Les secrets d’une vie d’appels qui tranche avec les lieux communs.
Jadis un des plus jeunes ministres du gouvernement, le ministre Eyebe a aujourd’hui 59 ans. Il a mûri. Henri Eyebe Ayissi a†t†il rêvé d’être un jour ministre? Ce qui est sûr, c’est qu’il a pensé pouvoir devenir prêtre. Et son environnement familial s’y prêtait. Lui, fils de Mbélé dans la Lékié, à quelques encablures d’Obala, est issu d’une famille modeste, mais nombreuse et pieuse. Très jeune, on lui inculque le respect des aînés, de la chose d’autrui, la crainte de Dieu. Après des études primaires sans problèmes, il veut donc devenir prêtre. «Pour servir», dit†il. Le voici donc au séminaire, mais il est difficile de forcer le destin. Eyebe ne sera pas prêtre. C’était écrit. Il va à l’Université de Yaoundé, où il obtient entre autres parchemins un doctorat en droit. Au passage, il a été admis à l’Enam (Ecole nationale d’administration et de magistrature). Il en sort major en 1981 dans une promotion Administration générale en comptant des cracks.
Administrateur civil, on lui met rapidement le pied à l’étrier; très vite, il est chef. Chef de service. Son frère aîné, le journaliste de regrettée mémoire, Titus Mvondo, l’aide à éviter certains écueils administratifs. Une chose est d’être brillant à l’école, une autre d’être un bon fonctionnaire. Eyebe se montre méthodique, appliqué, consciencieux. Il travaille au Contrôle Supérieur de l’Etat sans se douter qu’un jour. A la présidence de la République où le service l’appelle, il est vite remarqué par sa hiérarchie. Au début des années 90, après moins de 10 ans de service, il est nommé ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat. Il a à peine 35 ans. Le jeune ministre a un dossier délicat à traiter: les logements des agents publics. Il y a des abus et il faut y mettre de l’ordre. Ce n’est pas un travail de tout repos ni une mission qui vous fait monter à l’applaudimètre. Eyebe n’est pas homme à se laisser dominer par des états d’âme.
Il y va donc avec entrain, soucieux de respecter les consignes de sa hiérarchie. L’affaire est d’autant plus délicate que le pays plonge dans la crise économique. L’argent est rare, mais le jeune ministre a chevillé au corps le sens de l’Etat et le refus des compromissions. Respectueux des ainés, il entend qu’on respecte aussi sa fonction. On raconte qu’un maire de son département l’a appris à ses dépens. Le droit d’aînesse aidant, il était sûr qu’Eyebé donnerait son aval pour une petite combine. Erreur, l’accord ne viendra jamais. L’aîné se fâchera, tempêtera mais rien n’y fera. Calmement, le jeune ministre lui expliquera les raisons du «niet».
Traversée du désert
Eyebe ne restera pas ministre bien longtemps. Il perdra son poste sans qu’on en sache les raisons. Mais lui, administrateur civil, comprend: «acte discrétionnaire». Il n’y a donc rien à expliquer. Commence alors une longue traversée du désert qui durera quelques 15 ans. Les amis se font rares. On a affaire à la duplicité et à l’hypocrisie des hommes. Eyebe vit tout cela et reste stoïque. Il ne maudit pas le monde entier et dans cette épreuve, il est soutenu par son épouse Odile et sa famille. Puis un jour, les choses recommencent à lui sourire. Il est nommé inspecteur général au ministère de l’Enseignement Supérieur. Il y travaille successivement avec deux ministres, avant d’être muté à l’Administration territoriale comme inspecteur général chargé des élections. Le patron d’alors est un certain Marafa Hamidou Yaya, qui n’apprécie que très modérément la présence à ses côtés d’un ancien ministre.
Peu courageux, il n’ose pas le lui dire en face. Il met Eyebe au régime du pain sec, ne consentant qu’à lui confier d’ingrates missions. Eyebe ne bronche pas. En 2007, le vent tourne complètement. Il est à nouveau ministre. Aux Relations extérieures. Un ministère de souveraineté et de «grande confiance et proximité avec le chef». Un ministère qui a besoin d’un homme à la fois dynamique et pondéré. Il faut donner du tonus à la diplomatie camerounaise sans tirer la couverture à soi, sans oublier que c’est un domaine réservé du président de la République. Eyebe s’y emploie avec entrain, méthode et tact. Il gagne toujours plus la confiance du chef de l’Etat et on le voit piloter le rapatriement des Camerounais malmenés en Guinée Equatoriale. Il réussit à obtenir de son patron les nominations des diplomates camerounais. Un dossier qu’on croyait repoussé à la Saint glin glin.

Mais il y a des gens qui adorent roupiller, ronfler même, ne rien faire. Ceux†là font tout pour contrecarrer l’action du ministre. On n’arrête pas un fleuve avec les mains. Eyebe est nommé ministre du Contrôle supérieur de l’Etat à l’issue de la présidentielle de 2011. On le croit au garage. Il va donner plus de vitalité à cette structure aujourd’hui redoutée. Le Conseil de discipline budgétaire donne des insomnies aux gestionnaires indélicats. Le ministre y est sans doute pour quelque chose. Oui, il faut protéger la fortune publique des appétits gloutons de quelques†uns. D’aucuns comprennent enfin que ce ministère n’est pas un simple gadget, plutôt un précieux instrument dans la lutte contre la corruption et le faux. Et Eyebe ne se laisse pas distraire par des pêcheurs en eaux troubles. Il sait que son rôle est ingrat, un peu comme un gendarme. Chacun est content qu’on arrête le voisin mais souhaite une petite exception, une petite dérogation pour les siens et soi†même.
Homme vrai et bourreau de travail
Partout où passe Eyebe, il semble trouver plaisir à y travailler. Il ne compte pas les heures de travail et il n’a pas de week†end. Il est là tout le temps. Méticuleux, il n’est pas comme ces patrons qui se contentent de «surpiloter» les dossiers, il tente de bien comprendre les choses. Il s’impose un rythme infernal et ceux de ses collaborateurs habitués à flâner, ont du souci à se faire. Le ministre est un bulldozer d’autant plus qu’il est servi par une remarquable condition physique et une intelligence vive. Du temps de ses humanités, c’était un crack en classe, toujours en tête, le genre de camarade qui énerve les autres élèves tant tout lui semble facile. Aujourd’hui, l’homme est non seulement un haut commis de l’Etat, mais aussi un politicien.
Dans la Lékié natale, il est tête de proue du RDPC son parti, le terrain politique où tous les coups sont permis, où les amitiés sont à géomètrie variable. Eyebe Ayissi le sait mais il garde le cap : aider le président de la République, s’acquitter au mieux des missions qu’on lui confie. Il le fait avec âme et conscience sans verser dans l’hypocrisie si chère à certains politiciens d’opérette. Il pose des actes politiques et les assume. Il a des convictions fortes dont les deux principales sont soutien au chef de l’Etat et aux Institutions. Et même s’il comprend qu’on puisse ne pas être d’accord avec lui, †démocratie oblige†, il ne se reniera pas. Ce n’est pas lui qui regrettera d’avoir initié des réunions des textes pour soutenir le chef qui l’a fait prince. Simple bon sens, simple reconnaissance. Rien à voir avec la duplicité et la reconnaissance du serpent que cultivent certains. Ils rient avec le chef, en cachant derrière le dos un couteau. Eyebe reste lui†même et c’est tout à son honneur dans un univers où abondent les faux†jetons.

De son éducation et de son passage au séminaire, il a gardé un solide bon sens qui lui permet de garder les pieds sur terre. Et d’encaisser sans broncher les coups bas de ceux qui veulent le faire sortir de ses gonds. Ces derniers temps, l’adversité s’est déchaînée contre lui. Envoie -t†il des collaborateurs ici ou là pour contrôler une structure †la Conac par exemple†on y trouve à redire. Rédige†t†il un livre sur la protection de la fortune publique, on l’accable. Signe†t†il une motion de soutien, des censeurs sortent l’artillerie lourde.
L’homme est resté flegmatique, presque philosophe. L’ancien séminariste se souvient sans doute de ces paroles bibliques: «ceux à qui on aura plus donné, on leur demandera toujours plus». Lui qui est un redoutable débatteur ne cède pas à la tentation de descendre dans l’arène pour ferrailler avec ses contradicteurs. Il sait pourtant se montrer cinglant dans le propos. Personne n’a oublié que ministre des Relations extérieures, il avait dit leur fait aux diplomates européens venus promouvoir chez nous l’homosexualité. Aujourd’hui, personne n’ose leur tenir un tel discours pourtant frappé du sceau du bon sens, autres temps, autres moeurs. La moindre des qualités du ministre du Contrôle supérieur de l’Etat n’est pas son humanisme. Certes, il n’est pas crésus, mais que de gens aidés! Il n’en voudrait sans doute de le dire ici, lui qui a de ses études de philo retenu que les bienfaits cachés sont les plus admirables.

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