile avait requis la reconversion de cette charge en «apologie du terrorisme» et «blanchiment des produits de terrorisme». La défense demanda à ce moment la libération de l’inculpé pour «absence de preuves» La Cour accéda à la demande du commissaire du gouvernement.

En octobre 2016, une polémique nait de l’analyse des scellés commandée par le commissaire du gouvernement sans l’autorisation de la Cour et à l’insu de la défense. Le juge avait rejeté le rapport d’expertise y relatif et commis deux experts en cybercriminalité pour analyser les pièces à conviction, pourtant déjà souillées. Ces derniers avaient brillé par leur absence à l’audience réservée à la présentation de leurs conclusions.

Des pressions
A la veille de l’audience du 08 juin 2016, Reporters sans frontière a demandé, par voie de communiqué, l’abandon des procédures et la libération immédiate du correspondant en langue Haoussa de RFI. «Les autorités camerounaises ne semblent pas saisir l’importance capitale du principe de protection des sources qui permet aux journalistes d’obtenir plus aisément des informations sensibles, déclare Reporters sans frontières. Il est inadmissible qu’un journaliste qui a simplement fait son travail soit retenu depuis si longtemps en détention, qui plus est dans des conditions déplorables. Nous demandons aux autorités de libérer Ahmed Abba sans plus de délais et d’abandonner toute poursuite judiciaire à son encontre», avait souligné cette organisation. D’autres mouvements de journalistes, comme le SNJC, et des personnalités camerounaises s’étaient aussi manifestés en faveur d’Ahmed Abba.

Depuis l’interpellation du journaliste, la France n’a cessé de jouer de son poids pour la libération de ce dernier. «Nous défendons ce journaliste qui faisait son travail, nous le savons, et qui est détenu dans des conditions que nous n’acceptons pas. Nous n’avons pas cessé de multiplier les interventions auprès des autorités camerounaises, nous allons encore le faire ces prochaines heures, car nous souhaitons effectivement sa libération. Il s’agit de menaces de Boko Haram dont les Camerounais sont victimes, il faut s’en souvenir, c’est un travail extrêmement difficile. Donc je veux rappeler le soutien du gouvernement français aux journalistes qui font un travail formidable. Il ne s’agit pas de le faire de façon spectaculaire. Moi, mon objectif, c’est d’aider cette personne et d’être efficace», avait révélé le ministre français Jean-Marc Ayrault, dans une de ses interventions sur RFI en décembre dernier.

Ce soutien a continué à se manifester avec la présence des membres de l’ambassade de France et de l’Union européenne au fil des différentes audiences.