Le retrait bancaire français du continent Africain est apparu en plein jour avec le mouvement entrepris par Société Générale, l’an dernier. Un nouveau dirigeant, et un nouveau dessein stratégique, justifiaient et expliquaient ce départ. Mais à y regarder de plus près, ce mouvement est loin d’être isolé. D’autres banques françaises ont suivi ce chemin stratégique. Encore plus étonnant, les banques anglo-saxonnes ont pris la même décision… Au-delà des justifications ponctuelles, quelles réalités profondes révèlent un tel mouvement sectoriel, international ? Espoir ou épreuve pour l’Afrique ?
Par Gérard Vespierre, président de Strategic Conseils.
Mais cette opération allait bientôt apparaître comme la première d’une série, toutes articulées autour du Continent Africain. En effet à la fin de l’année 2023, Société Générale confirmait son départ du Mozambique et du Burkina Fasso. Cette année au mois d’avril, c’est au tour de la filiale Marocaine d’être cédée au groupe financier local Saham. Des négociations concernant d’autres pays africains sont actuellement en cours.
Un mouvement français plus général
D’autres groupes bancaires français sont dans la même dynamique de prise de distance par rapport au marché Africain, ou, se sont même abstenus d’y être présents.
BNP Paribas annonçait, le 6 mai avoir mis fin à ses activités en Afrique du Sud, après douze ans de présence dans le pays. Mais une stratégie beaucoup plus globale était communiquée dès mi-2018 quand le groupe a annoncé « travailler à la cession de ses parts » (47%) dans la Banque internationale pour le commerce et l’industrie du Gabon (Bicig). Début 2019, le groupe bancaire indiquait « ouvrir une réflexion stratégique » sur sa participation au capital de l’Union Bancaire pour le Commerce et l’Industrie (UBCI) en Tunisie. Ces opérations se dont réalisées. Depuis, les désinvestissements se sont poursuivis au Mali, Burkina-Fasso, Sénégal, en Côte d’Ivoire, et aux Comores.
Le groupe mutualiste BPCE a initié une telle stratégie de désengagement dès 2018 concernant sa présence en Tunisie, au Cameroun, à Madagascar, et en République du Congo.
Crédit Agricole CIB, Banque d’Investissement et de Financement (BIF) est présent sur tous les continents de la planète à l’exception de l’ensemble du Continent Africain. Un choix stratégique… en amont…
En restant sur le continent Africain, il est intéressant de changer de zone d’influence, en regardant vers le réseau bancaire, anglophone.
Le désinvestissement anglo-saxon
Royal Bank of Scotland fut la première à sortir du continent africain en y arrêtant son activité de Banque privée, dès 2015.
Standard Chartered Bank, figurant parmi les 30 plus grandes capitalisations Britanniques, a annoncé en avril 2022 son désinvestissement du Cameroun, d’Angola, de Gambie, de Sierra Leone et du Zimbabwe, ainsi que sa sortie de toutes ses activités en Côte d’Ivoire et en Tanzanie.
La Banque Barclays a clos ses participations, également relativement récemment, en 2022, en cédant ses activités en Afrique du Sud, au groupe financier local Absa.
Enfin, les États-Unis s’inscrivent également (et inévitablement) dans ce mouvement, puisque le grand groupe bancaire américain Citi (issu de la fusion de Citicorp et de Travelers Group) est sorti ces dernières années de ses activités de Banque de détail, en Égypte.
En quelques années, la dynamique stratégique bancaire, anglo-saxonne, sur le continent africain, apparaît globale et identique à la dynamique française.
Quelles peuvent être les raisons d’un tel mouvement général ?
Raisons primaires, raisons secondaires
La ligne officielle des explications des banques occidentales repose sur les constatations de résultats décevants sur le continent africain, que ce soit sur le montant de leur Produit Net bancaire, pour les uns, ou le taux de rentabilité pour les autres. Elles annoncent en conséquence vouloir se concentrer sur des orientations stratégiques, géographiques, prioritaires, plus rentables.
Mais les explications, plus réelles, et formulées de façon beaucoup plus discrète, concernent les risques beaucoup trop importants, et des « environnements juridiques peu fiables » pour les banques occidentales, de plus en plus encadrées par les règles prudentielles. S’y ajoutent, l’ombre de la corruption, les interférences politiques intérieures, omniprésentes, sur lesquelles viennent se greffer les implications extérieures géopolitiques, russes, de plus en plus nombreuses.
Il apparaît là un éventail très complet des causes pouvant aboutir à des sanctions et pénalités de la part des autorités de régulation bancaires, européennes et américaines. Le cumul de ces risques pour des institutions bancaires occidentales opérant, pour la plupart d’entre elles, sur le marché mondial, devient beaucoup trop élevé, tant en termes de potentielles conséquences financières, que d’image et de réputation.
Conséquences des conséquences
Ce reflux des grandes banques internationales de l’ensemble du continent africain conduit naturellement à la fois à une accélération de croissance des banques africaines, mais également à une « consanguinité » croissante des réseaux de financement sur le continent à un moment où ses besoins sont croissants.
Le Nigéria, plus grande économie du continent (à égalité avec l’Égypte en termes de PIB) devrait avoir un rôle moteur dans cette lutte contre la corruption. Or, selon le classement de Transparency International, ce pays se situe à la 145e place, et se catégorise donc comme une des économies les plus corrompues du monde. Une des plus grandes banques du pays, Ecobank Nigéria, filiale du groupe panafricain Ecobank Transnational Incorporated (ETI) a été récemment accusée d’organiser une opération d’extorsion de fonds de 42 millions de dollars à l’encontre d’une société des Émirats arabes unis.
Une véritable lutte contre les pratiques frauduleuses doit être érigée en priorité. Des décisions sont prises, mais elles doivent être menées à leur terme. En 2023, L’African Development Bank a reconnu qu’un Fonds spécial en faveur de l’intégrité, doté de 55 millions de dollars, lancé à grand renfort de publicité, n’avait pas encore commencé son activité, et en conséquence, n’avait déboursé aucun montant pour soutenir des opérations ou programme contre la corruption.
Le FMI demande le retrait des participations d’États dans les structures bancaires. Dans le même temps, ces mêmes États veulent garder un accès aux financements internationaux.
Au-delà des investissements à accomplir dans l’exploitation des richesses naturelles, l’Afrique a, en effet, impérativement besoin de développer des infrastructures de transport de biens, de personnes et d’énergie, pour faire face aux exigences imposées par la croissance de sa population. Énormes besoins d’investissements lourds, dans le temps long.
Tous ces diagnostics imposent donc aux agents économiques africains, aux structures politiques, aux États, de revoir « la perméabilité » de leurs pratiques financières, et de se diriger le plus rapidement possible vers de plus saines et transparentes pratiques bancaires.