L’ambassadeur américain dans une interview exclusive, est revenu sur les relations économiques et la vision politique que son pays a du Cameroun
En Afrique et au Cameroun aussi, plusieurs personnes avaient eu l’impression que les choses devaient radicalement changer avec l’élection du président Obama, notamment en termes d’aide à l’Afrique. Pourtant c’est seulement à la quatrième année de son mandat qu’il a lancé son programme pour l’Afrique, le Doing Business In Africa. Qu’est-ce que le Doing Business in Africa et que peut espérer le Cameroun de cette initiative commerciale et économique?
Le Doing Business in Africa est un programme qui est en pleine évolution. Nous sommes en train de mettre en place toutes les composantes qui devraient permettre de le déployer. Ce qui est déjà acquis, c’est qu’on va le construire sur la base de l’AGOA, on va renforcer les efforts déjà fournies par nos institutions dans le sens de la promotion des échanges entre l’Afrique et les Etats-Unis. Pour être déjà plus concret, il a été créé à Johannesburg un centre d’énergie propre. On envisage aussi de mener cette année une série de séminaires de travail avec des hommes d’affaires et les ambassadeurs américains d’Afrique, afin de s’assurer que ces hommes d’affaires ont une bonne appréciation des marchés et des opportunités offertes. Nous croyons que les trois volets du Doing Business in Africa à savoir les finances, l’apport de la classe des affaires et les séminaires sont opportuns. Pour le Cameroun, j’ai invité le directeur du centre pour les énergies propres à venir pour une visite de travail au courant de cette année 2013. Il a marqué son accord. Il y a deux aspects importants pour le Cameroun, le fonds pour l’énergie propre et l’accès à la technologie de l’énergie solaire. L’Amérique est déjà présente avec deux entreprises qui vendent des lampes solaires de fabrication américaine et je pense que cela peut aider les populations qui n’ont pas accès à l’électricité, d’avoir une source de lumière renouvelable.
On parle d’énergie et de solaire, ce sont des investissements lourds. Si on ramène le Doing Business in Africa au niveau des entreprises camerounaises, que peuvent-elles attendre de cette initiative, et comment peuvent elles y être éligibles?
Nous voulons créer des partenariats entre les hommes d’affaires et les entreprises. L’an dernier le nombre de sociétés membres de la chambre de commerce américaine à Douala a doublé. On y retrouve des entreprises américaines, des joint-ventures camerouno-américaines et aussi des entreprises camerounaises. Pour ma part, avec les organisations intermédiaires comme le GICAM ou encore ECAM, il s’agira de bâtir autour d’eux des partenariats. Je reste convaincu que les deux espaces économiques peuvent s’offrir mutuellement des produits intéressants. Nous avons vu dernièrement des grands succès dans le domaine agricole, des exportations vers les Etats-Unis. L’entreprise La Maraîchère vient d’avoir son deuxième plus gros contrat pour exporter des denrées aux Etats-Unis. Je viens aussi de voir des chiffres du commerce de l’année dernière (2012), le volume des exportations américaines vers le Cameroun jusqu’à la fin novembre était supérieur à toute l’année 2011 et de loin supérieur à celui de 2010. Les exportations camerounaises ont gardé un bon rythme et restent supérieures à 2010. Le défi pour nous est de nous assurer que les hommes et les femmes d’affaires des deux pays, possèdent des informations et un cadre pour renforcer les échanges. Ce n’est pas au gouvernement d’organiser le commerce et les investissements. Mais nous pouvons indiquer les opportunités qui existent pour ceux qui sont intéressés. A cet effet d’ailleurs, j’annonce que notre site web sera plus riche en 2013. Sur le site nous avons aussi mis des exemples d’investissements américains au Cameroun comme CRELICAM.
Parlons justement de CRELICAM. En tant qu’ambassadeur, qu’est-ce qui vous procure le plus de fierté dans cette compagnie, le fait qu’elle assure bien l’expansion américaine ou alors le fait qu’elle veut développer le Cameroun avec le commerce?
Je suis fier pour les deux raisons. Évidement je crois que leur investissement aura été une bonne chose pour le Cameroun et les États-Unis. Savoir que dans le monde on peut désormais retrouver des guitares de hautes gammes fabriquées à 75% avec de la ressource (humaine, matérielle) camerounaise doit être un motif de fierté supplémentaire. D’un autre côté, cette entreprise respecte toute la réglementation qui tourne autour du bois et de la gestion des entreprises au Cameroun, preuve qu’on peut y faire des affaires. Personnellement, je comprends que les entreprises doivent faire face à de nombreux défis et que cela reste difficile d’aller au-delà d’un certain salaire vu les exigences de rentabilité. Mais il faudra s’attaquer à la question du salaire minimum au Cameroun car on peut relever qu’il est l’un des plus bas de la zone d’Afrique centrale.
Revenons au Doing Business, de nombreux commentateurs estiment que l’Amérique réagit face à la progression d’autres partenariats au Cameroun, notamment, les chinois, les turcs, les japonais, les coréens. Quel est votre avis?
Je ne crois pas que ce soit une réaction. Vous vous rappellerez qu’au mois de juin 2012 lors du dernier sommet de l’AGOA à Washington, le président Obama a annoncé de nouvelles initiatives pour l’Afrique. Il y a quatre volets : Promouvoir la démocratie, les droits humains et la bonne gouvernance ; promouvoir l’investissement et le commerce ; promouvoir la paix et la sécurité et enfin promouvoir le développement. Pour ma part, le deuxième et le quatrième volet sont les signes de notre détermination à rester impliqués et compétitifs en Afrique. C’est vrai que de nombreux autres pays ont fait des avancées au Cameroun et ailleurs en Afrique. Cependant, nos offres sont capables de tenir la concurrence. Lorsque nous parlons du transfert de technologie, nos entreprises utilisent suffisamment la main d’ uvre locale. A CRELICAM par exemple, l’essentiel du travail est assuré par des camerounais. C’est vrai qu’il y a des experts américains ou mexicains. Vous conviendrez que des pays comme la Chine par exemple, utilisent leur propre main d’ uvre, dans les projets réalisés au Cameroun, les Turcs je crois sont plus équilibrés et font du 50/50. Le fait que nous soyons prêts à faire ce transfert des technologies est un atout à mon avis.
L’aspect sécuritaire représente le troisième volet de la nouvelle politique africaine d’Obama, on a vu l’Amérique active dans la protection des parcs animaliers au Cameroun à Bouba Ndjida, il y a les man uvres conjointes avec les armées camerounaises, le renforcement des capacités pour la sécurité aérienne. Que vaut cet intérêt sécuritaire de l’Amérique au Cameroun?
L’Amérique s’est fixé pour objectif de travailler sur les aspects sécuritaires partout en Afrique et dans le monde. Investir dans la sécurité ici au Cameroun, c’est avant tout investir dans notre propre sécurité. Il faut se rappeler que la personne qui avait récemment voulu détruire un avion à Detroit venait du Nigéria. Évidement tous les nigérians ne sont pas terroristes. Il faut anticiper sur les problèmes et être prudent. Le fait de renforcer la sécurité au Cameroun fait partie de notre politique sécuritaire globale en Afrique. L’un des trois exercices que nous faisons est régional et se fait conjointement avec l’OTAN. Notre objectif est de faire en sorte que les pirates, les braconniers et les terroristes, se retrouvent en face de notre méthode de riposte partout où ils se trouvent.

Monsieur Obama a prêté serment pour un deuxième mandat. Il y a quatre ans c’était une surprise qu’une personne non blanche soit élue à la présidence américaine et aujourd’hui il est réélu. Comment les américains vivent-ils cette situation?
Je pense pour ma part que c’est normal. Notre démocratie comme toutes les autres est au c ur d’un travail permanent. Plusieurs personnes ont parié sur le fait qu’en raison de la situation économique, le président Obama ne serait pas réélu. Mais il a su mettre autour de lui une équipe solide qui est allée chercher des voix, avec toutes les techniques qu’offrent aujourd’hui les technologies de l’information et les médias sociaux. Il a offert un message que des électeurs ont apprécié et on lui a fait confiance de nouveau. Dans son discours d’investiture il a été clair sur sa vision en mettant l’accent sur l’égalité et la sécurité sociale. Il veut un développement plus inclusif de la société américaine. Avec la crise, la situation de la classe moyenne s’est dégradée et nous devrons faire face à cette réalité. Je crois qu’on voit un président qui veut remédier à cette situation. Mais on garde à l’esprit que les projets sociaux seront réajustés et qu’il faudra faire attention au déficit public.
Avec tous ces problèmes auxquels il doit faire face dans son pays, l’Afrique francophone attend toujours de voir le président Obama dans un de ses pays. Est-ce qu’ils ont des raisons d’espérer, est-ce que le président Obama peut être un jour l’invité des camerounais et du Cameroun?
On peut garder cet espoir. Mais pour être précis sur cette question, je dois dire que le président Obama n’a fait que deux voyage en Afrique et c’était durant les six premiers mois de son mandat. Je crois que l’initiative peut se renouveler en Afrique francophone mais aussi en Afrique lusophone ou anglophone. Je suis convaincu de cette visite parce que j’ai évoqué le sujet avec lui directement. Il a dit qu’il va revenir en Afrique pour voir comment les efforts déployés sur le terrain ont avancé. Pour l’heure, aucun voyage n’est en préparation à ma connaissance mais l’analyse que je viens de faire et le fait que l’Afrique reste une préoccupation sur plusieurs domaines sont des indicateurs qu’il pourrait bientôt revenir et peut-être plus qu’une fois.
Cette année le Cameroun doit faire face au défi de nouvelles élections. Vous vous êtes impliqué en invitant les gens à s’inscrire sur les listes électorales parce que vous croyez que c’est comme cela qu’on peut changer les choses. Quelle appréciation faites-vous du niveau des inscriptions aujourd’hui au Cameroun?
J’étais à ELECAM ce matin (jeudi 24 janvier). J’y suis allé pour encourager ses efforts dans le sens d’avoir plus de personnes inscrites. A cette occasion j’ai dit publiquement que j’applaudis les efforts D’ELECAM (organe en charge de l’organisation des élections au Cameroun), et les initiatives qu’elle prend pour augmenter les inscriptions. Pour qu’une démocratie fonctionne les gens doivent s’impliquer. S’ils choisissent de ne pas voter c’est une chose. Mais on ne peut pas décider de perdre cette possibilité de choisir qui est un droit, en restant en marge du processus démocratique ou alors on n’a pas à se plaindre du résultat des élections. Je comprends qu’il y a beaucoup de partis politiques au Cameroun et que si on regarde l’histoire peut-être c’est compréhensible. Mais il y a une chose qui est claire en démocratie, le changement doit se faire par les urnes. Si les gens sont contents de la situation ou s’ils sont mécontents c’est à eux de le faire savoir. Pour ma part, le lieu idéal est dans un bureau de vote.
On va parler du Corps de la Paix (Peace Corps) dont vous avez célébré le cinquantenaire de leur présence au Cameroun. Quels commentaires?
Je suis très fier de ce corps des volontaires. Dans les situations les plus difficiles, ils font des efforts aux côtés des populations pour améliorer leurs conditions de vie. A travers l’agriculture, le renforcement des PME, l’éducation, l’informatique, la protection de l’environnement, l’amélioration de la santé. Lorsque je discute avec beaucoup de ministres ils reconnaissent avoir eu pour professeur un volontaire du Corps de la Paix et en cela le Cameroun doit aussi être fier d’eux. Mais le programme au fil du temps s’est adapté aux besoins actuels : La langue anglaise, mais aussi l’agriculture, la santé, l’entreprise et l’environnement sont la priorité aujourd’hui. Ce sont des défis qu’on aborde dans le même temps. J’aimerais noter que nous avons fait plusieurs sondages avec les populations où se trouvent les volontaires et de nombreuses personnes affirment à 80% ou plus, que le travail des volontaires a eu un impact sur leur vie quotidienne.
Nous sommes en 2013, quelles sont les priorités de l’Amérique pour le Cameroun?
Nos priorités restent inchangées, mais j’aimerais citer quelques exemples. On va poursuivre avec les actions sécuritaires, cela va continuer mais avec un rythme plus souple au mois de mars. Le mois prochain on va lancer notre programme de denrées pour l’éducation avec plus de 150 écoles. L’idée est de faire de l’école un centre plaisant pour les enfants, en leur offrant un déjeuner à l’école. On leur donnera aussi de la nourriture pour qu’ils rentrent avec chez eux, et on espère que cela encouragera les parents à voir le côté pratique qu’il y a à envoyer les enfants à l’école. L’expérience dans la région du nord-ouest a été fantastique, et je reste convaincu que le nord tiendra des promesses. La santé aura aussi une place importante avec un budget de 15 milliards de FCFA. On cible principalement le SIDA surtout la prévention de la transmission de la mère à l’enfant. Mais il y aura aussi le paludisme. Je suis heureux de l’impact de notre contribution dans la lutte contre le choléra et on va renouveler les expériences. En matière d’environnement, nous sommes heureux de l’implication du BIR dans la protection des parcs aux frontières avec le Tchad et la RCA. Je les encourage à y rester. Mais nous devons et allons renforcer nos efforts pour lutter contre le braconnage. Nous devons nous impliquer tous à la sécurité du Cameroun. Pour la démocratie et la gouvernance, nous allons observer le déroulement des inscriptions sur les listes électorales. En matière de gouvernance, je salue la création du Tribunal Criminel spécial. Mais il faut s’impliquer davantage et emmener les camerounais à dire non aux pots de vins.
Un dernier mot pour nos lecteurs?
Je voudrais souligner que contrairement à ce qu’on peut croire, le partenariat entre le Cameroun et les États-Unis est très fort. Chaque année depuis mon arrivée, nous avons augmenté notre assistance au pays d’une façon importante et en 2013, on prévoit une enveloppe de plus de 60 millions de dollars. Nous croyons que c’est un bon investissement. Les exemples de sociétés comme CRELICAM et d’autres, initiatives américaines sont moins connues. Je reçois des invitations tous les jours de certaines ONG américaines qui travaillent dans le domaine de la santé ou de l’agriculture. Je reviens d’un voyage à Bamendjou ou une organisation a mis en place un mécanisme de potabilisation de 20.000 litres d’eau pour les populations. Je souhaite que vos lecteurs comprennent aussi que les partenariats de gouvernement à gouvernement sont bien, mais de nombreux partenariats peuvent se développer entre les personnes et les organisations dans les deux pays de manière pertinente.
