« La nuit des longs couteaux », « Je suis dans l’eau », « On vous attend », « Après Biya vous allez voir ».
Voilà quelques mots qui meublent le quotidien de notre pays ces derniers temps. Ils symbolisent les lignes de fracture qui prennent en épaisseur et en volume. Sans s’en rendre compte, nous construisons des narratifs qui phagocytent et préparent nos esprits à la violence, y compris la violence armée.
L’air du temps s’y prête. La polarisation de l’espace médiatique, sur fond d’affrontement ethnique et clanique (clan au sens large du terme) entretient cet esprit d’avant-guerre. On explique / justifie tout par le soutien à un frère, à un ami, à une personne de notre tribu.
« Pourquoi quand c’est lui vous parlez? » Quand c’est votre frère vous ne dites rien » » c’est notre tour ». Voilà désormais la norme de détermination de la sanction ou de l’absolution. Hélas, plus personne ne veut aller au-delà de ce fatras. C’est désormais tribu contre tribu, clan contre clan.
Mais au fond, quel est le problème ? Il me semble que les camerounais aspirent simplement à un meilleur vivre. Ils veulent pouvoir se soigner ainsi que leurs enfants, les scolariser, manger à leur faim, se divertir, être bien dans leur tête. Le contexte n’y est pas favorable. L’inflation est au top, les médias relaient des informations parfumées de suspicion de gabegie, ce qui entretient dans la conscience commune l’idée que les responsables publics s’enrichissent sur le dos du peuple. Désormais on ne parle plus que des lignes 94, 65 et 57.
L’heure de la vendetta est arrivée. Chaque clan sort ses armes et vient prendre le peuple à témoin. Olembe gate, Covid gate, lignes 94 gate. A chaque fois, le peuple assiste à tout cela médusé, interloqué, hébété.
Mais la question que je m’en vais poser au peuple camerounais est la suivante : quand ces gens marchaient ensemble et se donnaient du monsieur un tel et madame une telle, avez-vous été convié? La réponse est non. Maintenant que ça se gâte entre eux, ils viennent vous saisir pourquoi? La réponse est simple, ils veulent se servir de votre colère pour atteindre leur but.
Mon opinion sur la question est simple. Ceux qui ont le plus besoin d’un chaos institutionnel aujourd’hui sont ceux qui ont amassé des sommes immenses. Ce sont eux qui, dans un contexte dérégulé, vont se servir des sommes encaissées pour renégocier leurs positions. Le faisant, ils vont vous priver de votre droit de choisir vos responsables publics (maires, députés, sénateurs, conseillers régionaux, chef de l »Etat). Le peuple ne sera qu’une chair à canon transposée en promontoire pour assurer leur survie.
Toutes ces dénonciations auxquelles nous assistons sont des munitions que chaque camp utilise pour assurer sa survie. Notre intérêt ne s’y trouve nulle part. Leur démarche vise à susciter notre colère, pour déclencher une crise institutionnelle qui profitera aux mêmes.
Avec tous les verrous normatifs de ce pays, comment ces faits déballés sur la place publique ont-ils été rendus possible sans leur complicité même passive? Qui s’est opposé parmi eux aux instructions en disant agir au nom et pour l’intérêt du peuple? Mais aujourd’hui, quand le mal est fait, on vient prendre le peuple à témoin.
César disait, le peuple ne pense pas. Donner lui du pain et des jeux. Il nous faut faire mentir César. Moi je suis du peuple. Je pense. Vous êtes nombreux comme moi. Nous pensons. Pensons dès à présent République.
Notre seule sécurité est le maintien de l’ordre républicain…
Rappelez-vous que le tribalisme refait généralement surface en période électorale ou lorsqu’il faut négocier des positions politiques. Mais à l’heure du déjeuner, il n’y a plus de betis, de Maka, de bamileke, de bamoun, de guiziga, de mafa ou de peulh. Non, ils redeviennent unis.
Ne tombons donc pas dans ce piège, je dis et redis que notre diversité culturelle est une chance pour ce pays. Ne laissons pas certaines personnes créer et instrumentaliser par la suite, un problème monté de toutes pièces.
Nous aspirons tous à une meilleure gouvernance, seul gage d’une redistribution juste et équitable de la richesse nationale. Nous souhaitons une plus grande sécurité. Nous avons des droits à défendre. Mais nous avons aussi des devoirs vis à vis de ce pays. Et le plus grand de ces devoirs et de le maintenir uni et en paix.
De grâce, ne cédons pas aux sirènes de la division que l’on fait pendre sous nos nez.. Aujourd’hui il est devenu interdit de penser différemment. Vous êtes traités tout de suite de sardinards, tontinards, hibou, apôtre de l’Eglise, d’opposant, de lèche botte, de rebelle , de gangrène.
Cette polarisation que l’on retrouve désormais dans toutes les strates de la vie nationale (politique, culture, sport) est le principal marqueur d’une société qui prend la direction du chaos. NOUS POUVONS ENCORE L’EMPECHER . Nous pouvons encore essayer de construire demain, ensemble et sans affrontement. Notre défi est de réconcilier ce pays. Nous sommes au bord de l’implosion . Il y a encore une voie autre que la violence. Empruntons ce chemin.
Essayons individuellement de prendre conscience du danger qui nous tend les bras. Nous avons le droit de demander des comptes à nos dirigeants. Mais nous n’avons pas le droit de verser dans l’anarchie vers laquelle on veut nous pousser avec arrogance et malice.
D’où je parle modestement, je sais que rien n’est facile en ce moment au Cameroun. Je ne le sais que trop bien. Mais rien ne doit nous conduire à détruire la seule chose que nous avons, cette stabilité (quoiqu’apparente) qui maintient cette paix relative. Construisons demain ensemble et ne cédons pas à ces subreptices appels à la révolution et au chaos.
Je n’ai pas un autre pays et au vu du péril en la demeure, mon affection pour lui, m’a déterminé à écrire ce billet d’humeur. C’est une lettre pour chacun de vous. Prenons le temps d’une profonde méditation.
Que Dieu nous bénisse et qu’il bénisse le Cameroun!