Le secteur avicole camerounais, autrefois dynamique, vacille sous le poids d’une crise multiforme : hausse des prix des intrants, baisse du pouvoir d’achat, accès limité aux financements et concurrence déséquilibrée. Une situation critique qui pousse les éleveurs à l’agonie, les revendeurs à l’improvisation et les consommateurs à la résignation.
Ulrich Tiefeng, une ambition broyée par la réalité du terrain
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À la tête de la Société Agropastorale et Moderne d’Afrique Centrale (SAMAC), Ulrich Tiefeng incarne cette jeunesse entrepreneuriale engagée dans le développement de la filière avicole locale. Avec une vision ambitieuse, produire 15 000 poulets par mois d’ici 2026, il se heurte à une réalité économique de plus en plus étouffante.
« Cela me coûte 2 000 FCFA un poulet de 40 jours, tout en sachant que je les vends max 2 300 FCFA aux grossistes à la ferme », confie-t-il. Une marge trop mince pour résister aux secousses du marché. La flambée des intrants frappe de plein fouet les élevages : « Le maïs, le soja, les boosters, les vaccins… Le prix du maïs, par exemple, est passé de 240 FCFA le kilo en janvier à 275 FCFA actuellement. C’est énorme, vu la consommation des poulets ».
Pourtant, Ulrich Tiefeng n’a pas augmenté ses prix de vente. Pourquoi ? « Les grossistes ont du mal à écouler les produits, donc ils font du chantage. L’augmentation du prix du carburant aussi n’a pas aidé ». Entre pressions à la baisse et explosion des coûts, les éleveurs sont à genoux. Et ils avancent seuls.
« Non, aucune aide. Rien du tout », répond-il sans détour lorsqu’on lui demande s’il a bénéficié d’un appui de l’État ou d’une organisation agricole. Quant aux prêts, il les écarte d’un revers sec : « C’est mettre sa tête dans la gueule du loup ».
Le paradoxe frappe aussi les consommateurs : pourquoi le poulet est-il vendu jusqu’à 5 000 FCFA dans les marchés ? Ulrich Tiefeng détaille une chaîne de distribution longue et coûteuse :
« Lorsque le grossiste vient prendre le poulet à la ferme et qu’il n’a pas son propre camion, il loue un camion à minimum 95 000 FCFA. Et un camion porte entre 700 et 900 poulets. Une fois au marché, il a encore d’autres charges : taxes, emplacement, risques, personnel, […] Cela fait monter le prix à environ 3 500 FCFA. Il revend aux petites commerçantes qui, elles aussi, doivent supporter leurs coûts avant de le proposer au client final qui est toi et moi ».
Cette transparence éclaire un système où tout le monde survit, mais où personne ne gagne vraiment. Le producteur vend à peine au prix coûtant. Le consommateur paie un prix qu’il ne comprend pas. Et au milieu, une filière nationale au bord de l’asphyxie.
Dans les marchés de Yaoundé, la crise se fait sentir
À Yaoundé, les conséquences se ressentent déjà. Mélanie, 41 ans, vendeuse de poulet braisé au marché Messassi, constate la réticence croissante des clients :
« Avant, je pouvais acheter 10 poulets par jour. Maintenant ci, je prends seulement quatre, parfois cinq, parce que ça coûte cher. Et mes clients, ce sont les autres vendeurs du marché et les motomans que tu vois garés là-bas. Eux, ils ne veulent rien comprendre, ils discutent trop les prix. Quand je suis trop dure, ils préfèrent acheter plutôt le poisson. Donc moi aussi, je braise maintenant un peu le poisson à côté pour ne pas perdre mes clients ».
La flambée du prix du maïs, du soja et d’autres matières premières essentielles à l’alimentation animale a été aggravée par la guerre en Ukraine et les difficultés logistiques post-Covid. À cela s’ajoutent une faible structuration de la filière et une dépendance excessive aux importations d’aliments pour bétail.
Certains dénoncent également le retour officieux de poulets congelés importés, souvent vendus à moindre coût. En décembre dernier à Ebolowa, dans le Sud du pays, une cargaison de deux tonnes de découpes de poulets et de porcs congelés a été interceptée en provenance de Kye-Ossi, ville frontalière avec le Gabon et la Guinée équatoriale. Une saisie qui illustre la persistance de l’importation illégale de viande congelée, pourtant interdite depuis 2006. Un phénomène qui menace directement les acteurs locaux de la filière.
Mais un signe d’espoir semble poindre. Le 17 mai 2025, lors de la célébration de son 30e anniversaire de présence au Cameroun, couplée au 10e anniversaire de son unité de production de farine « Grains Business », OLAM Agri a annoncé la création prochaine d’une unité de fabrication d’aliments pour le poulet, le poisson et le bétail.
Cette initiative s’inscrit dans la politique d’import-substitution visant à réduire la dépendance du pays aux produits agricoles importés. Une mesure cruciale pour la filière avicole, qui a produit 65 000 tonnes de viande de volaille en 2023, selon le ministère de l’Élevage, des Pêches et des Industries animales (MINEPIA). Pourtant, cette production reste largement insuffisante pour répondre à la demande nationale.
La future unité d’OLAM Agri, selon le Ministre du Commerce Luc Magloire Mbarga Atangana présent à cette cérémonie, pourrait donc « contribuer à stabiliser les prix, sécuriser les chaînes d’approvisionnement en intrants et renforcer la compétitivité des producteurs locaux ».
En attendant, à Olembe, Mireille, mère de deux petits garçons, s’inquiète : « Aujourd’hui, je cuisine la sauce d’arachide avec du poisson fumé. Le poulet, c’est seulement pour les fêtes le tour ci. C’est trop cher. Il n’y a pas l’argent. Même les œufs, je n’achète plus. Au quartier, on vend déjà les petits œufs à 100 FCFA et les moyens à 125 FCFA, c’est exagéré ! »
Le poulet camerounais est donc en danger. Alors qu’il représente une source de revenus pour des milliers de familles, il devient trop cher à produire et à consommer. Si rien n’est fait, la filière avicole pourrait s’effondrer. Et avec elle, une partie de la souveraineté alimentaire du pays