Série noire: Des enfants portés disparus à Yaoundé

Deux nouveaux cas d’enlèvements de petits enfants viennent de se greffer au quotidien du quartier Briqueterie de la capitale camerounaise. Le reportage d’Intégration

Dans sa bicoque à la dérive, Abdoulaye Mota est enfoncé dans une vieille chaise. Il ne cesse de croiser les jambes l’une sur l’autre. De temps en temps, il fronce le sourcil et abaisse son chapeau pour ne voir personne, ou le relever ensuite et découvrir son front et parler. On ne l’interrompt pas, on l’écoute aussi longtemps qu’il veut parler de Halimatou, sa dernière fille. Le 18 novembre 2013, cette dernière a été enlevée par des inconnus, pendant que ses parents s’occupaient à visionner la rencontre de football opposant le Cameroun à la Tunisie.

En cet après-midi du 18 juillet 2014, Hawa Kadi, son épouse, n’a pas encore trouvé d’autre moyen pour surmonter ses nostalgies. Elle ne peut que s’abandonner au pouvoir d’un au†delà consolateur. En cette période de Ramadan, la prière aux accents incantatoires du couple fait écho à l’aspiration la plus vive de revoir leur fille de 02 ans (née le 11 février 2012 à Yaoundé, NDLR). Sur une distance de 200 mètres, dans la cour d’une habitation plus humble, Judith Bassa (31 ans) pile du poivre sur une dure banquette. La scène est complétée par un long mémoire de doléances débité d’une façon peu déchiffrable par la jeune dame. «Pardon, dites à celui qui a pris mon fils de venir le revendre à sa mère», peut†on capter de justesse.

Depuis le 19 juin 2014 à 22 heures, l’infortunée n’a plus jamais revu son fils Souleymanou âgé de 03 ans. Il a disparu pendant le match Cameroun†Croatie de la dernière coupe du monde de football. Comme Judith Bassa, Aline Zenabou, une autre mère, est inconsolable. Ses paroles douloureuses lui font perdre la voix. Et sa peine est si grande qu’elle déambule dans les artères encombrées de la Briqueterie, sans se soucier de ses habits en désordre. Son fils, Ibrahim (02 ans), est aussi porté disparu. C’était le 11 juillet dernier pendant qu’elle écoulait nuitamment des beignets dans le corridor obscur qui talonne la petite mosquée de la Briqueterie.

Démarches
Halimatou, Souleymanou et Ibrahim; cela fait trois gosses enlevés au quartier Briqueterie. Au sein de leurs familles respectives, les espoirs de les retrouver ne sont pas évanouis. Et c’est aux forces de l’ordre et aux médias que les parents hurlent et murmurent leur espérance. Dans ce qui parait être un problème à partager, la Division régionale de la police judiciaire du Centre (DRPJC), le commissariat de sécurité publique du 2e arrondissement à Mokolo ainsi que la sous†préfecture de Yaoundé II sont devenus les tabernacles des avis de recherches. Abdoulaye Mota, le père de Halimatou Saada Abdoulaye, s’y rend de façon régulière, sans cependant exclure d’autres pistes qu’il a personnellement élaborées.

Il indique à cet effet avoir reçu deux appels anonymes. Pour le premier coup de fil, son interlocuteur prétendait être à Ombessa (région du Centre) et lui demandait pas moins de cinq millions pour l’«aider à retrouver Halimatou». C’était, situe Abdoulaye Mota, en début décembre 2013. Au lendemain du voyage infructueux d’Ombessa, le pauvre révèle avoir été joint par une dame prénommée Gisèle depuis Garoua†Boulaï, à la frontière du Cameroun avec la République centrafricaine. Une date, une heure et un objet précis: «12 février 2014 à 18 heures 26, toujours cinq millions».


De même, les parents des deux autres enfants éperonnent leurs montures: ils sont avides de la moindre information, même auprès des tradi-praticiens. Judith Bassa évalue difficilement les sommes faramineuses déboursées par elle chez ces derniers. A la DRPJC, «on est sur le dossier, de même qu’on s’intéresse à de possibles ravisseurs», révèle le chef d’unité, le commissaire divisionnaire Dr. Pierre Nith. «C’est une impérieuse obligation de retrouver ces enfants», ajoute†t†il.

Côté sous†préfecture de Yaoundé II, Yampen Ousmanou, le patron des lieux a convoqué le vendredi 18 juillet 2014 une réunion avec les chefs duquartier Ekoudou. Il pense que le sujet de la disparition d’enfants est préoccupant et ne devrait pas souffrir de lenteur. «On est à l’oeuvre», rassure†t†il. A Mokolo, au commissariat de sécurité publique du 2e arrondissement, le commissaire Marcel Ondoa Ndi s’active lui aussi. Depuis, il table sur la conviction d’être à la tête d’une unité enfouie dans l’un des girons les plus complexes de la capitale camerounaise. Des enlèvements d’enfants, il a décidé d’appliquer un moyen pratique, propre à prévenir le mal et empêcher son évolution: l’interpellation des enfants mineurs poussés dans la rue pour des raisons commerciales.

Souleymanou, à l’aube de son troisième anniversaire
Journal Intégration)/n

Indices
On considère souvent que le quartier Ekoudou (Briqueterie) fait partie des zones dans lesquelles l’ordre public subit permanemment des assauts. «C’est surtout là-bas qu’on a besoin de recourir aux superlatifs pour décrire l’environnement dans lequel vivent les populations», indique Yampen Ousmanou. C’est, de toute évidence, un état de choses dont l’une des grandes transpositions symbolique est la criminalité raffinée par les soins des habitants eux-mêmes. «Ici, l’information circule à grande peine; il y a pourtant un cortège de plaies et de maux ici», reconnait Aladji Baba Mallam Yaya, le chef du bloc D de la Briqueterie.

Cela traduit forcément, sous formes de tableaux dramatiques les enlèvements des enfants. A les décrypter, l’on se rend compte que depuis la disparition d’Halimatou en novembre 2013, les deux autres cas récents ont visé des gamins d’un âge presque identique. Bien plus, c’est lorsque les parents ont les yeux rivés sur le football ou sur leurs commerces que les tout†petits sont enlevés. On ne manque pas de signaler que dans le foisonnement des anecdotes liées à ces affaires, des gens au profil vraisemblablement équivoque sont rentrés dans le jeu. C’est le cas de ceux qui exigent des rançons. Encore, c’est presque dans la même zone, celle du bas†fond (vers la pharmacie Elobi) que les enlèvements ont lieu. Bien suspect tout çà.

Halimatou, disparue depuis novembre 2014
Journal Intégration)/n