Ce lundi 13 février 2023, c’est jour de fête pour les partisans du président Paul Biya. Mais a-t-il encore la mémoire pour méditer sur ses 40 ans déjà passés à la tête du Cameroun ?

Un anniversaire et une célébration avec tous les égards dus au prince. Le 90e anniversaire de Paul Biya est annoncé pour se dérouler avec faste. Ce dimanche 12 février, le président de la République s’est retiré dans le calme douillet de Mvomeka’a, son village natal, situé à près de 250 kilomètres de la capitale Yaoundé d’où ses compatriotes vont quêter, toute la journée, les traditionnelles photos de célébration, avec le somptueux gâteau de circonstance, en compagnie de son épouse Chantal et une poignée de privilégiés, invités à la table de l’homme qui dirige le Cameroun depuis bientôt 41 ans.

La dernière sortie médiatique du président Biya a laissé ses compatriotes sur la faim. Le chef de l’Etat s’est adressé ce vendredi 10 février 2023 aux jeunes à l’occasion de la célébration de la 57ème édition de la fête de la jeunesse camerounaise. Loin des préoccupations des Camerounais, suite à l’assassinat du directeur d’Amplitude FM Martinez Zogo, dans des circonstances très troubles, le président a néanmoins reconnu, dans son discours «réchauffé», les préoccupations légitimes des jeunes dans un contexte international difficile, marqué par une série de crises qui affectent presque tous les secteurs d’activités. Mais, un message qui ne restera pas dans les mémoires.

Ce que les Camerounais retiennent, c’est hélas, les images du président Biya dans une situation compromettante lors du sommet États-Unis-Afrique de décembre de l’année dernière. Le Vieux a paru déboussolé. Il est entré dans la salle de conférence sans savoir où il se trouvait ni ce qu’il était censé faire. «Wow, alors je suis devenu une célébrité ? », demande-t-il à son assistant, « Qui sont tous ces gens présents ? » Lorsque l’assistant lui dit qu’il est censé faire un discours, il dit : «Y a-t-il des personnages importants parmi eux ? » Ce fut un moment très embarrassant pour le vieil homme.

Personnalisation du pouvoir

Au regard de cette mise en scène du président Biya, l’on se demande comment un vieil homme aussi sénile parvient à garder le pouvoir depuis le 6 novembre 1982 : gagner (ou réussir à truquer) des élections, éviter des coups d’État militaires. Fonctionnaire depuis 1962, après ses études de science politique en France, l’hyper-président a su construire, grâce à la personnalisation du pouvoir, un système de gouvernance si puissant que le Cameroun n’a pas besoin de lui pour se diriger.

Dans une de ses rares interviews, il souhaitait que les Camerounais gardent de lui, l’image d’un homme qui aura apporté «la démocratie et le progrès». Pendant un certain temps, il s’est efforcé d’atteindre certains de ces objectifs. Le pays a atteint la stabilité et l’unité politique, et une transformation économique relative grâce à son “ New deal”. Il y a même eu un relâchement momentané   de l’état policier draconien.

Mais à la fin des années 1990, la libéralisation politique, la discipline budgétaire et la responsabilité du gouvernement ont été progressivement stoppées. Cela s’est produit après la tentative de coup d’Etat sanglant  de 1984 par les gardes républicains. Biya est devenu de plus en plus inflexible en matière de compromis politique. Il a d’abord purgé la faction d’Ahidjo au sein du parti au pouvoir et a fini par bloquer toute contestation sérieuse de son leadership, qu’elle vienne de l’intérieur ou de l’extérieur du parti. Mais finalement, sous la pression extérieure, il a accepté le multipartisme en 1990.

Depuis son accession au pouvoir, les élections ne sont qu’une formalité à laquelle Biya se présente sans possibilité de perdre. Par exemple, en 2004, Biya a été élu avec 70,9 % des voix. Après la révision constitutionnelle  de 2008 visant à supprimer la limitation des mandats, il a été réélu avec 78 % des voix en 2011.

En 2018, lors de l’élection présidentielle, aux résultats très contestés, il obtient 71,28 % contre son challenger, le leader de l’opposition Maurice Kamto. Biya a créé une classe politique à la recherche de rente qui non seulement fait son travail mais le maintient au pouvoir avec un minimum de résistance.

Les inégalités sont criardes

Le Cameroun est l’un des principaux exportateurs de bois en Afrique et le cinquième producteur de cacao au monde. Le pays du deuxième dirigeant le plus ancien d‘Afrique, après Obiang Nguema, a suffisamment de ressources naturelles et humaines pour réduire l’extrême pauvreté et le sous-développement.

Toutefois, en raison de la corruption, les recettes sont pillées pour maintenir un réseau clientéliste. Conséquence, malgré quelques infrastructures de base (écoles, routes, hôpitaux, universités, etc.), les Camerounais sont globalement plus pauvres qu’ils ne l’étaient en 1982. Au Cameroun, les inégalités sont criardes. Pour preuve, pendant qu’une poignée de personnes, proches du pouvoir,  vivent dans l’opulence, la moitié des Camerounais n’ont toujours pas accès à l’eau potable et à l’électricité. Pire, les Camerounais connectés à ces ressources connaissent d’interminables coupures et délestages.

La crise anglophone et la guerre contre Boko Haram  ont également permis à Biya de détourner l’attention de sa mauvaise gestion. Un autre facteur est la concentration du pouvoir au Cameroun. Rien de substantiel ne peut être fait sans l’aval du président ou de sa «haute instruction». Aucune branche du gouvernement ou entité de l’État n’échappe à cette politique, y compris le système judiciaire : les juges sont nommés directement par le président.

En d’autres termes, il n’y a aucun secteur de la vie publique qui ne soit pas touché par le régime Biya. Le mandat du président s’achève en 2025, année à laquelle il aura 92 ans. Bien qu’il n’ait montré aucun signe d’abandon de la scène, l’idée d’une ère post-Biya fait son chemin.

Bien que le RDPC parti au pouvoir n’ait pas tenu de congrès depuis 2011, empêchant ainsi le débat sur la transition, il y a de temps en temps une réorganisation interne du parti. Le président s’en est servi pour contrôler les menaces potentielles à sa suprématie, d’où les nombreux ex-ministres et directeurs généraux en prison, victimes de l’opération Epervier. Mais deux clans (Bulu et Nanga) se livrent une bataille féroce pour sa succession.

Le système de Biya a fait son temps. Sa longévité repose sur son caractère impitoyable et sa perspicacité politique. Malheur à celui qui s’aventurera dans son camp à prononcer sa candidature à la présidence de la République, avant l’heure, excepté son fils Franck. Joyeux anniversaire Mr le président Paul Biya.

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