Cameroun: la retraite n’est pas une sanction

Par Dupleix Kuenzob, Secrétaire exécutif de la Dynamique mondiale des jeunes (DMJ)

Le 20 juin 1987, dans son discours à l’Assemblée Nationale, Monsieur Paul Biya déjà à sa 5e année comme Président de la République reconnaissait fort éloquemment que: «La retraite n’est pas une sanction, c’est l’aboutissement normal d’une carrière passée au service de l’État; elle correspond à une aspiration légitime au repos.»

Depuis lors, les temps ont passé et ont même changé. La population a augmenté. Elle s’est rajeunie. Les enfants et les jeunes (les moins de 35 ans) représentent 79,28% de la population totale contre 3,32% pour les personnes âgées soit 65 ans et plus.

Le Président lui-même, octogénaire est encore en fonction et rappelle que « Ne dure pas au pouvoir qui veut, mais qui peut ». Avait-il dit en réponse à un journaliste. Evoquait-il par là une question de rapport de force? Les attitudes de certains hauts commis de l’Etat qui refusent de libérer leur bureau et de faire valoir leur droit à la retraite ne sont-elles pas les prolongements voire une interprétation à la lettre ou une pâle copie pratique de cette réponse? Nous dirions alors plus généralement que « ne reste pas en fonction ou à son poste qui veut, mais qui peut ».

Le « coup de balai » du ministre des Finances en mars 2016, même si cela peut paraître un épiphénomène ou une goutte d’eau dans la mer, mérite d’être salué notamment par les jeunes qui peuvent au moins de ce côté-là aspirer à accéder à des postes de décision.

Malheureusement, cet acte est resté un nom événement pour une population dite essentiellement jeune. Où sont passés les jeunes? La jeunesse a-t-elle perdu le sens du discernement pour ne pas reconnaître ce qui est bon pour elle? Pourtant, c’est en félicitant ce genre d’initiative que l’on encourage les travailleurs dans leur labeur.

A ce titre, le ministre des Enseignements secondaires et le ministre des Finances ont montré leur sympathie pour la jeunesse, leur désir pour l’éclosion d’une nouvelle et jeune génération de décideurs, à l’effet de rechercher la performance. Car l’usure du pouvoir est un puissant facteur de réduction des résultats et du rendement. Aussi, la longévité à une position est le ferment et le levain de la création des réseaux mafieux. Alors que l’alternance est source de changement fut-il infime, puisque tout nouveau venu a pour ambition légitime de marquer son temps. C’est la raison pour laquelle il est bon de vivre en permanence l’alternance, ce qui permet de donner la possibilité aux autres personnes voire générations de faire valoir leurs compétences.

Alpha Oumar konaré, ex Président de la commission de l’UA affirmait qu’« on ne peut pas vivre notre jeunesse et vivre aussi la jeunesse de nos enfants à leur place ». Cela est malheureusement le cas au Cameroun. Les jeunes vont à la retraite alors que leurs grands-pères sont encore en activité. Parfois à la même place ou ils ont fait ces enfants.

Faut-ils les chasser à coups de fouet? Il faut craindre que le spectacle entendu du côté du Minfi ne se réédite ailleurs et dans le temps. Pour se faire, les jeunes devraient se montrer intéressés par l’acte posé par les deux ministres et encourager les autres membres du gouvernement, les directeurs des entreprises publiques et parapubliques dans ces voies. L’alternance viendra de ce côté et de cette manière-là. A savoir montrer de quelle nature sont les bonnes actions attendues par la plus grande portion de la population.

Les PARTIS POLITIQUES DE L’ALTERNATIVE devraient eux aussi reconnaître ces avancées et aider l’administration et notamment ceux qui travaillent dans le sens de l’intérêt général et faire des alliances stratégiques avec eux (à travers des déclarations de soutiens à leurs actions) quitte à ce que ceux-là deviennent indésirables dans leur propre camp pour que le peuple se rende compte des éventuelles supercheries des gouvernants. La politique c’est une question de rapports de force. Ne dit-on pas que la voix du peuple c’est la voix de Dieu? Si les uns et les autres ont longtemps cru que le vote ne sert à rien puisqu’il serait truqué, l’expression massive et publique des jeunes en faveur d’une cause noble comme celle de faire partir les résistants à la retraite est une occasion idoine pour les jeunes de sortir en rangs groupés indépendamment des chapelles politiques et des appartenances tribales pour dire que « Nous voici, nous avons du répondant. Essayez-nous et vous verrez si le Cameroun va tomber ».

Fondé sur cette aspiration à voir les personnes atteintes par l’âge de la retraite à assumer leur maturité, nous avons la faiblesse d’inviter la jeunesse à se lever pour réclamer la mise à la retraite de toutes ces personnes qui ont peur d’être servies puisqu’elles auraient passé le temps à se servir. Cette peur de quitter les avantages acquis se manifeste aussi bien dans le milieu professionnel qu’en politique.

Pourquoi des gens qui ont longtemps travaillé à servir le pays ont-ils si peur de quitter les affaires? Est-ce un aveu d’avoir travaillé contre les intérêts du peuple? Est-ce la peur de voir ses offenses se retourner contre soi? Nous ne pouvons être naïfs de croire que c’est par amour pour le pays que l’on s’accroche à son poste. Peut-on imaginer des joueurs de football ou de handball refuser de quitter le stade à la fin des 90 minutes de jeu sous prétexte qu’ils ne sont pas encore fatigués?

C’est pour rassurer ces acteurs politiques et surtout ramener les jeunes dans la politique que nous avons lancé la campagne pour le changement du lexique des relations partisanes au Cameroun en demandant de partir du mot partis politique de l’opposition à partis politique de l’alternative. Un tel chantier appelle l’implication et l’engagement déterminés de la jeunesse sans laquelle, c’est plus des deux tiers de la population camerounaise qui sont ignorantes des ressorts du changement.

Pour ne pas perpétuer les risques de refus de se retirer de la scène, il importerait que les textes de loi et réglementaires soient plus exigeants en matière de limite d’âge d’exercice et que la loi fondamentale du pays, au-delà de la limitation des mandats électifs, limite aussi l’âge maximum pour être candidat aux hautes fonctions de la République. Quant aux fonctionnaires, à partir d’un certain âge proche de la retraite, il conviendrait impérativement de leur affecter des jeunes pour la prise progressivement de la relève. Un tel état de préparation psychologique et même spirituelle les amènerait à avoir à l’esprit que si « partir c’est mourir un peu », ils auraient au moins le mérite et la satisfaction d’avoir transmis le savoir et les compétences qui leur font s’accrocher au poste à la génération inférieure.


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Les fonctionnaires africains sont-ils culturellement paresseux?

Par Zakri Blé Eddie

En Tanzanie, les fonctionnaires sont condamnés à six heures de prison s’ils sont en retard à une réunion. Bien qu’étant insolite, et qu’il soit difficile de quantifier le phénomène, cette information n’est pas moins intéressante car elle soulève un grand problème auquel l’administration africaine est confrontée : l’absentéisme de ses agents. En effet, les horaires de travail sont difficilement respectés par nos fonctionnaires si bien que la présence devient l’exception et l’absence, la règle. Pour expliquer l’absentéisme dans l’administration africaine, une idée assez répandue laissera entendre que le fonctionnaire africain est culturellement paresseux et non assidu. Qu’en est-il vraiment ?Il faut dire que si cette idée a l’avantage d’offrir une explication toute prête quant aux causes de l’absentéisme sous nos tropiques, elle ne rend pas compte de la réalité. Non seulement, la paresse n’est pas inhérente aux africains, mais l’absentéisme n’est pas l’apanage d’une société ou d’une civilisation donnée. Ces préjugés ne relèvent au final que d’une sorte de déterminisme social et d’essentialisme ethnique et racial. La preuve est que lorsque des africains travaillent avec des organisations internationales, des multinationales ou à l’étranger ils font preuve d’assiduité et de productivité. D’où la nécessité d’aller chercher les causes réelles de l’absentéisme dans le système d’institutions qui incitent à la paresse et démotivent nos agents.

A ce titre, il n’y a qu’à observer les mauvaises conditions de travail dans lesquelles travaillent certains fonctionnaires. Des locaux souvent rudimentaires, voire insalubres; des moyens bureautiques faisant cruellement défaut, ce qui entraîne un blocage de l’élan professionnel chez certains fonctionnaires et une sorte de haine du poste de travail. On note également la mauvaise gestion du personnel, notamment la définition imprécise des tâches et des responsabilités, et la faible incitation financière qui poussent certains fonctionnaires à l’exercice d’activités lucratives parallèles conduisant inéluctablement à leur absentéisme. A ce niveau, il ne faut pas aussi oublier que certains Etats paient irrégulièrement leurs fonctionnaires. C’est le cas du Bénin où les fonctionnaires ont perçu leur dû de 1992 en 1998, ou encore du Tchad et du Mali où des problèmes sérieux de retard de paie sont enregistrés au cours de l’année 2015. Ces Etats ne sont pas les seuls, bien d’autres connaissent ou ont connu ce problème. En outre, pouvons-nous citer encorel’absence de mécanismes de contrôle et de reddition des comptes et même le système d’emploi à vie dans les administrations africaines. En effet, dans ce système, le fonctionnaire y entre pour y rester jusqu’à l’âge de la retraite. De ce fait, l’agent public jouit de la sécurité de l’emploi qui implique la promotion, les avancements et le classement, la sécurité du salaire et l’admission à la retraite. Ce sont là autant de prérogatives dont bénéficie le fonctionnaire contrairement à son homologue du secteur privé. La prise de conscience de cette stabilité crée chez le fonctionnaire des attitudes négatives et l’installe dans une certaine facilité et un certain manque de dynamisme et de rendement.

Aussi, un point essentiel à ne pas omettre est que si les fonctionnaires font ce qu’ils veulent, c’est parce qu’ils n’assument pas les conséquences de leurs comportements.S’il est vrai que des remèdes ont été tentés ici et là, ceux-ci ont été sans effets durables. Aujourd’hui, tout porte à croire que l’Etat a fui ses responsabilités en feignant de ne rien voir quant à l’absentéisme. Les textes juridiques existants sont inappliqués et bafoués face aux entorses portées à l’éthique professionnelle. L’Etat semble s’être enfermé dans un certain laxisme. Voilà donc la racine du mal. Car ce laisser-aller de la part de l’Etat ne fait qu’empirer la situation.

Or ce fléau, notons-le, a des conséquences socio-économiques non négligeables. Non seulement, un surcroît de tâches est observé chez les fonctionnaires assidus et ponctuels, mais également l’efficacité et la qualité des prestations souffrent cruellement car les dossiers sont soit laissés à l’abandon, soit bâclés à la dernière minute. A côté, les prestations sollicitées, rarement satisfaites dans le temps, entraînent le mécontentement des usagers qui finissent par discréditer l’administration publique. Mais chose encore plus importante, la faible productivité des fonctionnaires qui en découle, comparativement à la charge qu’ils représentent pour le budget de l’Etat, suffit pour dire que l’absentéisme est un phénomène nuisible à l’économie,un véritable frein à tout développement durable. Au Bénin, un rapport du Conseil Economique et Social en 2006 a, par exemple, révélé que ce pays perd chaque année soixante-dix milliards de Francs CFA à cause des retards accumulés par les agents économiques à différents niveaux.

Dans l’optique de booster l’élan au travail et de réduire le taux d’absentéisme dans l’administration, dans certains Etats, les autorités ont décidé de prendre le taureau par les cornes ces derniers temps en adoptant de nouvelles mesures. En Côte d’ivoire, un décret est pris en janvier 2012 pour établir de nouveaux horaires de la fonction publique. A Casablanca (Maroc), le Conseil de la ville a décidé cette année de mettre en place des pointeuses horaires à l’entrée de toutes les administrations. Bien que ces dispositions soient à encourager, celles-ci ne sauraient suffire. Une réforme plus globale de l’administration publique doit être envisagée, laquelle doit reposer sur un certain nombre de principes. D’abord, le principe de transparence qui inclut la redéfinition claire des tâches et la délimitation des responsabilités des uns et des autres. Car le chevauchement des responsabilités est l’ennemi de la reddition des comptes. Ensuite, le principe de responsabilité, qui doit mener à la contractualisation pour que le fonctionnaire assume les conséquences de son choix en cas de non-respect de ses engagements. Enfin, les principes de résultat et celui de subsidiarité devront être également pris en compte. Le premier aura pour conséquence la redéfinition des mécanismes d’évaluation et de la rémunération du résultat pour mieux inciter les fonctionnaires à la performance. Quant au second, il est fait pour améliorer la qualité des prestations administratives et surtout faciliter le contrôle par les citoyens des services.

Aujourd’hui, face à la longue litanie des maux qui gangrènent nos administrations, il semble que leur modernisation n’est plus un choix, mais une nécessité qui s’impose en raison de la crise des finances publiques, des demandes croissantes de la population et de la mondialisation de l’économie.


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