Et si, comme à la can, l’univers et l’arbitrage politiques et électoraux en Afrique devenaient intègres et presque…. incontestables ?
La CAN, rituel footballistique et compétition sportive voire géopolitique entre Etats africains est devenue, tous les deux ans, un moment important de la vie du continent noir. Son organisation donne lieu à la mobilisation d’importants investissements humains, financiers et matériels attestant bien que cet affrontement des nations autour du ballon rond n’est plus seulement un jeu. C’est, en effet, un évènement suivi à l’échelle mondiale, qui charrie désormais des enjeux multiples et considérables.
A travers la CAN, l’Afrique prouve au monde qu’elle est capable d’offrir un autre visage. Elle semble parfaitement en mesure d’organiser des compétitions intègres et aux résultats presque incontestables. Avec des arbitres extrêmement professionnels, la VAR (vidéo assistance referee, en français l’assistance vidéo à l’arbitrage) ainsi que tous les outils technologiques, organisationnels et humains dédiés, les CAN se déroulent désormais dans un univers où les victoires et autres décisions arbitrales ne sont, sauf à de rarissimes exceptions, quasiment plus jamais contestées. De manière tout à fait singulière, la technologie bien maîtrisée de la VAR est devenue implacablement et incontestablement un instrument de consolidation de cette justice arbitrale.
La confrontation des États et leurs équipes sur le terrain ne souffre, par ailleurs, d’aucun privilège ni avantage exorbitant même pour les pays organisateurs, souvent mis en grande difficulté.
Il s’agit toujours d’affrontements équitables, équilibrés et transparents où onze acteurs sont en face de onze autres, avec toutes les chances pour chacune des formations en présence, de l’emporter. Voilà pourquoi la CAN nous fait vivre des surprises de victoires ou de défaites les plus inattendues. Des nations considérées comme mineures, parviennent à tenir la dragée haute, voire à subjuguer d’autres considérées comme majeures, grâce à des prestations incontestablement meilleures et infiniment plus lumineuses sur le terrain. Le fair play en vigueur désormais incline les équipes perdantes à reconnaître humblement leur défaite, et les gagnantes à avoir le triomphe modeste en allant parfois consoler leurs adversaires, prouvant ainsi que tout n’est finalement que vanité.
Eu égard à ces constats d’exemplarité, le football africain lors des CAN, à mon avis, devrait parler aux populations et surtout aux politiques africains dont je suis.
A travers le monde entier, presque toutes nos compétitions politiques et électorales sont devenues la risée des nations qui ont du mal à comprendre ce qui ne tourne pas rond chez ces Africains.
Quasiment aucune victoire électorale n’est obtenue de façon intègre et reconnue ni par les adversaires politiques ni par les observateurs divers. La règle ici est celle prescrivant » qu’un chef d’Etat sortant, très souvent encore candidat lui-même ou soutenant un de ses poulains, ne peut perdre une élection ». Cet univers toujours en situation de pseudo ou de trompe l’œil démocratiques est, logiquement, ponctué par des coups d’Etat à répétition, des
conflits politiques récurrents, des reculades démocratiques liés à des alternances plutôt souvent stériles et peu structurantes.
Dans la compétition politique et électorale africaine, s’il fallait prendre une image du football, le parti au pouvoir s’octroie presque partout le privilège exorbitant et frauduleux de disposer des règles du jeu, des arbitres principal et secondaires, de la VAR, des officiels du match, voire de l’essentiel du public, sur les gradins de même que dans les chaumières. Il y aurait sans doute lieu, en raison de sa redoutable efficacité en matière de foot, de rêver, entre autres outils de justice politique, d’une véritable VAR des élections en Afrique.
Les dispositifs africains de parti-Etat de facto écumant toujours l’espace politique africain en contexte supposé de démocratie libérale et égalitaire, demeurent des mécanismes illégaux, frauduleux et anticonstitutionnels consacrant l’escroquerie et la tricherie la plus scandaleuse dans nos compétitions électorales en Afrique. Quand on y ajoute toute la batterie de techniques diverses de fraude, de corruption et d’achat des consciences dans des univers de misère morale et matérielle, on atteint le paroxysme de la forfaiture et de l’imposture. Telle est la raison pour laquelle nous sommes si moqués sur l’échiquier planétaire, tant il est vrai que nos compétitions électorales, viciées et biaisées, affectant négativement et du reste l’ensemble de la gouvernance socioéconomique, se situent totalement aux antipodes de ce que nous vivons avec bonheur pendant les CAN depuis quelques années.
Il est temps et urgent pour ce continent qui semble accorder davantage d’importance au football, dont la fonction divertissante et évasive a néanmoins toute son utilité, plutôt qu’aux questions plus fondamentales et essentielles d’organisation efficiente et performante de son écosystème politique et électoral, d’effectuer une courageuse et robuste introspection.
Et si la CAN venait à inspirer le monde politique africain ? Et si ce beau football pratiqué si magistralement par la jeunesse africaine sous la houlette des États mais aussi de la CAF, servait enfin d’exemple transformateur à l’écosystème politique africain ?
Et si, avançons cette hypothèse, peut-être saugrenue ou hardie, mais en même temps nécessaire eu égard au contexte, l’Union Africaine travaillait à la mise en œuvre d’une sorte d’équivalent de la CAF consacrée aux questions politiques et électorales au sein du continent ?
Cette CADE, Confédération africaine pour la démocratie et les élections, sorte d’organisme panafricain logé au sein de l’UA, chargé d’arbitrer et de superviser la vie politique en même temps que la compétition électorale en Afrique, serait sans doute de très bonne inspiration. Car, sachons- le clairement, aucun progrès, aucun développement dignes de ce nom ne pourront jamais être accomplis dans des environnements d’injustices, de fraudes et de malversations politiques et électorales.
Et qu’on ne nous présente pas l’argument aussi spécieux qu’inconsistant de la prétendue souveraineté des États ni celui des risques d’ingérence extérieure pour justifier la loi du plus fort, et souvent du plus grand fraudeur, prévalant dans nos États et y gouvernant les dynamiques politiques et électorales depuis quasiment les indépendances.
Oui la puissance, la vertu et la vitalité du football à travers la CAN, peut aujourd’hui et doit servir de belle source d’inspiration au monde politique africain. Assurément, comme effets induits et résultats positifs attendus, la création de cette vertueuse et transformatrice CADE, favoriserait la production d’une croissance et d’un développement socioéconomiques extrêmement rapides de notre Afrique entière. Que cette CAN ivoirienne de 2024 soit, pour nous Africains, une opportunité de réflexion profonde sur l’exigeante et essentielle problématique mise en exergue dans la présente tribune.
Dieu bénisse l’Afrique.
Pr Olivier BILE