Cemac: la dévaluation du CFA, une solution à la crise économique

Selon l’économiste Dieudonné Essomba, les ajustements budgétaires décidés lors du sommet des chefs d’Etat, vendredi, ne saurait apporter des solutions aux problèmes économiques de la zone

La Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) «ne peut pas échapper à la dévaluation» du Franc CFA, selon Dieudonné Essomba, économiste camerounais, qui estime que cela pourrait intervenir en 2017, à Alerte Info samedi.

«Si on ne dévalue pas, on sera obligé de diviser les salaires par deux, réduire les effectifs (fonction publique) ou se surendetter», a dit M. Essomba, ex-ingénieur principal de la statistique au ministère de l’Economie, au lendemain d’un sommet extraordinaire des Chefs d’Etats de la Cemac. Lequel s’est tenu au Palais de l’Unité de Yaoundé sur invitation du président Paul Biya.

«Quelque soit le cas, ce sera toujours la misère. La Cemac n’a pas la possibilité de réduire ses dépenses intérieures. Le Cameroun a déjà utilisé cette marge de man uvre depuis 1987», a-t-il déploré.

L’économiste affirme qu’à partir de 2017, la Cemac sera «dans l’incapacité de générer des devises pour supporter son développement», et que la zone communautaire «n’aura plus la capacité d’acheter à l’extérieur».

Le statisticien dénonce de «mauvaises politiques économiques, avec des systèmes qui ne produisent rien, trop vulnérables et qui dépendent du pétrole».

Sur les six pays de la Cemac, à l’exception de la Centrafrique, cinq, à savoir le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et Tchad sont des producteurs de pétrole.

Le pétrole contribue pour 9% au PIB du Cameroun, ce taux s’élève à 85% pour la Guinée équatoriale, 50% pour le Congo-Brazzaville, à près de 45% pour le Gabon et à environ 18% pour le Tchad. L’or noir représente a environ 70% des exportations de la Cemac et plus d’un tiers de ses recettes budgétaires, selon les chiffres officiels.

En 2015, la baisse persistante des prix du baril a plombé les économies en accentuant le déficit budgétaire régional estimé à environ 6,5% du produit intérieur brut (PIB). La zone a enregistré une réduction de 37,6% de ses ventes, à 9.125,6 milliards FCFA.

Une crise qui a favorisé un effritement rapide des réserves de change du Franc CFA au trésor français. Dans ces conditions, une dévaluation de la monnaie était de plus en plus évoquée pour faire face à ce marasme économique.

Vendredi, les Chefs d’Etat de la Cemac ont décidé de ne pas dévaluer le Franc CFA et s’engagent à poursuivre des «ajustements budgétaires nécessaires à un rééquilibrage maitrisé».

Une décision que dénonce Dieudonné Essomba, qui estime que ces «atermoiements» vont accentuer la crise économique dans l’espace communautaire.

«Plus on dévalue vite, plus on rétablit vite la situation», a-t-il conclu.


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Cameroun: les propositions du FMI contre productives face à la mal gouvernance

Par Vincent Sosthène Fouda, président national du Mouvement Camerounais Pour la Social-Démocratie (MCPSD)

La position officielle du Cameroun semble donc être que le Cameroun ne quittera pas le CFA si j’en crois certains médias et que ce propos aurait été tenu par le premier ministre Philémon Yang lors de la visite de Christine Lagarde au Cameroun. Il en est de même pour ce qui est des propositions de madame Lagarde quant à la multitude des projets du gouvernement camerounais. Un pays n’est pas une institution internationale, nous devons simplement déplorer que la conférence de presse avec les ministres des finances de la zone CEMAC n’est pas été un échange franc avec les journalistes, ce qui aurait permis de vulgariser les thèmes qui tiennent les populations à c ur.

La monnaie est à l’économie ce que le sang est au corps humain; s’il en manque, c’est l’anémie, s’il y en a trop, c’est la congestion. Il ne viendrait à l’idée de personne d’emprunter son propre sang. Alors, il revient à l’État, pour le service du bien commun, d’assurer l’offre à la demande de monnaie pour qu’enfin l’économie camerounaise soit au service des camerounais. Voilà le principale sujet qui intéresse les camerounais dans le rapport de leur pays avec la Banque Mondiale.

La conjoncture intellectuelle présente nous interpelle sur la question du savoir économique autorisé et de la place spécifique que la monnaie y tient. On dispose en effet désormais d’assez de recul pour constater qu’en dépit de l’ampleur de la crise actuelle du capitalisme financiarisé dans ses deux premières phases, celle initiée en 2008 aux États-Unis par le défaut sur les dettes privées des ménages et ses conséquences dépressives sur l’économie mondiale, puis celle de l’endettement des États dans la zone euro initiée en 2010, les idées des économistes qui font autorité continuent de structurer, comme si de rien n’était, la vision du monde des classes dirigeantes occidentales. Tout se passe comme si un effet de sidération avait paralysé la capacité à penser de nos gouvernants et de leurs conseillers économiques et financiers.

Le gouvernement camerounais, a son programme que nous demandons à voir, à implémenter, le Chef de l’Etat dans son message de v ux à la Nation le 31 décembre 2015 a dit que le DSCE est la boussole de son gouvernement. Nous ne pouvons donc pas dire qu’il a entendu les conseils de madame Lagarde pour se réajuster ou pour se déployer. Qu’est-ce que le développement ? François Perroux en 1961 disait et je cite : c’est « la combinaison des changements mentaux et sociaux d’une population qui la rendent apte à faire croître cumulativement et durablement son produit réel et global ». Cette définition implique deux faits principaux : si la croissance peut se réaliser sans forcément entraîner le développement (partage très inégalitaire des richesses, captation des fruits de la croissance par une élite au détriment du reste de la population), il y a tout de même une forte interdépendance entre croissance et développement (le développement est source de croissance et nécessite une accumulation initiale).

Enfin, le développement est un processus de long terme, qui a des effets durables. Une période brève de croissance économique ne peut ainsi être assimilée au développement. Le problème du gouvernement camerounais n’est pas d’embrasser trop de projet mais de ne conduire aucun à terme et ceci depuis 30 ans environ et cela s’appelle la mal gouvernance. Ce gouvernement est champion des déclarations, des projets mais nul en réalisation, c’est ce qui découle d’ailleurs du dernier rapport de Transparency International quand on le lit par rapport à l’indice de développement. Madame Lagarde comme toute financière ce trompe sur les objectifs que doit atteindre un pays s’il veut se développer alors que ces critères n’ont pas changé depuis 1970 et énoncé par le PNUD à savoir : la productivité qui permet d’enclencher un processus d’accumulation ; . la justice sociale : les richesses doivent être partagées au profit de tous ; . la durabilité : les générations futures doivent être prises en compte (dimension à long terme du développement) ; . le développement doit être engendré par la population elle-même et non par une aide extérieure. Quand vous regardez et lisez attentivement les propositions de madame Lagarde le compte y est-il ?

La nécessité de la monnaie
La monnaie est essentielle au fonctionnement d’une économie moderne, mais sa nature a sensiblement varié au fil du temps. Aujourd’hui, la monnaie est une dette, dont la spécificité est que chaque acteur du système économique est sûr qu’elle sera acceptée par les autres en échange de biens et de services.

Il existe 3 types de monnaie : les espèces, les dépôts bancaires, et les réserves de la banque centrale. Chacun représente une dette entre un secteur de l’économie et l’autre. Dans l’économie, moderne, les dépôts bancaires, qui sont créés par les banques commerciales elles-mêmes constituent la majeure partie de la monnaie. Sur les trois types de monnaies il revient non pas seulement au Cameroun mais à l’Afrique entière d’analyser avec rigueur où se trouve sa faille, celle du pays et celle du continent. Où se trouve la réserve de la banque centrale des Etats de la CEMAC et par là de tous les Etats francophones à quelques exception et les Comores ?


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Dieudonné Essomba: « Sortir du CFA est le gage d’une meilleure relance des économies de nos pays»

Selon ce statisticien auteur d’un livre sur la monnaie binaire, la monnaie utilisée dans la zone Franc, n’est pas à l’avantage de ses membres. Il explique.

Le 05 octobre dernier à Paris en France, les ministres des finances des pays de la zone FCFA dont le Cameroun, se sont retrouvés pour la traditionnelle réunion et pour la célébration des quarante années de coopération monétaire, quel est votre commentaire?
D’abord il faut tenir compte du fait que les accords de 1972 viennent consacrer une vieille pratique, c’est-à-dire une zone monétaire commune, articulée autour de la France, fonctionnant sur la base de la conservation par elle, des devises et de l’or monétaire. Une zone qui avait existé avant et avait persisté après les indépendances des pays membres de la zone franc. Donc le franc CFA avait toujours fonctionné et fonctionnait encore jusqu’à récemment, comme des sous monnaies de la monnaie française. Alors en 1972, on donne un habillage juridique, à cette très vieille pratique, en le rendant même un peu plus complexe sous la forme jusqu’ici difficile à comprendre d’une création de plusieurs Banques Centrales pour la même monnaie. La question de fond est celle de savoir ce que les pays de la zone franc commémorent en réalité. Il y a là quelque chose qui n’est pas clair. Lorsqu’on observe les attitudes officielles on a l’impression que la zone Franc a été créée en 1972 alors que ce moment-là marque le départ de l’habillage juridique d’une pratique de rente propre à la colonisation.

Votre inquiétude nous emmène a rappeler qu’effectivement, avec l’entrée de la monnaie unique européenne, les pays africains de la zone Franc, n’ont plus d’accord monétaire avec la France, parce que les accords de Maastricht l’interdisent, mais avec l’Euro. Aujourd’hui quelle est la substance qui reste des accords monétaires qui sont célébrés ?
Ce qu’il faut comprendre c’est que le CFA était une partie de la monnaie française. Lorsque celle-ci est fondue dans l’Euro, le CFA est devenue une partie des Euros de la France, mais qui circule en Afrique. Jusqu’ici, le CFA n’est pas encore une monnaie véritablement autonome. Du point de vue l’économie globale, les pays de la zone CFA se comportent exactement comme si c’était des départements français, sauf que cette hiérarchisation porte sur la monnaie. Donc au niveau européen, on ne connaît véritablement pas le CFA. On distingue des euros qui circulent en France, et ceux qui circulent dans les pays africains sous la forme de CFA.

Oui mais malgré tout, le CFA est convertible contre un large panier de monnaies. On peut le changer contre du Dollars, du Yen et autres monnaies, comment cela se passe-t-il exactement?
C’est une très bonne question. Je précise tout d’abord que le CFA est essentiellement émis à travers les devises. Les banques centrales ne décident pas de créer la monnaie sur la base des agrégats économique comme le font d’autres Banques Centrales. Ce qui veut dire que lorsque le Cameroun par exemple réalise des exportations, dans ces différents pays, il ne reçoit pas directement ses devises. Ces recettes sont en principe reversées dans le trésor public français, qui lui renvoie une quantité, sous la forme de CFA. À l’inverse, lorsque nous voulons importer des marchandises, le système bancaire ici demande à la Banque de France qui nous remet des devises pour les importations. Il n’y a pas plus grand outil de contrôle d’un pays. La convertibilité est apparente car elle ne peut aller au-delà d’un certain montant. Pour le cas du Cameroun, au-delà de 2200 milliards de FCFA, la quantité de devises que nous produisons chaque année, on a recours à un endettement commercial.

Vous êtes de ceux qui pensent que les accords monétaires sont une des causes de blocages des économies de la zone Franc dont le Cameroun, comment expliquez-vous cela?
Je vais vous citer la situation dramatique que vit le solde extérieur (différence entre les importations et les exportations). Lorsque le Cameroun atteint le point d’achèvement en 2006, son déficit commercial en 2007 n’est que de 90 milliards de FCFA. en 2008 ce déficit monte à 190 en 2011, le déficit du commerce extérieur est à 1700 milliards de FCFA et les prévisions de 2012 prévoient une hausse certaine. Or à la vérité, ce déficit cumulé constitue un endettement. Comme je vous l’expliquais, pour importer, nous demandons nos devises à la France qui nous les remet. Mais lorsque nous importons plus que nous ne vendons, forcément le surplus d’achat se fait sur la base des devises que la France ou d’autres partenaires nous prêtent. A cette dette commerciale, il faut rajouter les 2210 milliards de dette contracté auprès des bailleurs et du secteur privé pour la réalisation des projets et le fonctionnement de l’appareil administratif. Donc à la dette publique normale, il faut ajouter 3000 milliards de déficit commercial cumulé et donc vous constaterez vous-même les ravages qui naissent du fait d’une monnaie qu’on ne contrôle pas. Si nous admettons qu’il est logique de s’endetter pour les projets, l’augmentation permanente de la dette issue du déséquilibre de la balance des paiements est très dangereuse, parce que tout le monde est responsable sans le réaliser. En 1987 pour ceux qui se rappellent des années de braises économiques, c’est précisément ce scénario qui rend les choses difficiles au Cameroun, couplé à une incapacité de l’administration à anticiper et prévoir. Nous sommes en train d’y retourner à petit pas. Or pour jouer sur la balance des paiements, les pays utilisent souvent la monnaie, en la dépréciant ou en la valorisant. Cela permet un contrôle sur les flux de capitaux entrant ou sortant. Aujourd’hui le fait qu’on utilise une monnaie rigide qui n’est pas la nôtre, empêche cela et le pays est en train de s’enfoncer inévitablement.

Dieudonné Essomba
Journalducameroun.com)/n

Aujourd’hui parlant du stock de devises gérées sur le compte des opérations en France pour le compte de la zone Franc, on parle de 30 milliards de dollars. Est-ce qu’on peut encore véritablement dire que le France qui a des besoins budgétaires qui se chiffrent en milliers de milliards d’Euros, use et abuse de sa position sur la monnaie Africaine. Est-ce qu’il n’y pas un peu d’incompétence de nos dirigeants qui refusent d’avancer?
D’abord sur le volume des transactions, il faut tenir compte de ce que le stock en devises est un mécanisme régulateur. Normalement le pays n’a pas besoin d’un stock en devises. Il doit équilibrer ses comptes par la vente et l’achat. Ce stock apparaît pour gérer les risques. Il n’a pas besoin d’être énorme. Donc de ce fait, même s’il apparaît dérisoire par rapport au volume de l’activité économique en France, il joue un rôle stabilisateur extrêmement important. C’est un peu comme la queue de l’avion. Si vous décidez de la couper au motif qu’elle est plus petite que le reste, vous ne pourrez plus rien faire et ce sera le crash assuré. Le fait même que la France s’accroche à cette zone, est la preuve qu’elle y tient à fond. A côté de cela, il y a le fait que c’est un moyen pour la France de contrôler même subtilement ou de manière ouverte les flux commerciaux. Il vous souvient dans beaucoup de marché publics en Afrique francophone, la France a souvent fait des pressions. Donc le fait qu’elle maîtrise ces flux lui donne de manière stratégique la possibilité de les maîtriser et surtout de jauger la force des autres pays avec lesquelles elle est aujourd’hui dans la lutte sur le contrôle des parts de marché dans le monde. Vous demandez aussi s’il n’y a pas de problème de gouvernance. Je vous dis que la situation des pays africains intègre plusieurs types de problèmes. Il y a un problème de gouvernance opérationnelle (corruption, mauvaise utilisation des ressources), de gouvernance stratégique, et aussi la mauvaise articulation de nos économies. Nous ouvrons nos économies au nom de la compétitivité alors que celle-ci dépend d’un certain nombre de facteurs que nous ne possédons pas encore, d’où les grands projets. On essaye de transformer la gouvernance en une sorte de bâton magique, or ils savent que cela n’a rien à voir. Même si on donne le Cameroun a l’équipe Barack Obama, dans les circonstances actuelles, cela lui posera problème.

Parlant des accords monétaires, il semble que la substance qui reste aujourd’hui et vous l’avez expliqué, c’est la gestion budgétaire du Franc CFA. Donc les pays de la zone Franc peuvent décider de changer de partenaire est ce que ce n’est pas une solution?
Ce que la France gère, ce sont nos devises extérieures maintenant les autres aspects de la gouvernance économique est l’affaire des organismes internationaux, comme la Banque Mondiale et le FMI. Quant aux autres pays nous avons de simples rapports commerciaux. Si nous sortons du CFA aujourd’hui, la seule issue est d’avoir notre monnaie. Maintenant dans la gestion de cette monnaie, on peut s’arrimer à un autre pays. Comme le Ghana le fait avec le Dollar US. Mais évidemment pour l’Amérique, c’est un peu comme un oiseau qui décide de suivre les éléphants. Il faut savoir que la zone Franc est une expérience unique dans le monde, c’est-à-dire le cas où un autre pays émet la monnaie utilisée dans plusieurs autres pays. C’est assez impressionnant qu’on puisse célébrer cela. Alors est ce que le problème n’est pas la France, je dois dire que ce pays a profité du CFA dans les années 70. Il avait connu un grand retard dans son industrialisation et à l’époque les devises générées par les économies africaines, où il n’existait pas encore de classe moyenne comme aujourd’hui, étaient inutilisées. La France a donc utilisé l’énorme stock de devises des pays de la zone Franc pour se relancer. La seule période où le solde du compte des opérations a franchi le rouge, cette France n’a pas hésité à imposer une dévaluation dont on connaît les conséquences par la suite. Elle avait ainsi soit refusé, soit été incapable de respecter ses engagements consignés dans les accords monétaires de soutenir le CFA jusqu’au bout, et donc les pays de la zone Franc auraient pu commencer à voir clair dès ce moment-là.

Alors finalement quelle solution à tout ça?
J’ai toujours dit tout en reconnaissant la position pertinente des personnes qui demandent de sortir du CFA, que la solution la plus pertinente est de créer à côté de cette monnaie, une monnaie parallèle, dont le volume serait de 15 à 25% de la masse monétaire globale. La caractéristique de cette monnaie est qu’elle ne servira pas à acheter les biens extérieurs. Cela permettra de contrôler les flux, limiter l’endettement commercial, augmenter l’épargne nationale et permettre un développement auto généré. Évidemment à long terme lorsqu’on aura restructuré nos économies et acquis la force qui puisse nous permettre de résister à l’agression économique extérieure, alors là on peut envisager sortir du FCFA. Comme le dit souvent Manu Dibango, l’ennemie ne dort jamais il ne faut pas dormir et rêver. Il ne faut pas aussi confondre le courage et la stupidité. Si on doit sortir du CFA, cela doit être une action planifiée, réfléchie et solide.

Pays de la zone Franc
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La crise de l’Euro, l’Afrique et la stratégie de la Ligne Maginot

Par Thierry Amougou, président de la Fondation Moumié

De janvier 1884 à février 1885, l’Afrique fut dépecée et partagée par des pays occidentaux croyant dur comme fer à leur droit naturel d’apporter « la civilisation » aux « barbares ». Sans aucun Africain autour de la table des négociations, les conditions d’exploitation des ressources naturelles du continent noir furent aussi fixées suivant les seuls intérêts des grands acteurs coloniaux de l’époque. Cette attitude qui consista à traiter de l’Afrique et de ses problèmes en son absence, constitue ce qu’on peut appeler l’esprit de la conférence de Berlin. Les conséquences contemporaines de cet esprit sont encore robustes car le Fcfa, monnaie officielle de nombreux pays africains membres de la Zone Franc, est le fruit de l’Empire colonial français qui se déploya lui-même en s’appuyant sur les notions de « mise en valeur », « d’hinterland », « d’arrière pays » et de « commerce légal » érigées par ladite conférence au rang d’instruments stratégiques du PIDE (Pénétration, Installation, Domestication et Exploitation.)

Si, en 1884, l’Afrique n’était encore au yeux du « monde civilisé » qu’un ensemble de terres lointaines et étranges sans pouvoir de négociation et sans aucun intérêt à être intégrée par les puissances coloniales dans une négociation parlant de son avenir, tel n’est plus le cas depuis le XXème siècle où sont nés des États africains indépendants. Il est dès lors interpellant de constater que les pays africains qui, jadis, ont été contraints de rester au sein de la Zone Franc et de garder le Fcfa comme monnaie, remettent en selle l’esprit de la conférence de Berlin en adoptant la stratégie de la Ligne Maginot par rapport à leur avenir monétaire. Celle-ci, ainsi que le disait le Général de Gaule, est l’attentisme même. Elle consiste à attendre que les autres fassent quelque chose au sujet d’une problématique alors que notre avenir y est en jeu. En ce qui concerne le Fcfa, la stratégie de la Ligne Maginot semble prisée par les États africains de la Zone Franc. Cela s’est vérifié dans au moins quatre cas de figures où l’Afrique est restée coite en attendant que les autres fassent quelque chose pour elle sur des problèmes cruciaux qui engagent son avenir et son développement.

Premièrement, de 1948 à 1994, la France fixa, sans que les pays africains de la Zone Franc ne disent mot, le taux de change entre le Fcfa et le FF à un niveau si élevé qu’il obérait le prix des exportations africaines et ne bénéficiait qu’aux exportations françaises vers l’Afrique. Deuxièmement, dès que les pays africains de la Zone Franc sont entrés en crise dans les années 1980, le Fcfa a été dévaluée par décision unilatérale des institutions financières internationales et notamment de la France qui ne voulait plus supporter la charge d’ajustement puisque le compte d’opération prévoit à la fois une convertibilité illimité du Fcfa, et une possibilité de découvert au pays africains déficitaires de la Zone Franc. Troisièmement, le passage à l’Euro en 1999 par la France s’est aussi fait sans que l’Afrique ne réfléchisse sur son avenir monétaire et celui de la Zone Franc par rapport à cette évolution. Quatrièmement, la crise actuelle de l’Euro issue de celle de la dette souveraine au sein de l’UE elle-même liée à la crise de subprimes, semble ne pas intéresser le continent noir et ses pays de la Zone Franc alors qu’il s’agit d’une crise qui implique directement l’étalon international qui assure la convertibilité internationale du Fcfa : l’Euro. Quelle est la stratégie pensée par l’Afrique si la faillite de l’Euro devient effective ? Cette crise de l’Euro fait-elle réfléchir les pays africains de la Zone Franc sur leur avenir monétaire ? Les pays africains de la Zone Franc savent-ils que si l’Euro disparaît (ce qui n’est plus une hypothèse farfelue), ils perdront en même temps le point d’ancrage de la convertibilité du Fcfa et une baisse drastique de la valeur de leurs réserves de change suite à l’inflation que cela peut induire ? Attendent-ils, compte tenu de leur silence, que ce soit la France qui réfléchisse de ce qu’il faudrait faire dans une telle éventualité ? La Zone- Franc est-elle toujours une zone monétaire lorsqu’on sait que le Fcfa de la BCEAO et celui de la BEAC ne sont plus convertibles entre eux qu’au marché noir les deux instituts d’émissions considérant chacune la monnaie de l’autre comme de la mauvaise monnaie ?

Sortir de la stratégie de la Ligne Maginot exige que les pays africains de la Zone Franc trouvent des réponses à ce type de questions car la crise que connaît la Grèce est déjà un cas d’école pour tous les pays africains de la Zone Franc dont la souveraineté monétaire est déconnectée de la souveraineté politique. Comme tous les pays africains de la Zone Franc, la Grèce a renoncé à sa souveraineté monétaire en intégrant la zone monétaire européenne et en adoptant l’Euro comme monnaie de référence en lieu et place de la Drachme. Dès lors, la manipulation du taux de change comme instrument de lutte contre le déficit public n’est plus de son ressort comme cela est aussi le cas pour les pays africains de la Zone Franc. Donc si, d’un côté, les pays africains de la Zone Franc bénéficient de la convertibilité illimitée du Fcfa qu’assure l’Euro via le trésor français, de l’autre, ils renoncent à un instrument de développement qu’est le taux de change. De même, si le découvert que ces pays peuvent avoir de la part de la France via le compte d’opération est un avantage, il ne faut pas oublier, non seulement qu’en contrepartie, la France puise aussi dans le compte d’opération en périodes de prospérités de ces pays, mais aussi, qu’elle peut déstabiliser n’importe quel pays africain de la Zone Franc en manipulant la masse monétaire : des recherches démontrent que celle-ci augmente parfois dans uns pays africain lorsque la France y soutient un régime et veut créer une illusion monétaire chez les citoyens en période préélectorale, alors que les robinets peuvent se tarir lorsque l’équipe en place en Afrique n’est pas en bons termes avec Paris. Quelques mois sans de quoi payer ses fonctionnaires, et le régime africain impopulaire à Paris est tout de suite en grande difficultés.

Ce qui précède est la preuve que la monnaie n’est pas seulement un instrument de développement via plusieurs politiques où elle intervient (taux de change, monnaie de crédit, intermédiation financière, réserves de change, fonds souverains, prêteur en dernier ressort, base monétaire, monétisation .), mais aussi un paramètre de souveraineté économique qui doit être en cohérence avec la souveraineté politique des Etats. En outre, la monnaie unique est accélératrice d’intégration (cas de l’UE) et une arme géopolitique comme le montre la guerre des monnaies qui se joue entre le Dollar américain, le Yuan chinois, l’Euro, la Livre Sterling et Franc suisse par échanges internationaux interposés : les grandes monnaies sont en lutte permanente dans la conquête du territoire mondial au point où on peut parler de véritables géo monnaies. Cependant, étant donné que plusieurs pays africains sont hors Zone Franc et émettent leurs propres monnaies nationales avec des échecs (Zaïre), des retours au sein de la Zone Franc (Guinée), des succès (Nigeria, Maroc, Tunisie, Afrique du Sud, Kenya..), il semble que la problématique du choix cornélien entre l’institution d’une monnaie unique africaine et l’adoption des monnaies nationales, soit moins importante que celle de savoir qu’elle est le statut que les Africains veulent donner à leur monnaie par rapport à leurs objectifs de développement.

Étant donné que l’histoire monétaire mondiale montre que le décalage entre la souveraineté politique et la souveraineté monétaire aboutit toujours à des crises, le choix gagnant pour l’Afrique peut être des monnaies nationales comme étapes vers des monnaies régionales et des monnaies régionales comme étapes vers une monnaie unique africaine. Même si le manque de diversification des structures productives des pays africains de la Zone Franc, la bonne santé des pays africains aux monnaies nationales (Afrique du Sud, Nigeria) et l’effondrement de la Grèce prouvent qu’une zone monétaire n’entraîne pas obligatoirement du développement, il est important que l’Afrique essaie d’évoluer vers plus d’intégration afin de faire le poids face aux autres grands ensembles (UE, USA, ASEAN, Chine, Inde.) qui dominent l’échange mondial. Dans une telle perspective, la monnaie unique africaine devient un accélérateur d’intégration. La transformer en instrument de développement du continent noir reviendrait donc à apprendre de la crise actuelle de la zone Euro en mettant en place un gouvernement économique africain ; une banque centrale africaine ; un trésor africain ; des obligations de la dette africaine, un système fiscal cohérent (ce qui ne veut pas dire homogène), et un fonds de garantie africain. Autant de choses qui font défaut au sein de l’UE. C’est un projet de longue période, mais l’Afrique doit y réfléchir et y travailler de façon permanente en sortant de la stratégie de la ligne Maginot face à ses paramètres monétaires qu’elle doit automatiquement orienter pour son développement cinquante ans après les indépendances.

L’Euro n’est que le Mark allemand relooké en monnaie communautaire. La France et d’autres pays en paient aujourd’hui le prix et veulent revoir les accords de Maastricht. Comment les Africains qui utilisent le Mark allemand via le Fcfa après avoir utilisé le Franc français via le même Fcfa restent-ils impassibles face à cette situation cinquante après les indépendances ?

Thierry Amougou, président de la Fondation Moumié
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