Cet essai a été publié dans la Collection Points de vue chez l’Harmattan Paris. Extrait.
L’objectif de ce travail est selon l’auteur montrer que l’insertion des économies subsahariennes dans des échanges intercontinentaux remonte à la fin de la préhistoire et non à la colonisation et aux indépendances et que cela a des conséquences spécifiques dont on ne tient pas compte; redonner des souches à une histoire économique trop souvent amputée de ses racines afin de contribuer à éclairer le présent et la réflexion en cours sur nos futurs probables ; encourager la tenue, en Afrique et ailleurs, de débats informés, de bon niveau, sur la question cruciale du rang et du rôle de l’Afrique dans le monde. Car contrairement à ce qu’on raconte, l’histoire de la marginalisation de l’Afrique et celle de l’apparition de ce débat sur la scène internationale sont deux choses tout à fait distinctes. L’amalgame des deux a une fonction précise : permettre de produire, depuis trente ans, des propositions de sortie de crise cosmétiques qui partent invariablement de la colonisation et des indépendances. Il est temps de mettre fin à cette escroquerie. L’Afrique subsaharienne est entrée dans l’Histoire d’une manière originale : par la fente la plus étroite qui soit. Elle a raté ses rapports avec elle-même, ses relations avec la Méditerranée, le Moyen-Orient et l’Europe. Peut-elle aller au-delà de sa stratégie actuelle de diversification des partenaires extérieurs ; passer du statut de « continent convoité » à celui de continent conquérant ?
Axelle Kabou est consultante en communication. Elle a fait des études d’économie générale et des études supérieures en communication. Elle a été chargée de communication aux niveaux national, régional et international. Elle est l’auteur notamment d’un essai intitulé Et si l’Afrique refusait le développement ?
Extrait
Contrairement à ce qu’on raconte, l’histoire de la marginalisation de l’Afrique subsaharienne et celle de l’irruption de ce thème dans les débats internationaux ne sont pas identiques. C’est précisément ce que des décennies d’empoignades sur les conséquences de la-traite-la-colonisation-les-indépendances, auxquelles on attribue cette marginalisation, n’ont pas réussi à faire comprendre et qu’il importe d’expliquer, avant le prochain effondrement des cours des matières premières..
En effet, la première histoire se met en place dès la fin de la préhistoire . la seconde histoire est un bréviaire fabriqué et diffusé, à partir de la fin des années 1970, par des institutions internationales universelles ou africaines, avec l’appui des milieux académiques et des médias. C’est dire !
La marginalisation des économies subsahariennes ou, au contraire, leurs perspectives d’insertion réussie, ne sont pas réductibles aux deux ou trois tendances hérissées de pourcentages auxquelles la littérature internationale officielle tend à les confiner..
Sans doute, est-il temps, à cet égard, de revenir au c ur du problème en convenant que les capacités concurrentielles d’une région donnée relèvent, avant tout, de la production de soi et du changement social compris comme des processus historiques et non comme le résultat de tripatouillages, de conjectures écrites à l’encre rose. Le premier de ces processus commence par un drame fondateur universel ayant pour enjeu la capacité des sociétés de produire et maîtriser leur histoire. Le second, qui a trait à l’obligation d’emprunter et de se mélanger, concerne l’aptitude des sociétés à respirer plus amplement au sortir d’étreintes et de rixes avec autrui. Tels sont les thèmes de ce livre.
La nécessité de s’inventer, de se réinventer s’ouvre, sous toutes les latitudes, par des questions identiques, d’ampleur variable, qui sont autant de défis.
Ces questions, résolues avec plus ou moins de bonheur, d’un lieu à l’autre, constituent autant d’expériences.. En Afrique, comme dans bien d’autres régions du globe, cette expérience reste fortement marquée par des difficultés à faire trois choses d’une importance capitale : premièrement, changer significativement de manière de produire et accumuler la richesse ; en deuxième lieu, générer et utiliser les connaissances ; et enfin, donner un nouveau sens à ces activités afin d’affermir le plancher de la vie chez soi et soutenir la concurrence au plan intercontinental. Cette infirmité historique est au c ur de cet essai.
Il est urgent, en effet, de : mettre à distance cette représentation dominante de l’évolution de l’Afrique subsaharienne, dans les échanges mondiaux, qui se repaît de tendances éphémères et écrit l’avenir en fonction de l’air du temps ; expliquer le rapport entre le passé et le présent ; raccorder ce dernier à la très vieille et singulière histoire de l’insertion de cette région dans des réseaux d’échanges intercontinentaux car la ‘compétitivité’ n’émerge pas du vide.
Ce livre s’y emploie en proposant des réponses à quelques questions cardinales : que dit cette représentation ? Dans quel contexte a-t-elle été élaborée ? Par qui ? Avec quelles lacunes et quelles conséquences ? L’Afrique est-elle plus marginalisée qu’insérée dans les échanges internationaux ? Si oui, depuis quand et par quels processus ? Que recouvre exactement la notion de marginalisation ? Peut-on, comme le veut une pratique désormais consacrée, augurer des futurs des économies subsahariennes, en faisant fi de leur histoire ? Dans la négative, jusqu’où faudrait-il remonter ? Quel passé convient-il de convoquer ? Plus spécifiquement, quel traitement réserver à ‘la traite et la colonisation’, aux indépendances ? .
. cet essai n’a, . aucune ambition académique. Il tient compte des rumeurs de son époque mais n’augure de rien. Il a, plus modestement, pour objectifs : d’expliquer comment et, à partir de quels lieux, on parle, depuis trente ans, de l’insertion des économies africaines subsahariennes dans le commerce international ; fournir, au public le plus large possible, des informations pertinentes sur la véritable histoire de leur participation à ces échanges.
Ce livre s’adresse, par conséquent, à tous ceux qui, lassés de pronostics plus ou moins radieux, aimeraient, avant de se perdre en conjectures, comprendre comment l’Afrique subsaharienne en est arrivée à occuper sa place actuelle dans le monde. Et pourquoi il lui est difficile de la quitter.
.L’Afrique est-elle, condamnée à être la dernière frontière du capitalisme officiel ? Est-elle vouée à saisir une telle opportunité pour modifier son rang et son rôle dans le monde ? Si oui, pourquoi « la réinvention du capitalisme » s’y traduit-elle, depuis le XVe siècle au moins, par la prédation, la violence, la guerre, des conflits résurgents, l’apparition et la disparition d’États brigands, de seigneurs de la guerre, de bandes armées, de mercenaires et d’enfants-soldats, d’hégémonies militaires esclavagistes au souffle court et au territoire fuyant ; de régimes politiques vitrifiés, l’accaparement des ressources locales par des entrepreneurs politiques de tout poil, qui ne cessent de s’entre-tuer et tuer des Africains à la moindre odeur d’argent ?
Pourquoi ces expériences, somme toute, universelles, de déchaînements de violence liées à la captation des richesses, à la recherche de domination, ne se soldent-elles pas par une préférence marquée des couches dominantes des sociétés africaines pour des stratégies privilégiant l’investissement, la productivité, l’élargissement de la prospérité matérielle à un nombre croissant d’individus, par le travail, comme cela s’est fait ailleurs ? Qu’est-ce qui, en un mot a manqué et manque de nos jours encore pour que la mayonnaise prenne ?
Cet essai n’a qu’une ambition : sortir le débat sur la marginalisation ou le décollage de l’Afrique de la conversation de comptoir auquel il se résume depuis trente ans.

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