Une femme à multiples casquettes… Une journaliste engagée et ambitieuse!
Votre parcours
J’ai fais des études littéraires, sanctionnées par un baccalauréat A au Cameroun. J’ai ensuite intégré l’université catholique d’Afrique centrale en 1996, un an après son ouverture. Après quatre années de cursus, j’y ai obtenu une maîtrise en sciences sociales. Pour des raisons familiales, après ma maîtrise, je suis venue en France.
Vos différentes casquettes
Il y’a d’abord la vie de famille, car je suis mère de trois enfants. A coté de ça, je suis fonctionnaire à la ville de Paris. Je suis fondatrice d’une association, Evindi, qui veut dire « noire » en langue Fang-Beti (variance Ewondo du Cameroun). J’ai créé cette association en 2003, et par son biais, j’ai créé le projet Culturefemme dont le site Internet est Culturefemme.com, mis en ligne la même année. Au départ formés sur le tas car on ne connaissait rien à ce domaine, ceux qui m’accompagnent et moi avons tous évolués, tout comme le site, qui tourne aujourd’hui à près de 200 000 visiteurs par mois. Culturefemme.com est un portail qui met la femme noire en avant et qui se veut généraliste.
Le site est né sur la base d’un constat : le décalage que j’ai perçu entre l’image que j’avais de mon continent et celle que les médias français me renvoyaient. Dans une telle situation, soit on stagne dans la complainte stérile, soit on décide de faire quelque chose malgré la petitesse des moyens. Moi, j’ai décidé de ne plus laisser d’autres me définir en tant qu’être humain, me réapproprier la parole en tant que femme noire installée en France. Avec Internet, qui a la particularité d’être un média abordable et facile pour toucher le plus grand nombre possible, nous nous sommes lancés sur ce créneau, apprenant au fur et à mesure. Cette aventure m’a conforté dans l’idée que souvent, ce qui fait défaut, ce n’est pas uniquement les moyens dont on dispose, mais surtout la volonté.
Vos obstacles dans le métier
De site Internet, Culturefemme.com est devenu partenaire fin 2005 du magazine éponyme, une aventure qui a pris fin début mars. En France, la presse dite « ethnique » est portée par des particuliers et non des grands groupes de presse comme les autres magazines féminins en général. Elle part donc avec un certain handicap financier, surtout quand on sait que la publicité est rarement là au début. Donc, pendant plusieurs numéros, il faut pouvoir sortir le magazine quasiment sur fonds propres dans un secteur où la publicité n’est pas une évidence car les marques qui font des produits qui peuvent intéresser cette minorité ne sont pas souvent des grands groupes. Elles privilégient des dossiers presse, des échanges de type jeu concours et pourtant, un magazine a besoin de liquidités, et beaucoup. Il y a aussi le problème de manque de confiance entre les journaux et les publicitaires, ces derniers ne connaissant pas toujours les tirages et échaudé par la disparition au bout de quelques numéros de ces journaux. Côté public, il faut aussi souligner que le lectorat visé, la minorité afro, n’a vraiment pas la culture de l’abonnement. Or, cela pourrait permettre aux journaux ethniques qui se lancent de se servir de ce fichier conséquent comme un argument devant les annonceurs.
Dans le cas de Culturefemme en outre, nous voulions rester fidèles à une certaine éthique, d’où des publicités qu’on a décidé de ne jamais faire, par exemple tout ce qui touche aux produits éclaircissants et agir ainsi, c’est déjà se fermer une partie des annonceurs, mais on ne le regrette car pour nous, il ne s’agissait pas de faire un magazine juste pour en faire un. Début 2007, loin de nous décourager, l’arrêt de la sortie en kiosque nous a poussé à nous recentrer sur le Net. On a ainsi développé une version vidéo, EVINDI TV. On a aussi lancé une version anglaise, appelée à se développer, ainsi qu’une boutique en ligne. Et là, on a une version magazine de 100 pages en PDF téléchargeable. En somme, quelles que soient les obstacles, il faudrait toujours y trouver matière à se remettre en question, et à en sortir plus mûris.
Quels conseils à donner pour les générations de femmes s’intéressant à une carrière dans les médias?
Le premier conseil, la base qui sous-tendra tout, c’est d’être motivée et de se poser la question : qu’est qu’on veut faire et pourquoi ? Sinon, devant les difficultés, on ne tiendra pas le coup et on risque de perdre son âme au passage. Je conseillerai aussi de bien définir son idée, et de faire une étude de marché en bonne et due forme.
Appartenez-vous à des associations et lesquelles?
Malheureusement, je n’ai que mon association. Il faut avoir du temps pour être dans plusieurs associations, et je préfère me consacrer à une chose, pour bien la faire. S’il faut militer dans une association, ce serait dans celles dont les objectifs sont tournés vers les problématiques de la femme noire, de la culture ou sur les initiatives à mener sur le continent. La culture, qui pour moi est aussi la façon dont on perçoit le monde et dont on se voit, m’intéresse au plus haut point.
Comment conciliez-vous votre carrière et votre vie de femme (de famille.)?
Ce n’est pas facile de gérer les trois, mon travail, Culturefemme et ma vie de famille, mais en essayant de m’organiser au mieux, j’y arrive. Quand il s’agit d’être avec les enfants, je suis avec eux et quand il s’agit d’assurer la direction éditoriale de Culturefemme, j’essaye de me déconnecter des autres contingences.
Êtes-vous en contact avec d’autres femmes noires dans les médias. En réseau formel ou informel?
Un des soucis de la communauté noire en France est celui de l’inter-communication et de la mise en synergies de certaines forces. Pour parler sans langue de bois, pour l’instant, chacun fait sa petite affaire dans son coin. Je l’ai bien constaté dans le monde de la presse, c’est un peu la même chose sur Internet. Or, qu’il s’agisse de l’un ou l’autre, face aux annonceurs (qui connaissent bien notre principale faiblesse, le besoin crucial d’argent et donc peuvent en jouer), la presse dite ethnique, de quelque support qu’elle soit, gagnerait plus à s’unir, pour peser plus.
Savez-vous si vous êtes lu en Afrique?
Le problème avec un support axé essentiellement sur Internet est qu’il sera plus consommé là où le gens ont un accès facile à cet univers. 70% de nos visiteurs viennent de France et ensuite de Belgique, Canada, Etats-Unis, Suisse. On aimerait bien sûr avoir plus de visiteurs en provenance d’Afrique, mais on sait que ce n’est pas qu’ils ne veulent pas, c’est souvent un problème de moyens. Quand on va sur le Web via un cybercafé de Douala, en général c’est pour un problème précis, difficile dans ce cas de passer trente minutes sur un site, aussi intéressant soit-il. J’espère que le satellite Rascom-Qaf 1 lancé décembre dernier, va apporter un peu de changement dans l’accès à Internet pour les populations du continent. En Afrique, aussi surprenants que cela soit, les pays qui arrivent en tête de nos visiteurs sont ceux du Maghreb, Maroc, Tunisie et Algérie notamment. En Afrique noire, on a le Sénégal, Côte d’Ivoire, Cameroun. mais ça reste des petits pourcentages.
