Le vouloir vivre ensemble exige l’acceptation des règles communes, de valeurs partagées, lesquelles expriment d’une façon générale, l’adhésion à une conception analogue de la société
Le Cameroun vient de célébrer (le 20 mai 2011), la 39ème édition de la fête nationale baptisée fête de l’unité nationale, en référence au référendum du 20 mai 1972 dont l’objectif était d’approuver ou non le projet de constitution soumis par le président de la République Fédérale du Cameroun, instituant une République une et indivisible, sous la domination de République Unie du Cameroun.
D’imminents juristes que compte notre pays se sont affrontés sur la légalité de cette réforme constitutionnelle, les uns la qualifiant de «coup d’état de 1972», s’appuyant notamment sur l’alinéa 1 de l’article 47 de la constitution du 1er septembre 1961, qui déclarait irrecevable toute proposition de révision de ladite constitution, portant atteinte à l’unité et à l’intégrité de la Fédération. Les autres la légitimant par la «nécessité politique» et par la participation massive de la population à cette consultation. Ces querelles juridiques se sont poursuivies après le « retrait infondé » de l’adjectif UNIE en février 1984, re-consacrant la République du Cameroun, mais différente en plusieurs points de ce sur quoi elle portait avant la réunification intervenue en octobre 1961. A côté de cet affrontement juridique, s’est élevée une autre contestation, sociopolitique, portée par la Southern Cameroon National Council (SNCC), qui «se bat» pour faire respecter les termes des accords de Foumban, notamment le partage du pouvoir entre ceux qui hier constituaient les parties à ces accords (Cameroun occidental et Cameroun oriental).
Cette légalité discutée des instruments juridiques qui fondent notre « unité » et les velléités sécessionnistes du SNCC qui, faudrait-il le rappeler, avait proclamé en décembre 1999 l’indépendance des provinces du Sud ouest et du Nord ouest, ces deux éléments non moins significatifs, sur lesquels vient se greffer une réalité sociale plus trivialement dramatique marquée par la poussée de la préférence ethnique, nous commandent de questionner la réalité du concept d’«unité nationale» dans notre société. Après la semaine festive du 20 mai clôturée dans l’ensemble du territoire national par des parades civiles et militaires, le temps nous semble plus serein pour ouvrir la réflexion.
L’unité nationale qu’est-ce que c’est ?
Au Cameroun comme dans de nombreux pays d’Afrique et d’ailleurs, ce groupe de mots est dans l’air du temps et se vend plutôt bien au marché des idées politiques. D’après le dictionnaire Larousse, la nation est définie comme un «ensemble des êtres humains vivant dans un même territoire, ayant une communauté d’origine, d’histoire, de culture, de traditions, parfois de langues et constituant une communauté politique». Elle peut être aussi définie comme une «entité abstraite, collective et indivisible, distincte des individus qui la composent et titulaire de la souveraineté», dans cette deuxième acception, elle se confond à l’Etat. L’unité étant définie comme «caractère de ce qui est un, unique, indivisible». Une autre définition la rapproche de l’union, en faisant de l’unité «le caractère de ce qui est considéré comme formant un tout dont les diverses parties concourent à constituer un ensemble indivisible.» Le concept d’unité nationale dont la finalité est plus aisé à appréhender apparait plus complexe à définir ; d’abord parce que composé de deux mots dont la mise en commun rend le sens redondant : la nation se définit par son unité, en d’autres termes, il n’y a pas de nation sans unité. Ensuite au vue de la diversité ethnique, linguistique, religieuse des peuples du Cameroun, la communauté sociologique, identitaire est difficile à établir. De même, la communauté politique entendue comme «groupe de personnes qui partagent une vision commune du bien suprême et s’essayant ensemble à faire tendre la société vers lui», souffre d’un déficit de doctrine (idéologie) pour porter notre destinée commune.
Ce n’est donc pas excessif de dire, au regard de ce qu’est la fête du 20 mai en l’occurrence, que l’unité nationale est plus un slogan qu’une réalité, un exutoire politique consacré par le parti unique et qui est utilisé depuis le dévergondage multipartiste survenu en 1990 qui a ravivé le tribalisme, comme une pétition de principe garantissant l’unité du Cameroun. En décrétant ainsi l’unité nationale, le politique entretient l’illusion de l’évidence, sans toutefois faire vivre les raisons qui fondent cette unité, mais en les laissant au contraire dépérir. Un constat éclatant de visibilité dans notre société aujourd’hui est cette consécration de la tribalisation de la vie publique. On donne une coloration tribale à la revendication sociale, des frustrations quelques fois légitimes sont détournées de leurs buts vers l’impasse identitaire, les politiciens se servent du repli identitaire comme support de conquête du pouvoir, et la loyauté à la tribu se présente comme rempart de fortune face à l’injustice sociale. Cette cristallisation du repli identitaire trahit l’échec de la politique sociale, c’est-à-dire l’incapacité idéologique, éthique et structurelle de l’Etat à construire des solidarités pour donner sens au concept d’unité nationale. Garantir l’unité nationale exige d’assurer à chacun un égal accès au service public, aux services de santé, à la formation, à l’emploi, à la justice, etc. Ainsi dit, l’unité nationale et ses fondements constituent des choses concrètes, perceptibles, certainement laborieuses à réaliser sans la conscience d’un destin commun.
La jeunesse face au défi de l’unité nationale
Le concept d’unité nationale ne veut rien dire, du moins sans le contenu socio-psychologique qui doit le sous-tendre. En d’autres termes, ce concept devrait renvoyer à une réalité concrète dont l’architecture permettrait d’entrevoir la volonté de vivre ensemble. Ce vouloir vivre ensemble exige l’acceptation des règles communes, de valeurs partagées, lesquelles expriment d’une façon générale, l’adhésion à une conception analogue de la société. Comment la jeunesse camerounaise pourra-t-elle consolider sinon réaliser l’unité nationale ?
Faudrait-il le préciser, l’unité nationale n’est pas une panacée, un concept miracle dont la seule évocation ou l’énonciation dans la constitution en ferait «un instrument patriotique de dissuasion» contre toutes les man uvres de sécession ou de déstabilisation. Au demeurant, le terme union est plus conforme que celui d’unité, à la réalité sociologique du Cameroun. L’effort à faire par notre jeunesse n’est donc pas forcément de comprendre les énigmes conceptuelles de ce concept d’unité nationale, mais d’interpeller son imagination et son intelligence pour penser cette unité nationale, c’est-à-dire l’objet et le moyen d’action commune dans la société camerounaise de demain, en vue de réaliser un destin commun préalablement défini. Cela suppose l’élaboration et la mise en uvre d’un projet d’identité nationale, lequel, au lieu de nier en vain le reflexe de préférence ethnique devra pour le comprendre et le dompter, encadrer sa mise en uvre. C’est un truisme de dire qu’au Cameroun on est avant tout basaa, bangandu, bamiléké, bakossi, béti, bafut, toupouri, douala, bafanji, bamoun, bubia, haoussa, bankon, bafia, yambassa, mbum, bakweri, banen, baka, malimba, kirdi, ngoumba, etc., avant d’être camerounais. La fierté prononcée des camerounais à s’affirmer par leur ethnie ou tribu d’origine est une constance que l’unité vaille que vaille, ne saurait infléchir sans devenir improductive. L’Etat devrait favoriser l’expression des solidarités tribales qui malgré tout, continuent à s’exprimer. Parce qu’il ne sera jamais possible de faire un Cameroun UN, sans cette diversité, il nous faudrait envisager le meilleur moyen de favoriser la participation de ces micro états que sont nos ethnies et tribus aux efforts de construction de la république. Le découpage actuel des collectivités administratives décentralisées (mairies et régions), à quelques exceptions près, consacre ces micro états dont le pouvoir va être renforcé par le transfert à leur profit, des compétences jadis dévolues à l’Etat dans plusieurs domaines (santé, éducation, culture, etc.) En reconsidérant les découpages « arbitraires » de ces micro états, et en leur faisant participer à la satisfaction des besoins de base des populations, on pourrait donner à la préférence tribale, un cadre sain et objectif d’expression, en la sortant du maquis dans lequel elle survit aujourd’hui.
Ensuite au plan national, l’Ecole républicaine pourrait être mise à contribution pour «fabriquer» et consolider une communauté de destin portée par une idéologie de l’amour du terroir, un terroir qui permet et favorise l’expression et le développement de nos tribalités sans les opposer. Cette idéologie devrait fixer dans nos consciences le devoir de préserver l’autorité du pouvoir central, garant de la souveraineté et de la solidarité communautaire (justice sociale). Rien ne nous interdit par ailleurs, pour consolider notre unité nationale mise à mal par le multipartisme de 1990, de revoir notre système de représentation proportionnelle en instituant par exemple des partis locaux qui concourront aux élections locales (municipales, législatives, régionales) et un bipartisme au niveau national (élection présidentielle) où les partis politiques pourraient se constituer en chapelles politiques et procéder à des élections primaires.
Enfin et ce n’est pas le moindre des aspects à considérer dans la réalisation de notre projet d’unité, la « nationalisation du lien social » ainsi envisagée nécessite une remise à jour de notre mémoire collective, c’est-à-dire la formalisation sans distorsion partisane de nos repères historiques et de notre riche patrimoine culturelle.
Si notre jeunesse est portée vers l’avenir et souhaite se donner les moyens de penser autrement le Cameroun de demain, il lui appartient (par devoir) de revisiter les fondements de notre société pour les améliorer et le cas échéant, élaborer une nouvelle doctrine de notre projet de vivre ensemble dans cette mosaïque tribo-ethnique qu’est le Cameroun. C’est un axe d’engagement citoyen qui vient répondre en partie à la question lancinante « on va faire comment ? » N’oublions pas que notre avenir nous appartient aussi et donnons-nous la noble mission de participer à la réflexion sur notre devenir et sur l’avenir du Cameroun. Sinon, à considérer que c’est l’affaire des autres, nous perdrons le droit de critiquer ce qui ne nous concerne finalement pas.
Et pour terminer, une question de culture générale : Combien de tribus peuplent la région du Nord ouest Cameroun ? Pouvez-vous en citer deux ?
