Libération de 84 enfants arrêtés dans des écoles coraniques

Les autorités camerounaises ont décidé, le 24 juin, de libérer 84 enfants arrêtés dans des écoles coraniques à l’Extrême-Nord. Soupçonnés d’appartenir à Boko Haram, ils ont passé 06 mois en détention

Les autorités camerounaises ont commencé la libération des 84 enfants détenus depuis six mois à la suite de descentes effectuées par les forces de sécurité dans des écoles coraniques de l’extrême nord du pays, a déclaré Amnesty International hier, mercredi 1er juillet.

«Même s’ils n’auraient jamais dû être détenus aussi longtemps, nous nous réjouissons de voir le gouvernement prendre cette bonne décision. Il a souvent prôné que le respect des droits humains sera au c ur de tout effort de protection des populations civiles contre Boko Haram. On espère que la libération de ces enfants qui vont ainsi rejoindre leurs parents et leurs maisons, peut être considérée comme le premier d’une série d’actes concrets dans ce sens», a déclaré Steve Cockburn, directeur régional adjoint d’Amnesty International pour l’Afrique occidentale et centrale.

Le 20 décembre 2014, les forces de sécurité camerounaises ont effectué des descentes dans plusieurs écoles de la ville de Guirvidig, dans l’extrême nord. Elles ont arrêté 84 enfants et 43 hommes, dont de nombreux enseignants. Les enfants étaient détenus dans un centre pour mineurs à Maroua, le chef-lieu de la région de l’Extrême-Nord, alors qu’ils n’ont été inculpés d’aucune infraction. Les autorités affirmaient que les écoles en question servaient de couverture à des camps de recrutement pour Boko Haram.

Des chercheurs d’Amnesty International ont effectué une mission au nord du Cameroun et ont rencontré ces enfants. L’organisation a dénoncé leur détention et mené un vibrant plaidoyer pour leur libération.

La majorité de ces enfants (47) avaient moins de 10 ans. Seul trois avaient plus de quinze ans. L’organisation internationale avait demandé, le 19 juin 2015, la libération et remise de ces enfants à leurs parents, en vertu de conventions internationales ratifiées par le Cameroun. La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, à laquelle le Cameroun est partie, fixe l’âge de la responsabilité pénale à 15 ans.

La décision a été prise le 24 juin dernier. Sur les 84 enfants, 41 ont déjà rejoint leurs domiciles, tandis que le reste est en train d’attendre la disponibilité des moyens pour retourner chez leurs parents.


Normandie-actu)/n

Maltraitance: des enfants torturés au nom d’Allah à Garoua

Par Christian Locka

A leur jeune âge, ils ne demandaient qu’à apprendre le Coran, livre sacré des musulmans et à entretenir leur foi islamique. Ils ont plutôt été enchainés, attachés ou violés dans des écoles coraniques de la capitale du Nord Cameroun par des guides spirituels véreux et sont aujourd’hui abandonnés avec des plaies handicapantes et des traumatismes.

Ne vous fiez pas à son regard doux, ses cheveux courts et sa chemise vert anglais taillée sur mesure pour clamer son bon état de santé. Du haut de son mètre quatre-vingt-deux, Ousmanou Mamadou, 22 ans, est un géant aux pieds pourris! Sur chaque pied, une plaie aiguë mal soignée ronge les métatarses imbibés de pus et de sang. Les ongles ont sauté de ce qui reste des orteils coincés les uns contre les autres. La peau séchée par endroits fait penser à un lépreux avant la lettre. Avant toute apparition publique, le jeune homme prend soin de cacher l’horreur avec de vielles bandes blanches et du compresse. «Lorsque quelqu’un me donne un peu d’argent, je vais acheter le produit (la Bétadine, Ndlr) pour faire le pansement», dit-t-il d’une voix soufflée. «Ça fait sept ans que je me débrouille au quotidien avec ces pieds».

Un matin de 2008. Ousmanou est brusquement tiré du sommeil par un frère ainé qui le conduit de force dans une école coranique à Souari, un coin populeux de Garoua au Nord Cameroun. La décision surprend l’adolescent; mais, il ne peut s’opposer. Dès que le frère ainé est reparti, le guide spirituel de l’école appelé marabout ligote les pieds d’Ousmanou avec des cordes de 6h à 17h. Aucun proche de l’enfant n’est au courant. Alertée plus tard, la maman d’Ousmanou envoie en toute hâte des enfants pour libérer son fils. Trop tard. «Ses pieds avaient gonflé et le sang qui y jaillissait avait sali le salon de la maison familiale», se souvient Adja Djenabou, marâtre d’Ousmanou. Elle ajoute, attristée: «comme il était très têtu, on a demandé au marabout de le garder, le conseiller et l’aider à lire le Coran, pas de l’attacher. Tu ne peux pas demander qu’on fasse du mal à ton enfant».

Ousmanou Mamadou a été opéré à l’hôpital central de Garoua où il a passé cinq mois. Faute de moyens financiers, il est précipitamment retourné dans le domicile familial où, quand il peut, il se soigne depuis lors à l’aide de médicaments de la rue. Avant le drame, Ousmanou fréquentait une école primaire du quartier. Aujourd’hui, il a le c ur et l’esprit à ses plaies. Sa maman étouffe de peine. Elle voulait donner une éducation religieuse à son fils. Mal Aminou, marabout et promoteur de l’école coranique, en a fait un handicapé improductif. «On ne peut rien faire car il n y a plus d’argent pour acheter les médicaments. On peine à manger tous les jours», dit Adja Djenabou; avant de conclure, impuissante: «Maintenant, on craint le cancer».

«C’est un accident de travail!»
L’entourage d’Ousmanou redoute une gangrène. Aboubakary Isiakou, lui, est déjà fixé sur son sort. «Quelqu’un a eu pitié de moi et m’a conduit récemment chez un médecin. On a demandé au docteur de prescrire un bon médicament pour soigner mon pied ; il m’a examiné et a dit qu’on ne peut plus rien faire. Il faut encore couper mon pied», explique-t-il en chassant de la main une mouche posée sur sa plaie. Bouba, comme l’appellent sympathiquement les copains, était attaché par le marabout tortionnaire une semaine avant l’arrivée d’Ousmanou. Il a été libéré le même jour que son compagnon d’infortune. Avec son lot de dégâts. «Une partie de son pied d’où coulaient du sang et du pus était morte. Sa jambe gauche a été amputée à l’hôpital central de Garoua où Il a passé huit mois», raconte Aliyou, un frère de Bouba.

Bouba avait été confié au marabout par son géniteur avec la consigne d’aider l’adolescent à abandonner la consommation de l’alcool. «Le marabout a dit avoir attaché Bouba pour que l’esprit entre bien dans son corps et que ce qui est arrivé n’est pas de sa faute, c’est un accident de travail!», dit Aliyou. Agé aujourd’hui de 25 ans, Bouba s’appuie sur des béquilles rouillées pour se déplacer. La seconde amputation de sa jambe gangrénée n’est pas encore programmée. Ses proches peinent à réunir la somme de 120.000 f CFA nécessaire pour l’opération. En attendant, il vadrouille avec sa plaie puante à la recherche d’âmes généreuses. Son bourreau, Mal Aminou, a aussitôt repris ses activités dans un quartier périphérique à la ville après un bref séjour en prison pour maltraitance.

Cette sanction est une exception. A Garoua, les écoles coraniques poussent comme des champignons et attirent des foules d’enfants originaires du Cameroun, du Nigeria et du Tchad. Elles sont destinées à l’apprentissage du Coran, le livre sacré des musulmans, mais ne dépendent pour la plupart pas des structures confessionnelles; elles échappent même au contrôle de l’administration publique. Certains guides spirituels appelés marabouts en profitent pour enchainer, attacher ou violer les enfants. En toute impunité. «Nous avons approché les marabouts et leur avons dit qu’en tant que gardiens de la tradition, ils devraient mettre l’accent sur la protection des enfants. Être dans une école coranique signifie-t-il être mal entretenu ou aller mendier», s’interroge Nsenga Lydie, chef service de la protection de l’enfance à la délégation des affaires sociales du Nord.

L’encre, un instrument de viol
Les pouvoirs publics hésitent à agir. Les partenaires au développement aussi. Pour un responsable de la branche locale de l’Unicef, les écoles coraniques sont informelles; elles ne peuvent par conséquent pas bénéficier de l’attention de l’agence des Nations Unies. «Il faut plus de clairvoyance sur les actions menées dans ces écoles», indique Nsenga Lydie. «Sur le plan juridique, il faut que ces marabouts aient des autorisations de l’administration pour pouvoir garder les enfants. Ainsi, on saura le nombre d’enfants qu’ils détiennent, comment ils sont logés, nourris et sécurisés». Même si l’aspect juridique était réglé à l’immédiat, le fonctionnaire souligne que les pouvoirs publics disposent de ressources limitées pour encadrer ces enfants exposés à la pédophilie et au trafic humain.

Le mode de recrutement dans ces écoles est douteux. Certains enfants sont accompagnés et suivis au quotidien par leurs parents. D’autres sont le fruit d’un intense trafic humain entre le Cameroun et ses voisins. Ces derniers parlent uniquement des langues étrangères, pratiquent la mendicité et dorment chez le marabout. En 2013, Mal Saidou, un marabout du quartier Katarko à Garoua avait enchainé pendant quarante-cinq jours une dizaine d’enfants mineurs de nationalités diverses accusés d’être indisciplinés. Les captifs, découverts par le reporter, ont été libérés la veille de la fête du Ramadan. Mais, le marabout a renvoyé quelques jours plus tard les enfants en haillons dans la rue pour chercher à manger. Et ce n’est pas tout.

L’encre noirâtre utilisée dans les écoles coraniques ne sert pas qu’à écrire. Associée aux incantations, elle devient un puissant instrument de viol des mineurs. Aliyou dévoile le mode d’emploi: «Le marabout demande à une fille d’aller laver les assiettes de son épouse. Il a le temps d’apprécier la fille qu’il charme par la suite en lui faisant boire une quantité d’encre. Ensuite, il viole la fille». C’est ce qui est arrivé à la jeune Hapsatou. A l’âge de 13 ans, elle a été violée un après-midi par le marabout de l’école où elle prenait les cours de Coran. Elle fait à présent du commerce ambulant de dattes pour pouvoir tourner la page sombre. Le mal ne touche pas que les filles. «Nous souffrons du problème de viol dans les écoles coraniques», regrette Aliyou. Mais, comme Hapsatou, les victimes redoutent que la dénonciation se retourne contre elles.

La peur des représailles
Bouba l’a appris à ses dépens. Après avoir été torturé, il a trainé le marabout au tribunal contre la volonté de son père. Plus grave, le jeune homme a demandé la réparation du préjudice subi. Il n’en fallait pas davantage. Bouba a été vomi depuis lors par son géniteur qui ne lui pardonnera peut être jamais ce «crime». Et pourtant, «la loi oblige de dénoncer les crimes et les délits et interdit de révéler l’identité des personnes qui ont dénoncé», explique Maitre Antoine Pangue, avocat au barreau du Cameroun et défenseur des Droits de l’homme. En son article 4, la loi sur le trafic et la traite des enfants punit d’un emprisonnement de 10 à 20 ans et d’une amende de cinquante mille à un million de f CFA, «toute personne qui se livre, même occasionnellement, au trafic ou à la traite des enfants». Mais, cet arsenal juridique ne convainc pas tout le monde.

Selon un rapport récent du département d’Etat américain sur la traite des êtres humains, les écoles coraniques sont des centres actifs d’abus contre les enfants au Cameroun. Les rapporteurs suggèrent au gouvernement de renforcer les sanctions infligées aux coupables et d’assurer la protection des personnes abusées. «Les victimes ne se plaignent pas parce qu’elles ont peur des représailles de leurs bourreaux», constate Maitre Antoine Pangue. Les voisins de Mal Saidou, par exemple, ont préféré garder secret le sort des enfants enchainés dans l’école coranique. Ils craignaient que le marabout leur lance une infirmité par vengeance.


Droits réservés)/n