Au Cameroun, des enfants d’Upécistes racontent leur vie pendant le maquis

Le  sacrifice des militants de l’UPC pour l’indépendance du pays est aujourd’hui reconnu comme du nationalisme. Plus de 50 ans après le maquis, des enfants de héros racontent leur vécu

Dans son quartier à Ndogbati II, presque tout l’entourage de Louise Ngo Tonye sait qu’elle est la fille d’un «maquisard». Le sujet revient, de temps à autre, dans des conversations avec des voisines qui tentent de tuer le temps en évoquant des souvenirs d’enfance. Elle raconte alors fièrement quelques anecdotes que lui avait transmises son papa Paul Tonye Nko’o, lorsqu’il leur parlait de son exil dans les brousses de Sak-Bayeme, un village de la Sanaga- maritime. Pourtant, même après plusieurs années, Louise Ngo Tonye n’a jamais évoqué son enfance avec ses voisines, se contentant de petites séquences drôles.

Seules les années passées avec elle ont permis à l’auteur de cet article de prendre connaissance de l’«absence» et de la «peur» qui ont meublées les années d’innocence de cette femme – aujourd’hui mère de sept enfants – du fait de l’engagement de son papa dans la quête de l’indépendance du Cameroun.

«Mon père était déjà dans le maquis à ma naissance en 1955. Il occupait le poste de secrétaire de la section UPC (Union des populations du Cameroun, Ndlr) de la grande Sanaga (aujourd’hui Sanaga-maritime). C’est lui qui rédigeait tous les rapports des réunions qui se tenaient dans les villages bassa et qui servait de lien avec les grands du parti en brousse. Donc il était aussi très recherché par les militaires qui voulaient qu’il dénonce les autres membres et qu’il leur donne les documents qu’il détenait», indique Louise.

 Paul Tonye Nko’o est né en 1920. Il devient membre de l’UPC, un mouvement de pression- créé le 10 avril 1948- qui réclamait l’annulation de la mise du Cameroun sous tutelle française, la réunification «immédiate» et l’indépendance du pays. Avant de militer, il était enseignant pour l’école protestante de Sak-Bayeme. Entre 1954 et1955, il quitte famille et école pour se cacher dans la forêt, poursuivi, en même temps que d’autres membres de l’UPC, par l’armée camerounaise. Sa motivation : changer l’avenir du Cameroun.

-C’est ma grand-mère qui s’occupait de nous-

«Papa était toujours en brousse ou en prison. A de rares moments, il venait nous rendre visite, mais c’était toujours la nuit et il devait repartir avant le matin pour ne pas se faire arrêter par des militaires», confie-t-elle.

Pendant ces moments d’absence, l’encadrement de ses huit enfants revenait à Ngo Njel Sara leur mère, également militante de l’UPC.

«On était déjà habitué à vivre avec notre mère parce que durant les douze premières années de ma vie, mon père n’était pas là. Même après l’indépendance, on continuait à les arrêter, ils n’étaient pas vraiment libres», relève le Dr Njel Urbain,  deuxième né de la famille installé à ce jour à Garoua.

«Ma mère faisait les champs, on mangeait. Mais les militaires la gardaient souvent à Edéa pendant plusieurs jours pour l’interroger. Ils voulaient qu’elle leur dise tout ce qu’elle savait sur les activités de son mari et surtout qu’elle leur dise où il se trouvait. C’est ma grand-mère qui s’occupait de nous, elle était toujours là», ajoute Ngo Tonye Pauline, la deuxième fille de la famille.

-Une vie de peur et de violence-

«La nuit chez nous on entendait souvent des pas. C’étaient des militaires qui rodaient autour de la maison pour s’assurer qu’aucun maquisard n’était arrivé. Et là, bien qu’enfant, on avait peur. Mais ils venaient quand  les autres villageois qui n’étaient pas dans l’UPC leur donnaient des informations, leur disant qu’il y a eu des mouvements suspects dans le village», souligne Louise.

Pauline Ngo Tonye se souvient qu’un «camp de concentration» avait été créé dans le village au début de la décennie 1960. C’est là qu’étaient logées toutes les femmes de nationalistes. Elles y étaient surveillées. Jusque dans leurs champs elles devaient être accompagnées par des militaires armés pour éviter  qu’elles ne rencontrent leurs maris une fois là-bas. Elles devaient céder à toutes les exigences, même sexuelles, des militaires.

«Plusieurs enfants sont nés à cette période-là. Les femmes subissaient les violences sexuelles des militaires qui savaient qu’ils n’avaient de compte à rendre à personne. La plupart de ces enfants ont été nommés Gwet (la guerre en langue bassa, Ndlr). C’était comme si leurs époux étaient psychologiquement préparés à cette situation, quand ils sont rentrés ils ont accepté les enfants comme les leurs. Certains ont même renommé leurs enfants avec des noms comme Cameroun et Africa», explique-t-elle.

Des violences physiques, Njel Urbain n’en a pas subi personnellement, ni aucun de ses jeunes frères d’ailleurs. Mais il se souvient d’un jour de 1962 où des militaires sont arrivés à la maison, ils avaient été informés par certains villageois que des maquisards étaient entrés dans le village. «Ils ont demandé où sont les hommes de la maison. Mon grand-père leur a dit qu’il était le seul homme présent. Alors les militaires l’ont arrêté et ils ont commencé à le rouer de coups, le fait qu’il était déjà fort avancé en âge et malade ne les gênaient pas ils continuaient à le bastonner. Un de mes cousins qui était âgé de quatorze ans à l’époque n’a pas supporté et il s’est interposé. Les militaires l’ont tabassé avant de l’embarquer avec eux. Ils sont allés le laisser à plus de trente kilomètres du village et il est revenu à pied. Je crois qu’il avait compris la leçon.»

-Des enfants disaient que notre père était bête-

Pour les nationalistes et pour leurs familles, les années qui ont suivies l’indépendance du pays en 1961 n’ont pas été faciles. Chômage et moqueries faisaient partie de leur quotidien.

«Des enfants me disaient souvent que mon père était bête. Qu’il avait abandonné son travail pour aller vivre dans la brousse comme un sauvage. J’étais déjà adolescente. Ca me faisait mal je l’avoue. Et quand je rapportais ça à mon père il disait toujours «Um Nyobé m’avait dit que le combat que nous menons aujourd’hui nous n’allons pas en profiter que ce sont les générations après nous qui vont en profiter». Là je reprenais courage. Même sans comprendre, je sentais bien que mon père avait fait quelque chose d’important et j’étais très fiere de lui. J’ai toujours été très fiere de lui», martèle Pauline Ngo Tonye.

Tous les trois s’accordent cependant sur le fait que cette période a été très difficile pour leur maisonnée, Tonye Paul Nko’o n’ayant plus d’emploi. «Il ramassait des noix avec sa femme et il devait vendre cela pour qu’on aille à l’école. Mais il y’avait des sympathisants qui apportaient leur soutien financier et on essayait de faire avec. Jusqu’à ce que papa retrouve plusieurs années après son emploi à l’école protestante», explique Njel Urbain.

Avait-il changé?

S’il est une autre chose qui met également Njel Urbain, Louise Ngo Tonye et leur petite sœur Pauline Ngo Tonye d’accord, c’est bien le fait que leur papa n’avait pas changé. Du moins pas moralement. Il portait sur ses cuisses la cicatrice que lui avait laissée une balle tirée par les militaires alors qui le traquaient en brousse avec ses compagnons, en 1958. Mais cela était, selon eux, «la seule chose nouvelle chez lui». Tous gardent le souvenir d’un homme «enjoué», «plein d’humour et de joie» et «attentionné». Bref un «héros qui avait pour passion le catch et le damier».

 

 

Ernest Ouandié, de maquisard à Héros National

Par Horizons nouveaux magazine

Beaucoup de camerounais ne connaissent pas ce nationaliste de leur pays qui a payé de sa vie pour l’«indépendance immédiate et totale» de son pays.

Et pour cause, son histoire n’est pas enseignée dans les écoles et universités du Cameroun alors qu’il trône sur la liste très sélective des héros du pays depuis le 16 Janvier 1991.
Comment expliquer pareil paradoxe? Qu’est-ce qui empêche nos historiens à se pencher sur la vie de cet homme comme sur celle de nombreux autres héros ou nationalistes Camerounais? Comment comprendre que de jeunes Camerounais puissent parler des Napoléon Bonaparte, Jeanne d’Arc, Charlemagne et ignorer tout ou presque des Douala manga Bell, Adolf Ngosso Din, Wilhem Madola, Ruben Um Nyobè et autres en plein 21ème siècle. Faut-il croire que les Camerounais ont honte de leurs héros ? Ces questions et bien d’autres restent sans réponses tant que dans nos écoles et nos universités, l’on n’apprendra pas à nos enfants, l’avenir du Cameroun, qu’ils ont eu de valeureux ancêtres qui ont combattu ou qui ont eu la témérité de s’opposer à l’occupant Occidental en dépit de leur faiblesse en armes de combat. Et Ernest Ouandié est de ceux-là.

Qui est Ernest Ouandié?
Né en 1914 à Ndumla dans l’arrondissement de Bana, actuel département du Haut-Nkam, il est le 5ème enfant du couple Djemo et Kapsu. Djemo son père, était polygame de trois femmes.

Ouandié signifierait «qui est dans la maison» ou «qui est en sécurité». Il n’a connu qu’une vie de frustrations et ce, depuis l’âge de 13 ans, lorsqu’en 1927, son père Djemo est déporté aux travaux forcés dans les plantations de café des colons français et renvoyé en 1929, soit près de 02 ans hors de sa famille en 1929 pour maladie. A son retour, Djemo s’installera à Bangou dans l’actuel département des Hauts-Plateaux dont on dit qu’il était originaire.

Après ses études primaires, Ernest Ouandié optera pour le métier d’enseignant et en même temps, entrera en politique. Cette entrée en politique lui vaudra de nombreuses mutations dans le pays, disciplinaires pour les uns mais surtout politiques pour les militants de l’Union des Populations du Cameroun (UPC).

Il aura enseigné et même dirigé des écoles publiques du pays.
Ernest Ouandié, le militant et l’enseignant De 1944 à 1948, alors qu’il enseigne à Edéa dans l’actuel chef-lieu du département de la Sanaga-Maritime, Ernest Ouandié adhère et milite au sein de l’Union des Syndicats Confédérés du Cameroun (USCC). En 1948, il rejoint les rangs de l’Union des Populations du Cameroun (UPC) qui, à cette date, est toujours un syndicat mais alors un syndicat très fédérateur et par conséquent très populaire. Il demeurera militant de l’UPC jusqu’à sa mort en 1971 après en avoir été président à la mort de Félix Roland Moumié, assasiné par les services secrets français à Genève en Suisse le 03 Novembre 1960. C’est en Septembre 1952, lors du 2ème congrès de l’UPC tenu à Eséka dans l’actuel département du Nyong et Kellé qu’Ernest Ouandié est élu vice-président de l’UPC chargé de l’organisation et directeur de La voix du Cameroun, un organe de presse et de liaison de l’UPC.

Du 29 Juillet au 12 Septembre 1954, il effectue un voyage en Chine et du 09 au 15 Août 1954, il assiste au Congrès Mondial de la Jeunesse Démocratique puis séjourne à Paris et à Moscou.

Ernest Ouandié, connu de ses camarades militants sous le pseudonyme de «Camarade Emile» sera affecté le 07 Octobre 1948 à Dschang dans l’actuel département de la Menoua. Un mois plus tard, le 06 Novembre 1948, il est muté à Douala comme Directeur de l’Ecole Publique New-Bell Bamiléké.

En septembre 1953, il est à nouveau muté successivement à Doumé dans la région de l’Est puis à Yoko dans l’actuel Mbam et Kim dans la région du Centre. De Yoko, il implante l’UPC dans le Mbam. Un an plus tard, en Décembre 1954, il est affecté à Batouri puis à Bertoua dans la région de l’Est et le 29 Janvier 1955, il est à nouveau rappelé à Douala où le Haut-Commissaire Roland Pré entend avoir la main-mise sur les dirigeants de l’UPC en les regroupant dans la capitale économique. Cette idée ne lui sera pas favorable car elle contribuera à resserrer les rangs de l’UPC et à renforcer leur volonté d’obtenir une «indépendance totale et immédiate du Kamerun».

A Douala, Ernest Ouandié forcera l’admiration du public lorsque Léopold Sédar Senghor, l’agrégé de grammaire est envoyé par l’administration coloniale pour venir demander aux Camerounais d’abandonner la revendication de l’indépendance. A la Salle des Fêtes d’Akwa où avait lieu la rencontre, Ernest Ouandié fit part à l’illustre hôte de la volonté du peuple Camerounais d’accéder à la souveraineté et à l’autonomie et acculé littéralement ce dernier.
Face à cette intransigeance de l’UPC, le colon Français ne trouva d’autre mesure dissuasive que la dissolution de ce mouvement. Ce qui le fit entrer dans la clandestinité et il s’en suivit une vague quasi nationale de repression dans différentes villes du pays. L’on assista alors à un genocide qui ne dit pas son nom et que les autorités françaises se refusent encore de reconnaitre jusqu’à ce jour.

Combien de Camerounais sont morts au cours des différentes opérations de repression menée par l’armée coloniale? Des dizaines, des centaines de milliers? Difficile de répondre à cette question car, sous le prétexte de pourchasser des maquisards qui, au demeurant n’avaient pas d’armes mais avaient réussi à s’en procurer en tuant quelques militaires français avec des flèches et des lances lors des embuscades comme celle de Song-Mbenguè dans la Sanaga-Maritime, les militants de l’UPC réussissaient quelques coups d’éclat mais sans grande portée dans une guerre asymétrique. Les velléités des militants de l’UPC d’acquérir des armes n’avaient jamais porté de fruits à l’instar de Félix Roland moumié qui sera assassiné pendant qu’il négociait l’achat desdites armes.
Ernest Ouandié s’exilera par la suite à Kumba – ancien Cameroun Britannique- puis à Khartoum au Soudan, au Caire en Egypte, à Conakry en Guinée et à Accra au Ghana. Il aura été à la tête de l’Armée de Libération Nationale du Kamerun (ALNK) avec laquelle il avait organisé ds insurrections dans les régions de l’Ouest et du Littoral.

Monseigneur Albert Ndongmo tentera une médiation de réconciliation entre lui et l’administartion Ahidjo. Celle-ci promettait la vie sauve à Ernest Ouandié au cas où il se rendait. Ce qu’il fera le 19 Août 1970 en se rendant au commandant de brigade de Mbanga dans le Moungo et le 26 Décembre 1970, il sera jugé par un tribunal militaire pour atteinte à la sûreté de l’Etat et complot contre le Président Ahidjo dans une parodie de procès où ses avocats venant de France et de Grande-Bretagne avaient été interdits de séjour au Cameroun. Ce procès, retransmis en direct sur les ondes de Radio Cameroun, actuelle Cameroon radio and television corporation (CRTV), suscitera l’émoi des populations qui accepteront sans réchigner ni même protester la condamnation à mort des accusés. Ernest Ouandié sera fusillé pour ne pas dire assassiné le 15 Janvier 1971 à Bafoussam, sur la place publique et inhumé sur le terrain de l’Eglise Evangélique de Bafoussam Plateau où sa famille lui a érigé une tombe qui, malheureusement, avait été profanée comme celle de Félix Roland Moumié quelques années plus tôt, en 1999.

Ernest Ouandié est mort pour avoir fait confiance en un Ahidjo qui ne tenait pas toujours à sa parole et qui, malheureusement pour lui et comme pour expier ses péchés, est allé mourir loin de sa patrie et l’on est surpris aujourd’hui d’entendre des voix s’élever pour demander le rapatriement de sa dépouille, au mépris de tout le mal qu’il a fait au peuple Camerounais pour défendre les intérêts de ses «maîtres» Français.

Ernest Ouandié (au centre) a été fusillé le 15 Janvier 1971 à Bafoussam
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