Elle coordonne la semaine d’affichage contre la peine de mort au Cameroun et a accepté d’expliquer son concept de révolte
Qu’est ce que le concept Humanispheria?
Humanispheria est né de la réflexion d’un groupe de travailleurs humanitaires qui s’interrogeaient sur le sens de leur métier. On s’est aperçu qu’on se sentait mal à l’aise face à un système – celui de l’aide internationale – dont on commençait à sérieusement douter de l’efficacité, ce qui questionnait notre propre rôle et notre responsabilité finalement. Ne contribuons-nous pas, paradoxalement, à maintenir un modèle qui continue d’exclure et d’appauvrir? Cinquante ans après les indépendances, nos réflexes de solidarité, nos imaginaires restent fortement marqués par des schémas hérités de la période coloniale, que cela nous plaise ou non… C’est pour les mettre en évidence et tenter de construire ensemble des alternatives que le collectif a créé un média participatif. Ce premier projet comporte deux volets, un site web de publication multimédia et un réseau social (qui doit ouvrir d’ici la fin de l’année 2010) qui permettra à ses membres de collaborer à distance et de mener des projets en commun et le deuxième grand axe de travail du collectif porte sur le rôle de la création artistique comme l’un des moyens les plus universels de promouvoir le respect et la tolérance. Grâce au web, nous avons maintenant la possibilité d’échanger des images, des sons, des photos presque instantanément. Là où la langue et l’écrit étaient de véritables obstacles à la prise de parole, il est désormais possible de s’exprimer autrement et de le faire savoir. Humanispheria est donc à la fois un diffuseur de films, de photos ou d’ uvres qui ne trouvent pas leur place dans les médias dits traditionnels et un producteur de projets artistiques participatifs.
Comment a été prise la décision d’organiser à Yaoundé au Cameroun, ces journées d’affichage en manifestation contre la peine de mort, notamment quel a été le rôle joué par Post For Tomorrow?
Depuis 2009, Poster For Tomorrow est l’initiateur d’un concours de création graphique et coordonne l’évènement à l’échelle internationale. Les fondateurs de Poster For Tomorrow estiment que l’art de l’affiche peut contribuer à faire changer nos sociétés. C’est ce que résume Shirin Ebadi en disant que jeter un simple coup d’ il à une affiche peut parfois produire le même effet que lire un livre… C’est donc assez naturellement qu’Humanispheria a décidé de s’associer à ce projet et dans la mesure où aucun autre partenaire ne s’était positionné sur l’Afrique sub-saharienne, nous avons choisi d’organiser l’exposition à Yaoundé, où nous sommes représentés. Après la liberté d’expression l’année dernière, l’équipe de Poster For Tomorrow a choisi cette année le thème de l’abolition de la peine de mort. Plus de 2000 candidatures ont été adressées et en provenance de 78 pays différents, mais pas une seule candidature d’Afrique sub-saharienne. Notre objectif est donc non seulement de faire passer le message porté par l’exposition sur l’abolition de la peine de mort, mais aussi de faire connaître ce concours de création graphique au Cameroun, et peut-être que l’année prochaine des créateurs camerounais se retrouveront parmi les lauréats!
A quels types de réactions vous attendez-vous dans ce mouvement?
Il y a déjà eu des réactions ailleurs, comme en Irlande où la mairie de Belfast a voulu censurer 30 affiches parmi les 100 que comporte l’exposition. Certains partenaires de Poster For Tomorrow ont été harcelés, voire même provisoirement arrêtés. Mais ces réactions négatives sont marginales, et globalement, la campagne est très bien reçue. Quatre expositions auront lieu en Iran par exemple, ce qui était plutôt inattendu. Depuis une vingtaine d’années, il y a une tendance internationale très nette en faveur de l’abolition de la peine de mort. Par rapport au Cameroun, cette exposition s’inscrit dans la lignée d’un débat national qui existe depuis plusieurs années. En 2008, le Cameroun a voté en faveur d’un moratoire mondial sur les exécutions supervisé par le conseil des Nations Unies du 18 décembre 2008. Cette exposition à Yaoundé contribue donc à alimenter et poursuivre le débat ici au Cameroun.
Au Cameroun, la peine de mort n’est pas seulement le fait de l’Etat, elle est aussi le fait des populations qui mettent parfois à mort des personnes suspectées de vol ou autre fait d’agression; est-ce que ce type de peine de mort concerne aussi vos revendications?
L’article 5 de la déclaration universelle des Droits de l’Homme dit que Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. » L’exécution est une peine cruelle, inhumaine et dégradante. C’est donc une violation de nos droits fondamentaux en tant qu’êtres humains. Humanispheria est en faveur de son abolition universelle. Il est vrai cependant que le mouvement international pour l’abolition universelle de la peine de mort se concentre sur l’abolition juridique de cette pratique au sein de codes pénaux des pays la pratiquant toujours. Les exécutions en dehors du cadre juridique d’un état sont toutes aussi tragiques, et de nombreuses ONG et associations travaillent dur pour essayer de les éradiquer.
En quoi consiste la lutte pour l’éradication de la peine de mort et quels sont les objectifs de Humanispheria dans ce sens?
En participant à la campagne de Poster For Tomorrow cette année, Humanispheria s’associe à l’ensemble des organisations qui militent en faveur de l’abolition universelle de la peine capitale, comme Amnesty International, la FIDH ou Ensemble contre la peine de mort. Leur combat consiste à faire adopter à tous les pays des dispositions constitutionnelles et juridiques qui interdisent le recours à la peine de mort pour tous les crimes et en toutes circonstances. Le combat vise aussi à démontrer que la peine de mort est une pratique inefficace (elle n’est pas dissuasive), illégale (elle viole la déclaration universelle de Droits de l’Homme), injuste (elle tue des innocents), cruelle, sans appel et réductrice (elle empêche tout travail de réhabilitation). Aujourd’hui, sur les 196 états-membres des Nations Unies, 139 pays sont abolitionnistes en droit ou en pratique. Même s’il reste encore beaucoup à faire, ces chiffres sont très encourageants.

Quelles appréciations faites-vous de la position des autorités camerounaises face à la peine de mort?
Il n’y a pas eu d’exécutions au Cameroun depuis la fin des années 80, le Cameroun est donc considéré par Amnesty International comme abolitionniste en pratique. La constitution camerounaise entérine l’article 5 de la déclaration universelle des Droits de l’Homme en précisant dans son préambule que Toute personne a droit à la vie et à l’intégrité physique et morale. Elle doit être traitée en toute circonstance avec humanité. En aucun cas, elle ne peut être soumise à la torture, à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le chef de l’état a récemment commué la plupart des condamnations à mort en peine d’emprisonnement à vie. C’est un signal positif très fort et nous nous en félicitons. L’action des organisations non gouvernementales est essentielle car elle permet d’informer, de mobiliser et d’alerter, mais c’est la volonté politique qui reste le véritable moteur du changement. Les décisions récentes des autorités camerounaises semblent donc aller dans ce sens.
Humanispheria a-t-il d’autres actions au Cameroun ou en Afrique en dehors de cette journée exceptionnelle pour l’abolition de la peine de mort?
Cette exposition est la première action d’Humanispheria en Afrique, et nous ne comptons pas en rester là! L’un de nos objectifs est d’encourager la participation d’acteurs africains de la solidarité internationale ou de la création audiovisuelle pour pouvoir mener ensemble de nouvelles actions au Cameroun ou ailleurs en Afrique.
Comment voyez-vous le combat pour l’abolition de la peine de mort dans les vingt prochaines années?
Le mouvement international pour l’abolition universelle de la peine de mort est un mouvement fort, organisé, et qui bénéficie du soutien absolu de plusieurs grandes organisations internationales et étatiques, telles que l’ONU et l’Union Européenne, sans oublier les gouvernements des pays abolitionnistes. On peut espérer que d’ici vingt ans, tous les états du monde aient abolit cette pratique inhumaine et qui viole le droit international. Cependant, le mouvement doit continuer à mettre la pression aux pays exécutant encore des hommes et des femmes au nom de la loi. C’est un combat de chaque instant, et la pression ne doit jamais s’arrêter. J’ai bon espoir que dans 20 ans nous ayons atteint notre but.
Quelle impression vous laisse finalement cette première journée d’affichage?
Je remercie tous ceux qui sont déjà venus ce premier jour, mais en même temps, je suis quand même un peu déçue, parce que certaines organisations avaient promis d’être là, et elles ne sont pas venues, peut-être qu’elles viendront dans les prochains jours. Nous avons par ailleurs décidé d’effectuer les affichages dans des endroits différents, afin que tous les habitants de Yaoundé puissent être sensibilisés aux idées que nous défendons. Nous y travaillons et puis on verra avec l’organisation
Un dernier mot pour nos lecteurs?
N’hésitez pas à venir faire un tour sur Humanispheria pour découvrir le contenu du site, et aussi contribuer à la réflexion!
