Vainqueur l’an dernier, le cinéaste haïtien est de nouveau au Cameroun avec un long métrage, «les amours d’un zombie»
Arnold Antonin, vous êtes un cinéaste haïtien et vous participez au festival les écrans noirs, vous avez un long métrage en compétition, « les amours d’un zombie », qu’avons-nous oublié dans votre présentation?
C’est la première fois que j’y viens en personne, mais j’étais déjà présent aux écrans noirs l’année passée avec un documentaire, «Jacques Roumain, la passion d’un pays» qui avait remporté du meilleur documentaire. J’ai rencontré par hasard un membre du jury, il m’a dit que c’est à l’unanimité que ce jury m’avait décerné le prix et j’en étais vraiment ravi.
Votre film est sorti depuis mai 2009, pourquoi avoir choisi de l’envoyer en compétition cette année, puis qu’on sait que le scénario de votre film a été redigé par un grand romancier haïtien, Gary Victor?
Oui c’est un peu ça, mais en réalité j’aurais pu l’envoyer depuis l’an dernier. Mais cette année j’ai décidé d’envoyer le film au maximum de festivals internationaux, parce que je pense qu’on ne peut pas se contenter de le faire visionner par le public haïtien et une bonne manière je pense de le faire connaitre c’est de le faire participer à des festivals; donc j’irai bien au FESPACO et autres. Comme vous le disiez, il y a ce côté relatif au sujet. A Haïti et dans d’autres pays comme le Brésil ou même le Cameroun, il y a une frontière tellement tenue entre le réel et l’imaginaire. Puis je me suis dit ayant gagné le prix du documentaire l’an dernier, pourquoi ne pas essayer encore cette année avec une fiction.
C’est la première fois vous avez dit, que vous venez au Cameroun, est-ce que vous le connaissiez avant?
Cela fait déjà quelques années que je connais Bassek Ba Kohbio. Je l’ai rencontré dans les festivals. La première fois c’était en Haïti même il y a plus de 20 ans puis à Montréal au palais de la civilisation à Québec. J’ai beaucoup aimé son film que j’avais déjà vu d’ailleurs dans une édition du FESPACO (le grand blanc de Lambaréné), un film de très bonne facture et très bien fait. J’avais l’idée du Cameroun, comme d’un pays africain très riche et là où les gens ont le moins souffert des violences et de la destruction. Je connais aussi personnellement Manu Dibango. Quand il vivait à Bruxelles, il y a côtoyé beaucoup d’haïtiens et il s’en souvient toujours.
Haïti est un pays à 95% constitué de noirs, alors est ce que vous trouvez certaines similitudes entre les noirs d’ici au Cameroun et ceux de Haïti?
Je dis tout de suite oui; j’ai noté qu’il y avait une partie de la population haïtienne qui ressemblait par les traits à certains camerounais. C’est vrai qu’il y a des Haïtiens qui ressemblent à des sénégalais, des ivoiriens et même des bushmen. Il y a certaines de ces ethnies qui se sont installées dans certaines régions d’Haïti et je dirais qu’ils ont conservé les traits de leurs tribus d’origine. J’ai trouvé qu’on avait une similitude de comportement dans certains cas. Par exemple je trouve qu’il y a une manière un peu rude des camerounais de poser les questions, commune à beaucoup d’haïtiens
Vous êtes blancs et haïtiens comment cela se fait-il?
(Rires) je suis un métis… Sérieusement je suis un métis. Ma grand-mère était noire et je dirais même bien noire; vous savez, en Haïti, il y a un article de la constitution de Dessalines, qui dit que tous les haïtiens sont noirs indépendamment de la couleur de leur peau. En Haïti vous savez et c’est spécial, on sait qu’on est mulâtre (métis) ou noir ; mais c’est lorsqu’on arrive à l’étranger qu’on remarque qu’on est un blanc, mais seulement d’apparence.
Est ce que vous n’avez pas l’impression depuis les indépendances, et même on le voit à travers votre film «les amours du Zombi», que Haïti cherche encore son chemin?
Je suis d’accord que certaines crises sociales débutent lorsque les peuples commencent à se questionner sur leur identité, mais ce n’est pas le cas d’Haïti. Il y a quelque chose de spécial dans ce pays; d’abord tous les haïtiens jeunes ou vieux, ont une seule langue, ils parlent le créole. D’un autre coté il n’y a pas des guerres de religion, malgré quelques velléités des sectes protestantes, mais c’est une population en majorité vaudouisante. Il n’y pas non plus cette distinction de l’origine car toutes les ethnies d’esclaves qui se sont retrouvées à Haïti se sont confondues et on ne retrouve pas de conflits jusqu’ici. A un moment de l’histoire du pays il y a eu une petite distinction entre ceux qui étaient nés à Haïti et ceux qui étaient nés en Afrique, mais tout ça n’existe plus. Alors Haïti a tout ce qu’il faut pour la construction d’une nation unie et forte, mais ce n’est pas le cas. C’est un pays qui est né d’une longue lutte contre le colonialisme. Et ça il faut le dire c’est un cas unique dans l’histoire, de révolution réussie par les esclaves, contre les puissances coloniales blanches. Suite à cela on oublie souvent de le dire, le pays a subi une mise en quarantaine par la communauté internationale pendant presque 100 ans. Haïti a apporté son soutien par la suite à la révolution en Amérique du sud, mais après les dirigeants haïtiens sont entrés dans des guerres fratricides, pour le pouvoir et le contrôle des richesses. Les nouveaux dirigeants ont placé une partie de la population dans un état de semi-esclavage, et puis voilà c’était bien évidement très compliqué. Vous avez donc là deux siècles où il n’y a pas eu d’accumulation de capital, donc aucune condition pour le développement et l’économie. Entre temps, l’élite économique et politique continuait à se battre entre ses différentes fractions.
Votre film «les amours d’un zombie» montre tout le paradoxe de la societé haïtienne marquée par son histoire violente. Est-ce qu’avec ce film vous n’interpellez pas les haïtiens et tous les peuples opprimés à se prendre en main?
Evidemment de nombreux intellectuels ont vu en ce film une façon de choquer les personnes et les pousser à penser différemment. Les critiques dans les journaux haïtiens reviennent sur cet aspect des choses, mais dans le fond pour la population il y avait d’autres considérations. En fait ce qui a marqué les gens c’est qu’à Haïti, les zombies soient considérés comme des idiots du village, des parias en dehors de la societé. Dans le film Zéphirin, est intelligent et a même failli arriver au pouvoir. Et d’ailleurs cette histoire c’est tout un paradoxe parce que la journaliste du film, elle dit à son enfant «tu ne peux pas être un zombie parce que tu as le c ur pur et tu es plein d’amour, comme Zéphirin» alors que Zéphirin est un zombie. Les haïtiens gèrent constamment ce genre de paradoxe, et puis, ils sont aidés en cela par le vaudou, qui est la façon pour les haïtiens de s’expliquer l’univers.

Votre film est une mise en scène du scénario de Victor Gary; Comment s’est passée la rencontre entre vous un cinéaste réformateur sur les bords et Victor un romancier d’un poil conservateur?
Conservateur ? Non ! Je dirais même plutôt que c’est le critique le plus virulent du délire haïtien qu’il pourfend impitoyablement en délirant lui aussi. Homme timide, c’est un humoriste sans pareil. Victor Gary est un de ces écrivains qui s’inscrit dans le cadre de ce que nous surnommons chez nous le réalisme merveilleux. C’est-à-dire qu’il n’installe qu’une frontière très petite entre l’imaginaire et la réalité. C’est donc un écrivain à l’imagination sans limite, mais qui écrit de façon très cinématographique aussi. Il n’a pas seulement écrit ce roman, il a aussi écrit des feuilletons qui ont eu beaucoup de succès en Haïti. Les gens s’arrachaient un journal au pays, parce qu’il y avait des histoires de Victor Gary. Ce sont des histoires très inspirées des bandes dessinées. Il a aussi beaucoup écrit pour la radio. Je ne me rappelle plus comment je l’ai rencontré, on se connait depuis tellement longtemps.
De nombreux journalistes disent de vous que vous êtes prolifique. Peut-on espérer une production africano-haïtienne où on retrouvera des problèmes communs aux deux peuples?
Le problème c’est qu’à Haïti il y a tellement de choses à filmer, que je ne peux épuiser l’ensemble des sujets. Je n’ai pas de honte à le dire, jusqu’à présent, la réalité haïtienne m’accapare tellement que je n’ai pas le temps de m’intéresser à d’autres choses. Vous savez à Haïti il y a comme un complot contre la mémoire et moi j’essaie de sauver une partie de cette mémoire. Lorsque j’ai produit mon documentaire sur la catastrophe du début d’année, « Haïti, chronique d’une catastrophe annoncée », les gens m’ont dit ce n’est pas bien parce que la souffrance est encore récente et les gens vont en souffrir plus. J’ai dit non, je crois que les gens doivent voir ça pour que plus jamais cela n’arrive. En Haïti une catastrophe en chasse une autre et si à chaque fois on oublie la précédente. Ca ne peut être une solution. Autre aspect en Haïti on a un désir d’imaginaire et cette situation fait que la capacité de création soit contenue.
Parlez-nous de votre enfance, comment vous retrouvez-vous homme de cinéma?
Mon père est mort j’étais très jeune. Lorsque j’étais petit et que ma mère me donnait de l’argent, j’allais au cinéma dans une salle très célèbre à Haïti, le Paramount, qui malheureusement a été détruite totalement avec le dernier tremblement de terre. Ensuite je suis allé à l’étranger pour mes études et j’ai commencé tout de suite à fréquenter les cinéclubs. Mon premier film je le fais parce que je réalise que 75% de la population haïtienne est analphabète. Et je me suis dit : les journaux et autres ne suffiront pas pour transmettre des messages, il fallait du son, des images pour éduquer la population. Je suis entré dans le cinéma par amour pour le cinéma et par engagement socio politique, je voulais faire bouger des choses dans la societé haïtienne.
Votre commentaire sur la catastrophe qui a frappé votre pays. Quel est votre commentaire?
Le peuple camerounais, comme tous les peuples du monde, doit se lever d’une seule voix et dire que cela ne doit plus jamais arriver. Il y a eu trop de victimes qu’on aurait pu éviter. La misère est telle que je pense qu’il y a une autre catastrophe en gestation à Haïti. Il faudrait que la communauté internationale mette sur pied un plan cohérent d’aide, sinon ce ne sera pas facile de reconstruire le pays. La grande responsabilité incombe aux haïtiens, mais il faudrait que les puissances étrangères prennent aussi leurs responsabilités. C’est le moment d’arriver à une rupture. Et d’ailleurs je profite pour dire que le Cameroun comme beaucoup de pays du monde nous a assistés financièrement et humainement et je dis en tant qu’haïtien merci.
Un mot sur l’organisation des écrans noirs?
Je vais féliciter Bassek Ba Kohbio, l’administrateur car un festival comme celui-ci est lourd à organiser. Je ne sais pas comment étaient les éditions précédentes mais je pense que si on en est à la quatorzième édition, c’est à féliciter. C’est un pari difficile qui est gagné. Je déplore que vous ayez fermé vos salles de cinéma et c’est là que je me dis que l’équipe de Ba Kohbio a encore beaucoup de pain sur la planche.
Comment trouvez-vous la nourriture camerounaise?
Très bonne! J’ai mangé le Ndolè fait à partir des feuilles. C’était délicieux
Et les camerounaises?
C’est vrai que je n’ai pas vu tout le monde, mais je vois dans le festival, les femmes, les hôtesses, elles sont très gentilles et accueillantes et très belles aussi.
