OpinionsInterview



Le  géologue expert en mines et pétrole, par ailleurs enseignants des universités, analyse les innovations du Code pétrolier de 2019 dont le décret d’application a été signé le 04 mai dernier par le président de la République.

Dans cet entretien accordé au quotidien Mutations, il reproche au pays de ne pas disposer de la surface technique pour mener lui-même l’exploration de ses ressources pétrolières, et de trop faire  confiance aux compagnies pétrolières étrangères qui fausseraient les chiffres au nez et à la barbe des experts gouvernementaux, incapables d’après lui d’auditer ces rapports.

Qu’est-ce qui change fondamentalement avec la signature, le 24 mai dernier, du décret d’application de la loi de 2019 portant Code pétrolier au Cameroun?  

Ouf, enfin ! Mais, est-ce que ce décret d’application est encore d’actualité ? Le Code pétrolier avait été promulgué depuis avril 2019, juste un an avant la pandémie qui  a bouleversé toute l’économie du monde entier, ainsi que la vision du monde sur le futur. La transition énergétique vendue en grande pompe qui verra l’abandon des énergies fossiles ; le pétrole étant la cible de la transition énergétique.

Je me pose la question si déjà ce décret d’application n’est même pas déjà caduc ainsi que le Code pétrolier qui nécessite une révision en fonction des exigences de l’heure et du futur (post-Covid 19). Qu’à cela ne tienne, de manière pratique, le décret vient préciser le cadre de protection de l’environnement. Ainsi, la notion d’abandon d’un gisement y est clarifiée. Il s’agit de toute situation de gestion, contrôle et exécution des opérations aboutissant à la cessation de l’exploitation du gisement et à la restitution des sites.

Ces opérations comprennent, notamment, selon que le gisement est à terre ou en mer, la préparation et la révision éventuelle du plan d’abandon, la cessation des opérations de production, l’arrêt de service des unités de traitement, le démantèlement, la démolition et le déplacement des unités de leur site initial de production, le retrait et le dépôt du matériel, ainsi que l’ingénierie liée à l’exécution de ces opérations.

Le décret apporte des éclairages sur le registre spécial des hydrocarbures en son article 3. Il en ressort que le ministre chargé des Hydrocarbures ouvre et tient à jour un « registre spécial des hydrocarbures» pour chaque catégorie d’autorisation et pour les contrats pétroliers. Par ailleurs, au niveau de la demande d’autorisation de transport intérieur prévue à l’article 49 du Code pétrolier, il ressort qu’elle est adressée au ministre chargé des Hydrocarbures par le titulaire, en accord avec l’organisme public dûment mandaté. Elle est accompagnée d’un dossier sur le projet de construction, de canalisations et installations annexes de transport comportant les renseignements et documents. Il revient sur les incitations financières.

Ainsi, l’article 159 sur les bénéficiaires des mesures d’incitation précise : (1) tout titulaire de contrat pétrolier à jour de ses obligations contractuelles vis-à-vis de l’Etat et dont les activités sont menées en conformité avec les dispositions législatives et règlementaires en vigueur peut, lorsque des circonstances exceptionnelles dûment constatées par l’Etat le justifient, bénéficier des mesures d’incitation dans les conditions prévues aux articles 128 et 129 du Code pétrolier.

 (2)  il est indiqué que les sociétés pétrolières ayant les capacités techniques et financières requises et porteuses de projets d’investissement fermes, susceptibles de conduire à un accroissement durable de la production pétrolière ou gazière nationale, peuvent également bénéficier des mesures d’incitation visées à l’alinéa 1 ci-dessus.

L’article 160 du décret dispose que pour la soumission et le contenu de la requête, toute société visée par les incitations doit soumettre au ministre chargé des Hydrocarbures et à l’organisme public dûment mandaté, une requête ou une offre de contrat pétrolier comportant les incitations sollicitées.

Pour finir, ce décret vient abroger explicitement toutes les dispositions antérieures contraires au présent décret, notamment celles du décret n ° 2000/465/PM du 30 juin 2000 fixant les modalités d’application de la loi n ° 99/013 du 22 décembre 1999 portant Code pétrolier.

On retrouve dans ce texte, entre autres mesures incitatives pour les entreprises pétrolières, la dispense du paiement du bonus de signature pour certains contrats pétroliers, l’exemption du paiement de l’impôt sur les sociétés sur une période maximale de cinq ans pour les hydrocarbures liquides et sept ans pour les hydrocarbures gazeux et la consolidation fiscale de dépenses de recherches. Le Cameroun cherche visiblement à se lancer véritablement dans l’exploitation de son pétrole et devenir ainsi un pays pétrolier. En a-t-il le potentiel ?

Nous sommes par définition des rentiers ; nous ne voulons rien faire et nous laissons toujours les autres faire pour nous, pour se contenter des miettes qu’ils nous reversent. L’une des missions de la Snh dans son décret de création est de mettre en évidence des nouveaux gisements pétroliers et gaziers. Mais, en 43 ans d’existence, elle n’a même pas découvert un petit champ pétrolier. La tentative de mise en production d’un vieux champ pétrolier abandonné par Total « Mvia » a été un échec. Ce n’est pas en baissant les impôts, les taxes, etc., que les investisseurs vont courir au Cameroun. Il faut faire beaucoup de travail en amont, ce qui n’est pas visiblement le fort des pays qui vivent de la rente pétrolière.

L’ancien Code avait institué un taux variable de l’impôt sur les sociétés entre 38,5% et 50%; le nouveau consacre un taux fixe de 35%, qui reste toujours supérieur au taux de l’IS de droit commun fixé à 33%. Qu’est-ce qui explique cette exception ? 

Je pense qu’il faut d’abord regarder la nature de l’activité ; ici on parle de l’exploitation de nos ressources pétrolières par des compagnies généralement étrangères. La ressource nous appartient, l’activité est super lucrative, les compagnies se font des supers bénéfices. Avant de s’engager à développer un projet, ces compagnies étudient le business à travers le modèle financier qu’ils appellent le Discount cash-flow (DCF).

C’est une simulation financière sur une durée bien précise où tous les paramètres sont intégrés, y compris les taxes et impôts. Dans leur « worst case scenario « ,  généralement ils intègrent l’IS a 50% et le Net present value du projet (NPV) est toujours positif. Donc, je pense que le lobbying des multinationales a beaucoup travaillé pour décrocher un « good deal ». 40 % aurait été mieux pour le Cameroun. Car, il y a des pays qui sont à 40% en Afrique et les investisseurs continuent à y aller.

Selon l’article 154 (2) de ce décret d’application, les quotas suivants doivent être respectés en matière d’emploi des nationaux dans les sociétés pétrolières qui s’installent au Cameroun : 50% des cadres, 60% des agents de maîtrise et 85% des agents d’exécution. Le Cameroun dispose-t-il de ces compétences en quantité et en qualité ? 

Si un pays se développait par rapport aux textes, le Cameroun serait l’un des meilleurs pays au monde. L’article 154 (2) du décret d’application est ce qu’il faut pour assurer le job à nos futurs ingénieurs que nous formons dans nos écoles, instituts et  universités. Pensez-vous vraiment que les compagnies qui exploitent notre pétrole depuis 60 ans attendaient ce décret d’application pour commencer à recruter les Camerounais ?

Elles ont toujours justifié l’absence des Camerounais dans les projets par le manque de compétences; ce qui est très faux. Depuis 15 ans, le Cameroun forme chaque année des compétences dans l’industrie pétrolière qui, après leur formation, ne trouvent pas de boulot. Même la Snh qui est supposée absorber quelques-uns ne le fait pas, car, il faut être le fils de, la fille de…pour même franchir le portail de cette compagnie nationale.

La Snh qui est par définition une société technique se retrouve avec  90% de personnel administratif. Entre-temps, les géologues, les géophysiciens, les foreurs, les spécialistes en réservoirs, etc., sont assis au quartier à se tourner les pouces. Ça fait deux ans que j’enseigne au Cameroun et, entre-temps, nous avons déjà formé 50 ingénieurs de pétrole. Aucun n’a encore trouvé du travail dans une compagnie pétrolière ; même pas un stage non payant.

Le Cameroun produit chaque année au minimum 300 spécialistes de l’industrie du pétrole ; il y a de la compétence. C’est pourquoi, en plus des textes, il faut effectuer un travail de monitoring pour s’assurer que les compagnies respectent les quotas. Ça sera difficile, car, il n’y a pas que dans le secteur pétrolier où existe le quota. C’est dans tous les secteurs d’activités. Mais, aucune compagnie ne respecte et tout le monde le sait. Même le ministre du Travail qui fait du bruit tous les jours est très conscient que la force de l’argent permet aux inspecteurs du travail de rester aveugles.

Ces quotas s’appliqueront ils dans le cadre des champs pétroliers frontaliers dont l’exploitation se fera désormais de manière conjointe, notamment ceux situés entre le Cameroun et la Guinée équatoriale?

Le Cameroun peut très bien développer le gisement pétrolier gazier de Yoyo seul. Les réserves prouvées de Yoyo rendent le projet économiquement rentable en terre camerounaise. L’accord qui a été signé récemment à Yaoundé avec la Guinée équatoriale n’était qu’un bradage de Yoyo au profit de la mafia qui gère les ressources pétrolières du Cameroun.

Notre pays ne gagnera pas grande chose de l’exploitation conjointe du gisement de Yolanda et de Yoyo par Chevron en Guinée équatoriale. Il y a une loi maritime qui encadre ce genre de situation d’un gisement unique qui s’étend dans deux pays en cas de dispute. Mais, dans le cas d’espèce, il n’existe pas de dispute entre le Cameroun et la Guinée sur ce gisement. Donc, le Code pétrolier sur ce volet n’a aucun souci.

Il faudrait donc aller au-delà des bonnes intentions exprimées dans la loi pour ce qui est des quotas pour les emplois…

Tout à fait, l’heure n’est plus aux bonnes intentions. Nous n’avons pas la culture d’exécuter nos lois et textes ; nos textes sont faits pour les bailleurs de fonds et non pour réellement faire baisser le chômage de nos ingénieurs. Il y a des textes sans volonté politique et sans  une réelle vision. Le ministre du Travail doit quitter son bureau climatisé et descendre sur le terrain à l’effet de s’assurer que les quotas sont respectés et sanctionnés en cas échéant sans complaisance. Chaque Camerounais  a droit à un emploi, c’est fondamental.

Une nouvelle loi est donc là, mais il y a une multitude d’acteurs institutionnels qui interviennent dans le secteur pétrolier : Snh, Sonamines, ministère des Mines, etc. Qui va faire quoi ?

En principe, il existe trois codes qui réglementent le secteur de nos ressources du sous-sol : le Code minier qui concerne tout ce qui est du solide, le Code pétrolier qui concerne tout ce qui est liquide et le Code gazier qui est généralement associé au Code pétrolier. La Sonamines découle du Code minier, tandis que la Snh découle du

Code pétrolier et gazier. Dans le Code pétrolier on parle du ministère des Hydrocarbures ; ce qui laisse sous-entendre que dans la future architecture des portefeuilles, il y aura un ministère des Hydrocarbures. Et je souhaite que la même chose se passe au niveau des mines; il faut un ministère des Mines et de la Géologie. Avec l’arrivé du ministère des Hydrocarbures, la Snh perdra drastiquement son influence, et je ne serai pas surpris que la Snh soit transformée en un département du ministère des Hydrocarbures, chargée de la gestion des participations de l’Etat dans les joint-ventures (JV) et de voir le président créer une nouvelle société, la « Cameroon Oil Company « , qui s’occupera réellement de l’exploration et du développement des projets pétroliers et gaziers.

Comment le Cameroun pourrait-il tirer meilleur profit de l’exploitation de son pétrole ?

Je l’ai toujours souligné et je ne cesserai de le faire : pour tirer meilleur profit de l’exploitation de ses ressources minérales et pétrolières, il faut avoir une meilleure connaissance de son sous-sol. Le Cameroun en tant que pays n’a jamais effectué ses propres recherches et exploration pétrolière, laissant ainsi la tâche aux compagnies pétrolières de le faire. Le grand danger est que ces compagnies déposent des rapports techniques à la Snh qui sont généralement vides.

Les réserves qu’elles déclarent sont généralement revues exponentiellement à la baisse. Il n’y a aucun expert au niveau de la Snh capable d’auditer ces rapports. Comment voulons-nous tirer profit de l’exploration de notre pétrole quand nous recevons des faux rapports des compagnies pétrolières opérant au Cameroun ? Il est temps que nous soyons propriétaires des informations de notre sous-sol. Et pour cela, la création de la ‘’Cameroon Oil Compan’’ devient impérative, car, sa mission sera de s’impliquer dans la connaissance de notre sous-sol à travers l’exploration, la géophysique et les forages.

Ce qui nous permettra de mettre en évidence des nouveaux champs pétroliers ; et ce n’est qu’en ce moment-là que nous pouvons solliciter des opérateurs pour les mettre en production à travers des appels d’offres sur la base des réserves que nous aurions nous-mêmes fait certifier. Voilà l’unique solution pour tirer meilleur profit de l’exploitation de nos ressources pétrolières. Les gisements mis en évidence par la COC peuvent être soit exploités par nous-mêmes, ou en partenariat, ou par cession à travers un appel d’offres. Le Cameroun doit interdire l’obtention des permis d’exploitation aux opérateurs étrangers. La recherche et l’exploration pétrolière doivent être nationalisées. Les opérateurs étrangers ne viendront qu’à la phase d’exploitation sur la base des informations en notre possession.

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