Depuis un an, les réfugiés situés dans les camps de la région de l’Est bénéficient d’activités éducatives mises en uvre par l’Unicef à travers des financements de l’UE. Des résultats palpables
«Bonjour monsieur!» salue un enfant à l’entrée d’une tente aux couleurs de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) à Gado Badzere 1, site de réfugiés centrafricains situé dans la région de l’Est-Cameroun, à 25km de Garoua-Boulaï, localité frontalière de la RCA, dans le département du Lom et Djerem. Il y en a aussi qui s’essayent à l’anglais. «Good morning!», dit un autre enfant que nous rencontrons sur notre chemin. «My name is. », et il réfléchit durant des dizaines de secondes, au moment de donner son nom, cherchant la fin de l’expression, qu’il ne trouvera pas.
A Gado 1, site qui compte plus de 10.000 réfugiés, la plupart des enfants, comme ceux qui saluent le reporter de Journalducameroun.com en cette matinée du 23 juin, vont à l’école depuis un an. Ceci grâce à des activités éducatives mises en uvre par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) à travers des financements du service de la Commission européenne à l’aide humanitaire et à la protection civile (ECHO). Les activités sont implémentées sur le terrain par PLAN, une ONG internationale partenaire de l’Unicef.
L’apprentissage à petits pas
«Au début les enfants étaient incapables de parler un seul mot de français», s’enthousiasme Philippe Goliké Madoukou face aux résultats enregistrés entre juin 2014 et juin 2015, année de mise en uvre du financement accordé par Echo: soit 500.000 Euros, attribués aux volets éducation et nutrition dans les camps de réfugiés centrafricains. Philippe fait partie de la vingtaine d’instituteurs titulaires du Capiemp (Certificat d’aptitude pédagogique des instituteurs des écoles maternelles et primaires), recrutés pour le programme.
A Gado, les activités sont organisées autour des ETAPEs (Espaces temporaires d’apprentissage et de protection). On retrouve ici deux types d’ETAPEs, celles liées à la protection (concernant les enfants en âge préscolaire: 2-5ans); et les ETAPEs éducation (pour les enfants en âge scolaire). Dans ce dernier cas, les jeunes réfugiés ont la possibilité de fréquenter de la Sil au Cours élémentaire II (CE2). Ils sont ensuite référés aux écoles publiques des localités environnantes, nous explique Augustin Kedai-Tao, le chef équipe Protection du HCR à Gado1.
Au sein des ETAPEs éducation, les réfugiés reçoivent tous les enseignements à l’exception de la géographie, détaille Philippe Goliké Madoukou. Le calendrier scolaire est aligné sur celui du système éducatif national. Actuellement en vacances, les enfants reprendront les cours en septembre. En termes d’effectif, renchérit l’instituteur, 989 personnes ont pris part aux compositions au cours de l’année 2014-2015, avec 654 admissions et 335 échecs.
Au sein des ETAPEs protection, les gosses ne vont pas véritablement en vacances. De lundi à mercredi, ils sont conviés à des activités de sensibilisation; et de jeudi à vendredi, ils prennent part à des activités récréatives (jardinage, couture, cuisine, etc.), le tout sous l’encadrement de six intervenants psycho-sociaux et 20 animateurs.
La participation est importante, explique Yacouba Diallo, l’un des animateurs rencontrés à Gado. Cependant, explique-t-il, il faudrait pouvoir retenir à l’avenir uniquement les enfants en âge préscolaire (2-5 ans). Actuellement, même les plus âgés prennent du plaisir à participer aux activités réservées aux plus petits.

Des réfugiés contents de leur sort
Autre site, autre réalité. Nous nous rendons à Timangolo. Selon des données enregistrées par le HCR à la mi-juin 2015, près de 7000 réfugiés y sont recensés. Le camp de Timangolo est situé à l’Est, dans le département de la Kadey dont le chef-lieu est Batouri. Ici, 1353 élèves réfugiés ont été inscrits dans les ETAPEs pour la mise à niveau au cours de l’année scolaire 2014-2015. Seuls 916 d’entre eux ont suivi la formation jusqu’à la fin. Rassemblés dans une salle, certains parents d’élèves témoignent de l’impact des activités éducatives auprès d’une mission de l’Unicef et de la direction générale d’ECHO, venues s’enquérir sur l’usage fait des financements de la Commission de l’Union européenne.
Ça n’a pas été facile de suivre ces 916 enfants jusqu’au bout, renseigne Adamou Daoudou, le président du Coges (Comité de gestion des ESPACEs) de Timangolo. Au mois de mars de l’année en cours, une mine d’or a été découverte à environ 6 Km du camp. Les réfugiés l’ayant appris ont préféré aller y chercher quelques opportunités en délaissant l’école. «Les effectifs dans les ETAPEs avaient chuté à 300. Deux semaines après, on a pu remonter la pente et atteindre 900 après avoir discuté avec le sous-préfet de Kette», explique M. Daoudou.
Le sous-préfet de Kette, arrondissement auquel appartient Timangolo, a proscrit le travail des enfants réfugiés centrafricains dans la mine, grâce à un plaidoyer des parents et de l’Unicef.

«Nous, en République centrafricaine, on n’avait pas fréquenté. Et aujourd’hui, avec la chance qu’on a eu d’arriver au Cameroun, nos enfants pourront faire ce qu’on n’a pas réalisé: faire les études», estime Ibrahim Nyiwa, un homme d’un âge respectable, assurant la vice-présidence du Comité de gestion des ESPACEs de Timangolo.
«Avant de venir au Cameroun, je ne savais pas qu’une fille pouvait faire des études et trouver un emploi convenable. En voyant des femmes qui travaillent ici à Timangolo – et elles sont nombreuses! – j’ai désormais plus de considération pour l’éducation de la fille, ajoute un autre réfugié, qui assure avoir inscrit toutes ses filles (une demi-dizaine d’après ce qu’il dit), dans les ETAPEs. La conversation s’effectue ici à l’aide d’un traducteur, les membres du Coges s’exprimant principalement en haoussa.
«C’est très important de donner la parole, la voix, à la communauté des femmes centrafricaines dans le camp», leur recommande Sabrina Avakian, chef du sous-bureau Unicef de Bertoua. Le camp de réfugiés de Timangolo bénéficie de 15 salles de classes pour les cours ; et de l’encadrement de 15 volontaires auxiliaires dont 12 dans les ETAPEs et trois dans le programme d’alphabétisation pour les parents, indique Charles Brice Nken, Education field officer de l’ONG Plan sur le site.
«Quel que soit le niveau d’ignorance de l’enfant ou du vieux ici, dans le camp, il aura accès à l’éducation», soutient un parent.
Du 29 juin au 20 août 2015, soit près de neuf semaines, Plan – qui est le partenaire d’exécution du projet Education pour l’Unicef dans les sites – annonce des séances spéciales pour la réinsertion des enfants déscolarisés ; et celles destinées à la préparation à l’entrée au primaire pour ceux qui ont rejoint les programmes en retard ou qui ne sont jamais allés à l’école. Ceci afin de permettre au plus grand nombre de démarrer la rentrée scolaire du bon côté en septembre.

Matériel inadapté
Si les bénéficiaires du programme soulignent essentiellement des retombées positives, il n’en demeure pas moins des points susceptibles d’être améliorés. A Gado, camp qui compte quatre secteurs et 26 salles de classes, de nombreux bâtiments ont été élevés sur de la terre vierge, sans ciment. «Il faudrait que les enfants qui viennent propres puissent rentrer propres après les classes», relève un animateur.
Les instituteurs titulaires du Capiemp souhaitent pour leur part qu’ils puissent bénéficier d’attestations prouvant qu’ils ont travaillé dans des camps de réfugiés «en situation d’urgence», plaide l’un d’entre eux.
Grief émis à Gado comme à Timangolo, le retard mis dans les paiements. Tous les encadreurs se plaignent de recevoir leurs paiements généralement à partir du 20 de chaque mois alors que cela devrait être au début du mois, assurent ces derniers. La responsabilité est vite rejetée sur Express Union (un opérateur de transfert d’argent), qui recevrait les paiements à temps, vers le 06, et qui prendrait au moins deux semaines pour servir les bénéficiaires.

Les animateurs et enseignants se plaignent également du retard mis dans l’acheminement du matériel didactique devant les servir dans leurs activités. «Ils nous ont dit (l’Unicef, ndlr) que c’est déjà à Batouri», affirme Joseph Ngaré, délégué des enseignants de Timangolo.
Pour ne pas laisser le doute dans l’esprit de la mission d’Echo et des journalistes, au lendemain du séjour à Timangolo, le responsable de la logistique d’Unicef, Armel Koung Bial, nous conduira à Belabo, où se trouve le grand magasin du Fonds, pour témoigner de la présence du matériel didactique pour les enseignants et des centaines de kits éducatifs et récréatifs pour les élèves. Ils commenceront avec le matériel en septembre, assure-t-il.
Petite erreur d’appréciation à souligner: le délégué des enseignants à Timangolo nous fait remarquer que l’Unicef a commandé des cahiers destinés à des élèves de niveau Cours moyen 2 (CM2) pour des enfants qui ne savent pas encore lire et écrire et qui commencent à peine le primaire. «Alors qu’il leur faut les doubles lignes», s’étonne-t-il.
Même si elle n’a pas pu voir ce qui se fait à Lolo et Mbile (deux autres camps de réfugiés à l’Est), et dans la communauté hôte de Kette, Keme Etame Rose – gestionnaire de programme au bureau Cameroun de la direction générale d’Echo – a conclu la descente sur le terrain sur une note positive, après avoir écouté les différentes parties prenantes à cette activité qui enrichit le séjour des réfugiés centrafricains en terre camerounaise.
