Témoignage sur les massacres de l’armée française au Cameroun

Par L’Association Kamerunaise des anciens résistants, Akar

Après la dissolution de l’Upc, le Kamerun a plongé dans un bain de sang imprévu, plus particulièrement dans les régions natales des principaux dirigeants de l’Upc à savoir: la Sanaga Maritime, région natale de Ruben Um Nyobe, secrétaire général, fondateur N°1 de l’Upc, la région natale de Dr Félix Roland Moumié, premier président national de l’Upc, Kingué Abel et Ouandié Ernest 1er et 2e vice-président de l’Upc et Kamsu Innocent, trésorier général de l’Upc. Viennent s’y ajouter les régions du Mungo, du Mbam, de Tcholiré, une partie du Centre et quelques villages du Nord etc.

Tous les Kamerunais confondus, soupçonnés d’être de l’Upc, de faire partie de la famille ou d’être amis d’un upéciste, étaient arbitrairement arrêtés. La majeure partie des capturés surtout ceux qui avaient des biens matériels et financiers étaient automatiquement exécutés sans aucun jugement et leurs biens pillés. Quand les prisonniers atteignaient un nombre de plus de 10, ils étaient considérés comme un encombrement inutile. Ils étaient soit brûlés vifs dans les fûts d’acide ou dans une maison de campagne, soit jetés dans une chute d’eau ou dans un fleuve les yeux bandés. Il y a eu également des cas ou des femmes, des enfants et des vieillards ont été regroupées, enfermés dans des maisons qui ont été ensuite incendiées.

Pour diaboliser davantage l’Upc, l’armée de domination française décapitait certain de ces responsables et exposait leurs têtes dans les principaux carrefours des villages et des villes. Non contente de cette exposition macabre, elle contraignait la population et surtout les membres des familles des victimes à cracher sur eux et à leur lancer les cailloux. Quel cynisme!

Vers la fin de l’année 1955, face à des poursuites et des tueries impitoyables et incontrôlables des citoyens par l’armée de domination française, les dirigeants de l’Upc et de ses organisations alliées réussissent à se retrouver en majorité et à s’exiler à Kumba de l’autre côté du fleuve Mungo, dans la partie du Kamerun sous la domination anglaise.

De 1955 à 1958, la chasse à l’homme Kamerunais et les tueries à grande échelle allaient sans cesse croissantes. Les citoyens étaient poursuivis jusque dans les Etats frontaliers du Kamerun, ceci sous le regard indifférent et complice de l’Onu sur qui l’Upc comptait vainement.
Face à ce calvaire du peuple Kamerunais tout entier, les dirigeants et militants de l’Upc en exil à Kumba sont obligés d’aboutir à la création du One Kamerun (OK) en 1957 avec pour mission de prendre la relève de l’Upc dissoute et de conduire la révolution sur toutes ses formes.

Les massacres perpétrés tous les jours par les forces de domination françaises ont continué leur cours dans notre pays et on abouti le 13 septembre 1958 à l’assassinat de Ruben Um Nyobe, secrétaire général fondateur principal de l’Upc avec 06 de ses 12 compagnons sans armes, dans leur cachette à Boumnyebel en Sanaga Maritime.

En 1959, l’Upc et le OK ont amèrement constaté:
.la non-réaction objective de l’Onu face au calvaire des Kamerunais, malgré les multiples pétitions et requêtes formulées et présentées à son assemblée générale où avaient participé personnellement les dirigeants de l’Upc et de OK.

.Que par ailleurs le Conseil de sécurité de l’Onu dont la France est un membre influent n’était autre chose qu’un état-major international de l’Occident pour la colonisation et l’exploitation abusive du Kamerun et du continent africain en général.

Ainsi, l’Upc et le OK, ne pouvant supporter les bras croisés les contraintes à l’exil, décident avec le soutien de la jeunesse, de la création d’une armée de riposte qui vit le jour le 10 juin 1959 sous la conduite du commandant Singap Martin et son adjoint Momo Paul. Cette armée dénommée «l’Armée de Libération Nationale du Kamerun» l’Alnk lance un mois après, des contre-offensives dont la première eut lieu le 27 aout 1959 dans la plupart des villes et villages du pays.

La guerre de libération nationale progressait de victoires en victoires dans les guérillas urbaines des grandes villes et dans les affrontements des combats rangés des campagnes. La riposte farouche de l’Alnk avait abouti à la libération de la grande partie de la région bamiléké qui est restée sous son contrôle de 1959 à 1962.
Les premières victimes dans les rangs de l’Anlk, furent des fusillés publics au poteau à Bafoussam. Il s’agit:

.du commandant Simo Pierre, membre fondateur de l’Alnk et commandant de la région de l’Ouest
.du commandant Fondjou, adjoint du commandant Simo Pierre
.de Kwetche, Tchouambou, Tabouguia, tous membres du bureau du commandement de l’Ouest.

C’est à partir de ce moment que l’armée française étouffée par la contre-offensive généralisée de l’Alnk dans la majorité des villes et villages du pays décrète la terre brûlée. Des camps de concentration sont construits, des villages entiers sont incendiés, les populations sans abri, sont bombardées au Napalm par des chasseurs venant tous les après-midis du Congo Brazzaville et du Tchad. Elle n’oublie pas de créer des oppositions africaines en commettant des crimes dans le village natal de Momo Paul et en les signant de Singap Martin et vice-versa.

Les camps de concentration, les carrefours des têtes coupées, les chutes d’eau, les ravins, les forêts et les montagnes suscités, ainsi que les fosses communes où des Kamerunais furent ensevelis sont pour la plupart restés intacts jusqu’à nos jours. En attenant les enquêtes les plus détaillées au moment opportun, les principales régions qui contiennent les plus grands sites, les plus grandes fosses sites, les plus grandes fosses communes et les carrefours publiquement renommés carrefour d’exposition des têtes en ce moment sont les suivantes.

A Douala
-une petite brousse proche de l’aéroport international surnommée bois des singes
-la petite forêt de Badabang aujourd’hui devenu un quartier mais moins peuplé
-les fleuves Wouri et Dibamba où ils jetèrent les citoyens tantôt assassinés, tantôt vivants, attachés dans les sacs vides du riz
-la petite île de Dibombari destinée à des exécutions clandestines etc.

A Yaoundé
-la petite montagne située derrière l’actuel hôpital des handicapés
-la brousse de Mbankomo à 20 km de Yaoundé sur la route Yaoundé-Douala

A Eseka
-la machine pour broyer les upécistes
-le ravin après le péage d’Eseka etc.
Dans le Moungo et le Haut Nkam
-Nkougna au pied du mont Lonako
-Le sommet du mont Manengouba
-Le flanc du mont Koupé
-La petite montagne mineral de Ndjoungo d’où présentement on exploite de la pouzzolane
-la chute Ekom Nkam dans le fleuve Haut-Nkam
-les montagnes de la Moumé et de Kékem

A Bafoussam
-la chute de la Mifi sur la route de Mbouda où ils jetèrent les citoyens les yeux bandés
-le carrefour des maquisards où il y eut l’exposition des têtes coupées
-le mont Batié
-Baham et Bahouang
-les rochers de Badenkop
-le lac perdu de Bangou
-les montagnes de Bachingou

Dans le Nde
-le fleuve Noun de Bagangté
-la ville de Tonga où ils enterrèrent les citoyens Kamerunais
-la chefferie de Bandrefam

Dans la Menoua
-l’ancienne gare routière de Dschang
-l’actuel marché de Fokoué qui est construit sur une fosse commune
-le marché de Bamendou etc.

Nous citons en plus quelques-uns des villages où les Kamerunais mouraient de famine par centaine chaque semaine, dans des camps de concentration.

Dans la Sanaga Maritime
-Ngambe
-Boumnyebel
-Bot Makak
-Ndom
-Edea
-Eseka
-Yabassi

Dans le Ndé
-Bazou
-Tonga

Dans la Menoua
-Fokoué
-Bamendou
-Bansoa
-Mbouda
-Bamedjeuh
-Santchou

Dans la Mifi
-Bamendjou
-Bagnem
-Badenkop
-Bangou
-Bandrefam
-Batié
-Baham

La fausse indépendance en question est gérée par la France à travers ses néo-colons installés au pouvoir au Kamerun.

Dans le Mbam
-Bokito
-Bafia
-Ombessa

Dans le Moungo
-Manjo
-Nlohé
-Penja
-Loum

Dans le Haut-Nkam
-Kékem
-Banja
-Moumé

Dans le Sud-Ouest
-Tombel et bien d’autres villes que nous citerons le moment venu.

Permettez-nous en plus de vous présenter une première liste non exhaustive ci-jointe des principaux dirigeants de l’Upc du OK et de l’Alnk assassinés par les Français pour la cause sacrée de la réunification et de l’indépendance du Kamerun.

C’est dans cette situation que le peuple kamerunais a continué une vie de calvaire et de l’enfer sur terre pendant plus de 12 années de lutte, de 1948 à 1960. Cette dernière année où, par la complicité voilée de ses alliés à l’Onu et au conseil de sécurité, qui à 90 % étaient patrons et uniques décideurs, la France s’arrange à nous tromper en accordant une sorte d’indépendance fictive à une partie de notre pays et en installant elle-même ses marionnettes au pouvoir.

La fausse indépendance en question est gérée par la France à travers ses néo-colons installés au pouvoir au Kamerun. Ahidjo installé dictatorialement par la force des armes devait s’organiser pour simuler une sortie du colonialiste Français par la grande porte et favoriser son retour par la petite porte. Cette présence «indirecte» du colonialisme Français dans la vie économique, politique et sociale des Kamerunais leur a posé de sérieux préjudices dont ils paient jusqu’à nos jours les pots cassés et les paieront encore pour très longtemps.

Un mois seulement après la proclamation illégale de la dite indépendance, la preuve de la confiscation de l’indépendance économique, politique et sociale par la France saute aux yeux de tous. Ahmadou Ahidjo immédiatement au pouvoir signe des accords militaires avec la France pour une longue durée en termes d’années.

C’est fort de ces accords que l’armée coloniale française a amplifié les massacres sans pitié de la population Kamerunaise, sans relâche jusqu’à la fin du régime d’Ahidjo en 1982 : soit en plus 22 ans de tueries aveugles sous la protection des ailes du néo-colonialiste Ahmadou Ahidjo. Ce qui fait au total 34 ans de massacre et de génocide de l’administration française au Kamerun, c’est-à-dire de 1948 à 1982.

La seconde preuve est le fait que la proclamation de l’indépendance le 1er janvier 1960 par Ahidjo qui était contre l’indépendance des Etats africains a eu lieu contre la volonté de l’Upc, seul demandeur de la réunification et de l’indépendance à l’Onu et à la France. Ceci étant, quelques jours après l’installation illégale d’Ahidjo par la France, la guerre contre l’Upc redouble d’intensité par les bombardements massifs de la Sanaga Maritime et de la région Bamiléké.

La stratégie de la France en matière de colonisation indirecte du Kamerun à partir d’une fausse indépendance dirigée par un gouvernement néocolonial, rentre ainsi en application par une guerre de terre brûlée dans plusieurs villes et villages du pays.

Les grands massacres mondialement connus après cette fausse indépendance sont les suivants:
1.L’incendie du quartier Congo en plein centre-ville de Douala qui s’est soldé par 600 morts en 1960. Ce jour de 13 heures à 15 heures le quartier Congo est encerclé, l’essence est pulvérisée par les hélicoptères sur les toits des maisons. Tous ceux qui ont l’occasion de s’échapper sont soit mitraillés par les soldats français et tchadiens soit massacrés par les flèches empoisonnées distribuées à nos frères trompés et corrompus du Nord. Les vieillards et les femmes portant les bébés au dos sont jetés sans pitié, vifs, soit dans les puits soit dans les WC. C’est précisément à 15 heures que les militaires accompagnés de nos frères nordistes ont commencé à mettre le feu de tous les côtés sur les maisons préalablement pulvérisées d’essence, tandis que la gendarmerie et la police sous la conduite du Commissaire Leroux abattaient les sorties du quartier. Un détachement des pompiers commandé par un bout d’homme français est arrivé cinq minutes après, accompagné de plusieurs citernes d’essence qu’ils ont pulvérisée sur les maisons en dur résistantes au feu.

2.Le «train de la mort» dont plus de 80 détenus sont morts en 1962 dans les wagons marchandises hermétiquement verrouillés entre Douala et Yaoundé.

3.Les massacres par bombardement au Napal des villages entiers de la Sanaga Maritime et du pays Bamiléké. Voici un témoignage d’un journal français dénommé L’événement du JEUDI 16 au 22 mai 1991 signé Pascal Krop citation: «Chers lecteurs lisez et méditez. La France à peu qu’au cours du grand déballage, elle donne les raisons profondes qui l’ont poussée à transformer l’Ouest du Cameroun en une boucherie humaine avec bien sur la complicité d’Ahmadou Ahidjo. Rien qu’entre 1962 et 1964, 300 000 à 400 000 camerounais ont été massacrés à Dschang. Foumban, Kumba, Bamenda, Bafang et autres. un vrai génocide type Shaba et Chatila au Liban».

4.Deux ans après l’assassinat barbare de Ruben Um Nyobe secrétaire général de l’Upc le 13 septembre 1958, suit l’assassinat du Dr Félix Roland Moumié président de l’Upc le 03 novembre 1960 neuf mois seulement après l’indépendance voilée octroyée parla France et l’Onu. Il est assassiné par empoisonnement de la main-rouge occidentale à Genève en Suisse par l’intermédiaire d’un prétendu journaliste nommé William Bethel.

5.L’assassinat du commandant Singap martin et du commandant Momo Paul chef et chef adjoint de l’Emg de l’Alnk en 1963.

6.L’assassinat du commandant Ntankeu Noé, chef d’état-major provincial du Littoral et ses adjoints fusillés publiquement au poteau électrique en 1964 en plein centre ville de Douala dans le quartier Congo préalablement incendié en 1960.

7.L’assassinat d’Osende Afana et ses compagnons, tous membres du secrétariat administratif de l’Upc. Sa tête coupée le 15 mars 1966 est emportée de Mouloundou à Yaoundé comme cadeau à Ahidjo.

8.Les massacres de Tombel qui se sont soldés par plus de 500 morts en 1967

9.Le procès du coup d’Etat et de la rébellion qui ont conduit à la condamnation à mort de Mgr Dongmo et à l’assassinat le 15 janvier 1971 de Ouandjé Ernest, deuxième vice-président de l’Upc, fusillé sur le poteau à Bafoussam avec son compagnon Wambo Le Courant.

10.Sans oublier l’incendie du village Saré du Mahoundé du Nord où le chef Amadou Mahoudere fut tué avec sa famille, ainsi que tous les habitants de son village. Celui-ci fut soupçonné d’être nationaliste, en concurrence avec Ahidjo. Devant ce soupçon Pierre Messmer gouverneur de la France d’outre mer de l’époque joue le tour en faveur d’Ahidjo et ordonne l’assassinat du chef et l’incendie de tout son village.

Voilà les quelque massacres après l’indépendance voilée du Kamerun en 1960, massacres bien connus de l’opinion internationale. Selon certaines sources à vérifier le moment venu, les premiers chiffres officiellement recensés des massacres et des morts de 1955 à 1960 s’élèveraient à plus de 1 420 000 victimes, sans compter ceux qui sont morts regroupés et calcinés dans les maisons, des morts par torture discrètes à des balançoires et des assassinats isolés commis par les soldats isolés, parfois pour s’accaparer des biens matériels et financiers. Quant à ce qui concerne les biens détruits ou volés, aucune idée pour le moment. Seuls les rescapés de chaque village auront dans l’avenir à les déterminer, chacun en ce qui le concerne.

Tout compte fait, on estime que des milliards de francs en espèces et des centaines de millions de maisons de bétail et des biens matériels des citoyens Kamerunais ont été pour la plupart volés et certains détruits par l’armée française de domination à chacun de leur passage criminel. Ici s’arrête pour le moment, la description de quelques massacres perpétrés après l’indépendance voilée du Kamerun et l’installation dictatoriale d’Ahidjo au pouvoir par les français.

On estime que des milliards de francs en espèces et des centaines de millions de maisons de bétail et des biens matériels des citoyens Kamerunais ont été pour la plupart volés et certains détruits par l’armée française de domination à chacun de leur passage criminel.

Les crimes contre l’humanité commis par les Nazis et dont les coupables sont jusqu’à ce jour recherchés à travers le monde entier, jugés et condamnés, sont-ils si différents de ceux perpétrés par l’administration coloniale française au Cameroun? La Haute Cour de Justice daignerait porter un regard plus attentif sur les frais ci-dessus exposés.

1-La situation misérable des rescapés anciens résistants de l’Upc et du OK sous le régime néocolonialiste représenté par Ahidjo puis par Paul Biya
Permettez-nous de vous certifier que les Anciens Résistants, rescapés des massacres ci-dessus décrits, qui ont tout sacrifié dans la lutte pour la réunification et l’indépendance du Kamerun ont été marginalisés premièrement par Ahidjo de 1960 à la fin de son régime en 1982, et présentement par Biya depuis sa nomination par la France en remplacement d’Ahidjo révoqué de ses fonctions en 1982. Quelque 20 % des veuves et un grand nombre d’orphelins sont encore vivants mais dans des conditions de vie économique misérables, car sans emploi.
Le régime Biya a bel et bien réhabilité les héros de l’indépendance, l’Upc et le OK mondialement reconnus comme seuls artisans et seuls détenteurs de l’histoire réelle du pays sont bel et bien ré-légalisés mais dans quelle condition de fonctionnement et dans quel style de démocratie?

Ce qu’on n’arrive pas à comprendre est que, ce même régime prend soin de la vie des anciens combattants de la libération de la France et ne songe à rien pour les anciens résistants de la libération du Kamerun qu’il gouverne. Bien au contraire, il ne rêve que de la destruction complète de ces partis martyrs au profit de la France en y créant des oppositions africaines. Ces partis qu’il devait pourtant entretenir comme ses diamants.

Tous nos anciens résistants, certains sortants d’un long emprisonnement et d’autres de plusieurs années d’exil, vivent aujourd’hui misérablement dans les rues du pays libéré au prix de leur sacrifice physique et du sang de leurs compagnons. Les handicapés, pieds et mains coupés par la guerre de libération nationale, ainsi que des traumatisés mentaux de la misère vivent leur vie alimentaire dans les poubelles d’Hysacam de chaque ville du Kamerun. Plus de 50 % des surmenés et des fous au Kamerun sont des anciens résistants de la lutte de libération nationale du Kamerun. Ils sont arbitrairement marginalisés et abandonnés dans les rues du pays par un régime qui s’engraisse des fruits du sacrifice de ces misérables libérateurs.

Ce qu’il faudrait savoir de plus est que les anciens résistants, les veuves et les orphelins de la guerre de libération du Kamerun qui sont encore solides ont passé 40 ans de leur vie dans des maquis, dans des prisons et en exil sans avoir la possibilité d’étudier comme ceux qui s’engraissent aujourd’hui en piétinant ces misérables héros pourtant recherchés avec la torche dans d’autres pays. Aujourd’hui le Kamerun face à la situation des sans diplômes et des sans emplois, les anciens résistants font partie à 50 % des chômeurs misérables du pays. Ils n’ont non plus d’habitation et font partie à plus 40 % des mendiants souvent rencontrés à des carrefours et devant la majorité des mosquées des villes et villages du pays à la recherche a tout prix du pain quotidien.

Le OK et l’Akar voudraient profiter du présent mémorandum pour lancer un appel pathétique aux organisations internationales, aux représentations diplomatiques et à toutes les bonnes volontés pour venir en aide aux anciens combattants de la libération du Kamerun qui meurent à petit feu dans les rues de notre pays.

2-La demande des pourparlers pacifiques avec la France pour réparation des préjudices subis par le peuple Kamerunais.
Depuis 1955 le peuple Kamerunais souffre, victime de multiples types de crimes contre l’humanité qui ont été commis dans leur pays par la France tant dans le passé que dans le présent.

Selon les constats en cours en ce 21e siècle, les peuples de la nouvelle génération n’ont plus besoin de la guerre qui ne fait que détruire. Ils ne sollicitent aujourd’hui en majorité que la vie dans la paix, l’amour et l’entente dans une franche collaboration entre les peuples, indifféremment des races, des convictions politiques ou religieuses.

Ce que nous devons en plus savoir concerne la présente génération inculte, dépourvue de formation et d’information comme notre génération primitive et inculte des années 40 à 50. La misère et la souffrance connues par les générations passées et relatées à la génération actuelle, plus la crise qu’endure celle-ci, constituent pour elle une vraie école de savoir et d’intelligence. Ces difficultés ont permis de savoir tout sur les causes profondes de centaines d’années de vie misérable, d’effusion de sang des innocents, de divisions, de guerres inter régionales et de pauvreté accrue d’un continent comme le nôtre, un continent pourtant reconnu comme un paradis sur terre dans le monde.

C’est dans le souci de sauver l’actuelle génération et celles à venir contre une prochaine guerre quelconque de vengeance et de destruction massive que la présente génération tient et exige l’abolition de la guerre en échange d’un rétablissement de la paix durable dans le monde. La présente génération condamne les crimes des nations de grande puissance contre les nations faibles comme le Kamerun et exige que justice soit faite.

S’agissant du cas précis du Kamerun, nos adversaires d’hier et d’aujourd’hui pensent que leur stratégie de division pour régner suffit pour effacer l’histoire de notre pays à partir de leur pratique des oppositions africaines. Ils croient que cette stratégie belliqueuse pratiquée au temps jadis serait meilleure pour la France et lui permettrait d’échapper aux faits de destruction de l’histoire de leur séjour criminel, de colonisation et d’exploitation féroce du peuple Kamerunais. Ils se trompent énormément sur le cas du. Si l’histoire des criminels des autres nations jusqu’aux crimes de guerre d’Italie il y a bientôt plus d’un siècle restent encore dans l’actualité du monde ce ne serait pas l’histoire du Kamerun et du continent africain qu’on considèrera facile à effacer 60 ans seulement après.

Que la France soit de bonne foi, manifeste de l’amour et favorise la paix entre les générations montantes des Français et des Kamerunais. La seule manière d’instaurer une paix durable entre ces deux générations reste les pourparlers et les réparations des crimes causés par la France au Kamerun de 1948 à 1982. Ces pourparlers auront pour but d’aboutir à un pacte durable qui servira de loi des aïeux conte la violence et la vengeance entre les Français et les Kamerunais, car des tonnes d’histoires écrites laissées par notre génération resteront jusqu’à la fin du monde.

La seule manière d’instaurer une paix durable entre ces deux générations reste les pourparlers et les réparations des crimes causés par la France au Kamerun de 1948 à 1982.

C’est pour certifier ici que l’histoire écrite ventilée déjà dans le monde en quantité par notre génération victime de cette barbarie, reste et restera ineffaçable par qui que ce soit.

Par conséquent le One Kamerun et l’Alkar voudraient profiter du présent mémorandum pour solliciter l’intervention des organisations compétentes de l’Onu et des Ong pour que justice soit faite dans un délai satisfaisant et que les crimes monstrueux causés par la France au Kamerun soient réparés. Les organisations auxquelles nous faisons allusion sont:
.le secrétariat Général de l’Onu
.l’organisation de l’Onu pour les droits de l’Homme
.Amnesty International
.Le HCR
.La croix Rouge et le Croissant Rouge
.L’Union Européenne
.L’Organisation de l’Unité Africaine

3-Appel aux jeunes, aux organisations de masse kamerunaises, françaises et du monde
Nous voudrions dans le souci de préparer et de protéger un avenir prospère de paix et de franche collaboration entre les présentes et futures générations kamerunaises et françaises, lancer un appel pour une réconciliation afin de barrer la voie à des futurs massacres dans une guerre quelconque de vengeance ou de ré-domination. Surtout que la France d’aujourd’hui est politiquement et socialement taxée d’ennemie juré de plus de 90 % de la population kamerunaise à cause de son passé colonial et de son action de domination indirecte actuelle. Domination qui constitue la principale cause de la pauvreté qui aujourd’hui affame et lue les kamerunais.

Le OK et l’Akar lancent un vibrant appel aux Etats africains, aux partis politiques au pouvoir et à l’opposition, aux organisations des jeunes français, aux organisations estudiantines, aux enseignants, aux journalistes et aux Ong de faire chacun à son niveau la pression sur le gouvernement français afin:
.que justice soit faite
.que les crimes commis contre l’humanité par la France au Kamerun soient réparés et ceci en faveur de la normalisation des conditions de vie des misérables victimes qui jonchent les rues de toutes les villes et villages du pays.

A noter ici que notre génération et nos survivants, victimes de ces crimes sont de bonne volonté pour sauver l’avenir grâce à nos expériences acquises de la souffrance du passé. Que cette génération disparaitra très bientôt en ce 21e siècle laissant tout à la disposition d’une génération de haine et de vengeance, non expérimentée. Nous sommes obligés de laisser l’histoire écrite et même le pot cassé aux futures générations du Kamerun, de la France et du monde entier en cas de disparition sans aucun arrangement.

4-La détermination du One Kamerun (OK) et de l’Association Kamerunaise des anciens résistants (AKAR)
Toujours dans l’intention et le souci d’apporter notre modeste contribution avant notre disparition complète, nous, membres de OK et de l’Akar, rêvons de la paix et de la justice dans le monde et plus particulièrement entre les peuples kamerunais et français. Le OK et l’Akar détenteurs exclusifs de la vraie histoire du pays, lesquels ont acharnement lutté côte à côte avec l’Upc, sacrifiant hommes, argent, biens et avenir pour l’indépendance et la réunification du Kamerun, restent foncièrement déterminés à mener cette lutte pacifiquement s’il le faut et démocratiquement jusqu’au bout à l’échelon national et international. C’est pour cette raison qu’ils envisagent en outre une séance de réconciliation nationale au Kamerun.

En attendant qu’une suite au présent mémorandum nous parvienne très bientôt, nous mettons à votre disposition ci-joint quelques-unes des premières preuves photographiques et un début de liste des principaux dirigeants politiques et militaires morts massacrés injustement par l’administration coloniale de la France pour la cause de la réunification et de l’indépendance de leur pays.

Vive la justice et la paix entre les uns et les autres dans le monde!

Fait à Douala le 25 mai 2001
Pour le Bureau de l’Akar
Le secrétaire par intérim de l’Akar, Djoko Paul

Les massacres de l’armée française au Cameroun.
Droits réservés)/n

Achille Mbembe: «A quand l’ouverture de nos archives à nous?»

Réhabilitation de Um Nyobè, Moumié, Abel Kingué, Ernest Ouandié, Osendé Afana, etc. l’universitaire camerounais donne son avis sur la perspective envisageable après les propos de François Hollande

Connu à l’international comme un éminent théoricien de la postcolonie, philosophe, Achille Mbembe est aussi Professeur d’histoire et de sciences politiques à l’université Witwatersrand à Johannesburg en Afrique du Sud. En 1996, l’universitaire a publié aux éditions Karthala: «La naissance du maquis dans le Sud-Cameroun (1920-1960)». Journalducameroun.com l’a sollicité pour parler des années sombres de la France au Cameroun, après la reconnaissance faite par François Hollande à Yaoundé de la «répression» organisée «en pays Bamiléké» et de l’ouverture des archives françaises. Entretien dense, sans concessions, avec des propositions sur l’avenir.

Journalducameroun: Le 3 Juillet dernier, François Hollande a effectué une visite d’État au Cameroun, une première pour un chef d’État français depuis 15 ans. Lors du toast prononcé au diner d’État offert au président Hollande, Paul Biya a déclaré: «L’actualité montre bien que nos relations sont empreintes de franchise, de pragmatisme et de réalisme». La «franchise», il semble l’avoir manifesté en conférence de presse avec cette fameuse phrase sur la question de sa longévité au pouvoir: «Ne dure pas au pouvoir qui veut, mais dure qui peut». Quelle lecture faites-vous de ce propos?

Achille Mbembe: Ce sont des propos apparemment sentencieux, mais à la vérité sans intérêt, et surtout d’une affligeante banalité.

Ils sont du genre dont le chef de l’État camerounais est friand. On a en mémoire tous les autres, souvent tautologiques, à la limite du sens commun, et qui ne sont guère l’expression d’une pensée en mouvement et capable de s’interroger sur ses fondements – «le Cameroun c’est le Cameroun» et ainsi de suite.

C’est le genre de propos que ne peut se permettre que celui qui sait qu’il règne sur un peuple tout à fait avachi, qui a subi un épouvantable décervelage et une fantastique émasculation, et dont les ressorts moraux, voire psychiques, ont été profondément cassés.

De manière générale, un tel peuple et le pouvoir auquel il est assujetti, ne savent se donner en spectacle au monde que sous le signe de la mascarade et du travestissement. Tel est malheureusement notre cas, du moins pour le moment. Car, comme l’affirme l’adage, «il faut se méfier de l’eau qui dort».

Journalducameroun: Cette visite d’État de quelques heures semble avoir surtout permis de briser un tabou lié à la responsabilité de la France dans le massacre de nationalistes. François Hollande a parlé d’une «répression en Sanaga Maritime, au pays bamiléké».

Achille Mbembe: Il y eut, c’est vrai, une phase de répression organisée et dirigée spécifiquement contre l’Union des Populations du Cameroun (UPC) dès la naissance du mouvement nationaliste en avril 1948, au lendemain des graves émeutes de septembre 1945 à Douala.

Ces sanglantes émeutes au cours desquelles beaucoup de Camerounais furent tués par des colons armés et par des escadrons militaires français marquèrent un tournant décisif de notre histoire. Malheureusement, comme de bien d’autres événements tout aussi tragiques de notre passé commun, personne ne s’en souvient aujourd’hui, dans ce pays où l’amnésie est devenue une technique de contrôle et d’abrutissement des masses.

Sournoise au cours du gouvernorat de Soucadaux, la répression monta en puissance et se fit aussi brutale que cynique avec l’arrivée au pouvoir de Roland Pré en 1954. La France s’était résolue à briser le mouvement nationaliste par tous les moyens. Résultats de cette stratégie de la confrontation, de nouvelles émeutes eurent lieu en mai 1955. Elles touchèrent une très grande partie du Sud-Cameroun et en particulier le Wouri, la Sanaga Maritime et le pays bamiléké. Une fois de plus, du sang coula à flots.

C’est à la suite de ces événements que Ruben Um Nyobè prit le maquis. Il fut exécuté le 13 septembre 1958. Entretemps, Félix Moumié, Abel Kingué, Ernest Ouandié et d’autres prirent le chemin de l’exil, d’abord à Kumba au Cameroun occidental, ensuite à Khartoum au Soudan, au Caire en Égypte et ainsi de suite.

«Répression» est cependant un terme bien édulcoré qui ne reflète que partiellement les faits. Car fin 1955-début 1956, une véritable guerre fut entamée en Sanaga Maritime. La population civile fut regroupée dans des camps et des opérations militaires en bonne et due forme vinrent s’ajouter à ce que l’on appelait alors «la campagne psychologique». Cette campagne militaire fut conduite par le Général Lamberton. Ses méthodes étaient calquées sur les expériences contre-insurrectionnelles menées auparavant au Vietnam et qui, bientôt, seront généralisées en Algérie.

Lorsque François Hollande évoque cette période de notre histoire sur le mode de l’euphémisme, il nous faut comprendre qu’il s’agit en réalité d’une guerre au cours de laquelle – et ce sont des choses dont les populations de l’ancienne Sanaga Maritime se souviennent toujours – des massacres furent perpétrés. La torture fut généralisée. Des centres de détention furent créés. Des unités paramilitaires et des «escadrons de la mort» aussi. Des milliers de personnes furent abattus, parfois sans sommation. La terreur prit parfois des aspects hallucinatoires. Qui ne se souvient de ces têtes de «maquisards» égorgées, placées aux carrefours des grandes avenues ou de simples bourgades dans le but de provoquer stupeur et effarement?

Afin de cacher la véritable nature de cette guerre, le gouvernement français de l’époque lui colla le nom de «campagne de pacification», comme s’il s’agissait d’une simple opération de police. Quand, aujourd’hui, on parle de cette forme de terreur coloniale comme s’il s’agissait d’une simple «répression», on reste dans la logique du déni.

Journalducameroun: Des hommes politiques ont déjà commencé à réagir, indiquant qu’il y a eu des massacres dans d’autres régions du Cameroun. Vous avez travaillé sur le sujet. Que sait-on à ce jour de ces faits et de cette période?

Achille Mbembe: Entre 1956 et 1959-1960, le théâtre privilégié de cette guerre fut le pays Bassa. Comme je viens de le suggérer, pendant cette période, la Sanaga Maritime fut littéralement en état de siège. Le couvre-feu fut instauré. La population civile fut internée dans des camps. Ses moindres mouvements furent contrôlés et l’implacable système du «laissez-passer» fut généralisé. Sur le plan historique, il n’y a aucun doute à ce sujet. L’ancienne Sanaga Maritime (qui à l’époque incluait l’actuel département du Nyong et Kellé) a payé un tribut considérable à la cause de l’indépendance. Une fois celle-ci obtenue, elle a fait l’objet d’un ostracisme à la fois économique et politique qui se poursuit d’ailleurs.

À partir des années 1960, la zone d’opération se déplaça vers l’Ouest, dans le terroir bamiléké où une espèce de «révolution des cadets sociaux» était en cours dans le cadre de chefferies en crise considérable de légitimité. L’indépendance venait d’être proclamée et ceux qui, hier en alliance avec Louis Aujoulat s’y étaient opposés furent appelés à en assumer la gestion. C’est cette mouvance d’origine aujoulatiste qui, pour l’essentiel, tient les rênes du pouvoir au Cameroun depuis 1960 et c’est la culture politique aujoulatiste qu’elle incarne qui aura profondément dominé l’imaginaire du pouvoir dans le Cameroun postcolonial.

L’aujoulatisme postcolonial, chapeauté par les dispositifs du néo-colonialisme que la France cherchait à consolider au lendemain de l’indépendance (les accords de défense en particulier), reprit à son compte le projet d’extirpation du nationalisme camerounais. Les quinze premières années du régime Ahidjo sont dominées par ce projet et les méthodes expérimentées en Sanaga Maritime s’étendent au pays bamiléké trois ou quatre degrés de terreur en plus. Des épisodes sanglants ont également lieu dans l’Est, à la frontière avec le Congo et du coté de Djoum où Osendé Afana et ses compagnons tentent d’ouvrir un front armé.

Bref, l’Algérie exceptée, la guerre néocoloniale franco-camerounaise en pays bamiléké est l’une des opérations les plus sanglantes menées par la France (en collaboration avec ses supplétifs locaux) en terre africaine au lendemain des indépendances. L’écrasement de l’insurrection nationaliste au Cameroun entre 1955 et 1958 et celui des tentatives de soulèvements révolutionnaires qui s’ensuivront une fois l’indépendance formellement proclamée (de 1960 à l’exécution d’Ernest Ouandié et ses compagnons) fait de notre pays le laboratoire privilégié où auront été expérimentés les techniques et dispositifs qui réguleront pendant près d’un demi-siècle les rapports entre la France et ses ex-colonies.

Journalducameroun: La disposition du président français à ouvrir les archives permettra-t-elle aux Camerounais de se réconcilier avec leur histoire ?

Achille Mbembe: Il n’y aura pas de réconciliation des Camerounais avec leur histoire tant que les figures de Ruben Um Nyobè, Félix Moumié, Abel Kingué, Ernest Ouandié et Osendé Afana en particulier n’ont pas été proprement réhabilités.

Je ne parle pas de ces réhabilitations à la sauvette dont nous avons l’habitude. Je parle de quelque chose d’éminemment radical et décisif, ouvert sur l’avenir, une autre proposition de vie commune.

Comment se fait-il que plus de cinquante ans après la décolonisation, aucun boulevard ni avenue, aucun musée, aucun lycée, aucun carrefour, aucun aéroport, aucun bout de ce vaste pays ne porte le nom de Ruben Um Nyobè, de Félix Moumié, d’Abel Kingué, d’Ernest Ouandié, d’Osendé Afana et de tant d’autres?

Comment se fait-il que dans les manuels scolaires, l’on continue d’apprendre aux enfants que la lutte pour l’indépendance se ramenait à une banale entreprise criminelle? Quand est-ce que les nouvelles générations liront-ils d’elles-mêmes, dans le texte, les Écrits sous maquis de Ruben Um Nyobè ou Le problème national camerounais – ouvrages parus dans les années 1980 et tout de suite censurés à l’époque par le régime actuel?

Il est important que la France ouvre ses archives. Mais à quand l’ouverture de nos archives à nous, notamment celles de la Sécurité militaire?

Et puisque nous y sommes, faut-il attendre que la France en prenne l’initiative pour que nous fassions enfin rentrer au Cameroun la dépouille d’Ahmadou Ahidjo; pour que nous accordions enfin des funérailles nationales à tous ceux que je viens de mentionner et pour que le 13 septembre soit déclaré jour férié, en mémoire de tous les martyrs de notre peuple depuis les débuts de l’occupation coloniale?

Ouvrir les archives françaises ne servira strictement à rien tant que nous ne nous serons pas engagés dans ce geste de reprise et de refondation qui consiste à inscrire dans une lignée ceux qui ont été immolés pour que ce pays puisse répondre de son nom propre devant le monde.

Achille Mbembe
thinkingafrica.org)/n

Journalducameroun: Paul Biya a indiqué dans son toast que la France «connait le prix fort que les Camerounais ont payé» pour l’indépendance.

Achille Mbembe: Le Président aura bientôt 83 ans. Quand aura-t-il le courage et l’honneteté de dire: «Le Cameroun connait le prix fort qu’il a dû payer pour son indépendance»? Pourquoi doit-il créditer autrui de ce qui nous appartient en propre? Jusqu’à quand accepterons-nous d’être gouvernés par des gens culturellement aliénés? Lorsqu’un peuple laisse à un président étranger le soin de légiférer sur sa mémoire, alors on est dans un tout autre registre, celui de la capitulation.

Journalducameroun: Les médias publics camerounais saluent l’initiative d’ouvrir les archives.

Achille Mbembe: Pour la France, ouvrir les archives était le minimum. Cela ne coute rien. Les choses sérieuses ne pourront commencer que si les victimes des atrocités commises par la France dans notre pays trouvent enfin justice. Pour que justice soit faite, toute la clarté doit être faite sur l’exécution de Ruben Um Nyobè, Pierre Yém Mback et tous les autres; sur l’assassinat de Félix Moumié et d’autres cas encore. Ouvrir les archives n’a de sens que si en fin de compte la justice est rendue.

Journalducameroun: Le 2 aout 2014, en se rendant au sommet États-Unis-Afrique, Paul Biya eut à déclarer: «On a éradiqué les maquis, les mouvements révolutionnaires. On est venu à bout des ‘Villes Mortes’. Ce n’est pas le Boko Haram qui va dépasser le Cameroun». Le régime actuel a-t-il intérêt au rétablissement total de la vérité?

Achille Mbembe: Du régime actuel, il nous faut commencer à n’en parler qu’au passé. Il n’y a strictement plus rien à attendre de ce régime. Le temps est venu de passer à autre chose.

Journalducameroun: Cinquante ans après les indépendances, d’après vous, la France a-t-elle aujourd’hui des rapports décomplexés avec les pays d’Afrique francophone, ou se comporte-t-elle toujours comme une puissance tutrice?

Achille Mbembe: La France est une puissance moyenne qui s’efforce de protéger comme elle le peut ce qui lui reste d’intérêts dans son ex-empire. Qui peut la blâmer?

Pour le reste, c’est à nous de savoir quels sont les nôtres et comment les défendre intelligemment.

Je suis persuadé que lorsque les peuples africains se seront mis debout pour leur propre compte, la France n’aura guère de choix. Elle sera obligée de les respecter. Tant qu’ils sont prosternés, à genoux devant leurs propres satrapes, la France n’a aucune raison objective de les traiter différemment.

Jean Lamberton (en blanc), en opération en zone de pacification de la Sanaga Maritime, le 27 mai 1957. Archives privées publiées par les auteurs de: « Kamerun! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique (1948-1971) »
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L’armée française en Afrique, une puissance militaire impérialiste

Par Marion Ajar, Lutte Ouvrière

Lundi 5 janvier, sur France Inter, Hollande a affirmé que « la France n’interviendra pas en Libye, parce que c’est à la communauté internationale de prendre ses responsabilités ». C’est en même temps affirmer qu’une intervention en Libye serait, pour Hollande, dans la logique des choses. Après l’intervention militaire française au Mali puis en Centrafrique, le gouvernement accentue encore la présence militaire française au Sahel, une région qui depuis 2011 est devenue un terrain d’action privilégié des groupes djihadistes.

Pour favoriser la chute du dictateur Kadhafi, Sarkozy avait non seulement oeuvré aux bombardements français mais aussi aidé à la formation de milices islamistes qui, depuis, ont plongé le pays dans un chaos total. Aux armes fournies par la France se sont ajoutées celles prises dans les stocks de l’armée libyenne, contribuant à équiper non seulement les milices libyennes mais l’ensemble des groupes djihadistes de la région.

L’intervention militaire des puissances impérialistes, dont la France, a ainsi contribué à la déstabilisation de toute la région et a favorisé le développement de groupes terroristes. Par la suite, les interventions militaires françaises au Mali et en Centrafrique n’ont fait qu’accentuer les choses, aggravant encore le sort des populations prises entre ces différentes bandes armées, sans pouvoir les annihiler.

En août 2014, le gouvernement français avait annoncé la fin de l’opération Serval au Mali et son remplacement par une opération Barkhane devant couvrir une plus vaste étendue, de la Mauritanie au Tchad, en passant par le Niger, le Mali et le Burkina, montrant par-là que les djihadistes loin d’être vaincus continuaient à exister sur une zone encore plus vaste. En 2014 toujours, d’après l’hebdomadaire Jeune Afrique, «les soldats étrangers n’ont sans doute jamais été aussi nombreux en Afrique depuis les indépendances». Et parmi eux, les soldats français sont les plus nombreux.

Les dictateurs africains alliés de l’impérialisme français tentent de relativiser cette présence militaire. Le Tchadien Idriss Déby, qui envoie ses soldats participer à toutes les interventions françaises, déclare même que «la présence militaire française ne doit pas durer». Mais en novembre dernier, 200 soldats français ont réinvesti un fort datant de l’époque coloniale, près de la frontière entre la Libye et le Niger.

Les affirmations de Hollande, ses appels du pied à «la communauté internationale» visent à faire pression, à tenter d’obtenir des autres grandes puissances un soutien financier, militaire et politique, et éventuellement une résolution de l’ONU couvrant une intervention française. Les attentats qui viennent d’avoir lieu à Paris peuvent fournir un motif pour obtenir ce soutien en présentant les interventions de la France comme justifiées par la lutte de la «démocratie» contre le terrorisme.

Afin de maintenir leur domination et leur pillage du continent, les puissances impérialistes ont utilisé des mercenaires de tout poil, y compris des groupes «djihadistes». Leurs guerres n’ont pas seulement semé le chaos et la misère mais entraîné des retours de bâton dont les attentats qui viennent de se produire à Paris ne sont qu’un exemple. La politique de l’impérialisme, en Afrique comme au Moyen-Orient, mène le monde dans une impasse sanglante.


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