Régine Levrat: Géographe passionnée du Cameroun, elle a consacré sa thèse à la culture du coton et a publié 3 ouvrages

Elle a présenté son dernier livre hier 28 octobre au CCF de Douala et a accepté de répondre à nos questions

Votre histoire avec le Cameroun a commencé en 1967! Comment arrivez-vous au Cameroun ?
Je suis arrivée au Cameroun après quelques années dans l’enseignement privée, immédiatement après avoir passée le concours de l’agrégation. J’ai alors demandé un poste, dans le cadre de la Coopération, en Afrique et plus précisément au Cameroun sur le conseil d’un cousin. J’avais depuis mon adolescence un grand désir de venir en Afrique. J’ai d’abord été nommée au lycée Leclerc puis très vite à l’Université où je suis restée en poste jusqu’en 1979.

Quels souvenirs gardez-vous de votre long séjour au Cameroun?
Un excellent souvenir : mon travail avec les étudiants, la collaboration avec les collègues, en majorité français au départ, puis de plus en plus africains. C’était une époque où nous avions vraiment le sentiment d’être utiles, ayant pour tâche de former ceux qui nous ont remplacés progressivement. Je me suis fait également de précieux amis, en particulier une famille, ma famille camerounaise chez qui je suis revenue régulièrement.. Il n’y a pas que le souvenir ; il y a également toute l’expérience acquise. Vous savez que le Cameroun est un résumé de l’Afrique et je suis géographe. Alors, lorsque je suis revenue à Lyon, ma ville d’origine, où j’ai eu un poste à l’Université Lyon 2, j’ai pu profiter de cette expérience (et de mes diapositives) dans le cadre de mes cours de géographie humaine et plus particulièrement de Géographie de l’Afrique sub saharienne. J’ai eu en effet la chance d’assurer pendant près de trente ans des cours sur cet ensemble, soit à des étudiants de différents niveaux, soit dans le cadre de conférences s’adressant à des publics divers.

Vous avez fait une excellente thèse sur la culture du coton au Nord-Cameroun, culture introduite en 1950 par la Compagnie française de développement des fibres textiles (CFDT) devenue aujourd’hui SODECOTON. Soixante ans après son introduction, qu’est-ce que le coton a apporté aux populations du Nord-Cameroun?
Beaucoup plus qu’on ne peut le penser à première vue, même s’il y a eu des difficultés. Le coton a pu être considéré comme la locomotive du développement rural de toutes les zones de plaine où il était cultivé. Ce n’est pas sans raison que la Sodecoton a été dès l’origine société cotonnière et société de développement rural, même si ce statut peut être délicat. Le coton a été la principale source de revenus des producteurs (300 000 avant la crise récente), et bien sûr des salariés permanents (environ 2 000) sans oublier les saisonniers. Il a permis l’amélioration du système de culture grâce à celle des façons culturales, au progrès de la mécanisation, principalement par la diffusion de l’attelage, enfin grâce à l’engrais coton. Les effets indirects sur le développement de la région sont également considérables. Les revenus du coton alimentent le commerce : pagnes, équipement de la maison et d’exploitation (charrue, pouss-pouss, bicyclettes, motos, postes radio et TV.) et permet aux cultivateurs de se soigner et d’envoyer leurs enfants à l’école. Le coton est primordial dans l’activité des transporteurs (routiers, chemin de fer) des banques. Il a permis de limiter et orienter l’exode rural par la création d’usines d’égrenage. Enfin, il a permis la migration de dizaines de milliers de familles de l’Extrême Nord surpeuplé vers le Nord dont il a largement contribué à la mise en valeur, mouvement appelé à continuer. N’oublions pas la production d’huile et de tourteaux, apport important à l’économie nationale, pour ne pas parler de l’industrie textile guère concurrentielle actuellement. La crise de ces dernières années avec ses répercussions économiques et sociales dramatiques a montré ce qui se passe lorsque le moteur est en panne .

Un mot sur le séminaire de Géocoton tenu à Paris il y’a quelques jours (11 au 15 octobre 2010) et où vous avez intervenu comme expert
Géocoton est la Société qui a succédé à la CFDT (devenue entre temps Dagris). Ce séminaire a regroupé des cadres de la plupart des sociétés cotonnières de la zone franc. Son thème était : « La Relance Durable des Productions en Zone Cotonnière : Outils et Stratégies », thème qui avec celui de l’année dernière consacré à la diversification des productions, manifeste la volonté de Géocoton et des Sociétés cotonnières de la zone franc de ne plus miser uniquement sur le coton comme culture d’exportation dans les régions de savane. Ma communication qui ouvrait ce séminaire a été consacrée à La succès story du coton en Afrique subsaharienne et la crise : la recherche de nouveaux modes de développement mieux adaptés à la mondialisation. Comme vous le voyez, on peut vraiment parler d’un succès de la culture cotonnière qui a progressé de façon spectaculaire en Afrique Occidentale, au Tchad et au Cameroun, faisant de celle-ci le principal moteur du développement. Cependant, il y a des revers que la crise récente a contribué à mettre en évidence. On a trop misé sur le coton, ce qui a entrainé une grande dépendance par rapport à ce produit, pour les paysans comme pour les régions et les pays producteurs. Le coton, par ailleurs, a aggravé les problèmes de dégradation des sols (érosion et usure), et aussi le problème foncier, problème crucial dans de nombreuses régions du Nord Cameroun, c’est-à-dire le droit des paysans à disposer durablement de la terre qu’ils cultivent (problème de la toute puissance des chefs). Ces problèmes sont largement liés, car comment demander à un cultivateur de consacrer l’argent et l’énergie nécessaires à entretenir de façon durable une terre qui peut lui être retirée à tout moment ?

Au cours de ce séminaire vous avez également débattu de la problématique de nouveaux modes de développement. Est-ce que vous pensez que le Coton Africain est encore concurrentiel sur le marché mondial au regard des politiques mises en place par les pays industrialisés comme les Etats-Unis ?
Il est nécessaire de diversifier les productions, ce qui nécessite la création de nouvelles filières qui permettent d’assurer la transformation et la commercialisation d’autres cultures. Il est indispensable que les cultivateurs soient assurés de pouvoir vendre toute leur production, et ceci à un prix qui leur garantisse un revenu suffisant. Au Cameroun, une filière soja est mise en place ; ce produit convient bien aux régions de culture du coton, tout en étant moins exigeant que celui-ci ; il est apprécié par les populations, et répond à une demande d’huile et de tourteaux tout en permettant de faire fonctionner les huileries construites pour le coton.

Régine Levrat, géographe passionnée du Cameroun
Journalducameroun.com)/n

On se rend compte que tout n’est pas rose dans la filière coton et que quelque chose mérite d’être fait. Quelles sont les alternatives que vous préconisez ?
Il ne faut pas parler vraiment d’alternative, sauf dans les régions où la pluviométrie est trop aléatoire pour garantir une bonne productivité du coton, mais de cultures commerciales complémentaires. Le coton africain peut être concurrentiel : il bénéficie de vastes espaces où sa culture peut être pratiquée sous pluie (sans irrigation), de producteurs habitués à ses techniques et pas trop exigeants (par rapport à d’autres) au niveau de la rémunération ; enfin sa cueillette manuelle est une garantie de propreté par rapport au coton cueilli mécaniquement. Il faut miser sur un coton de qualité et chercher à le vendre à sa juste valeur ce qui nécessite une politique de label qui est de plus en plus mise en uvre. Il faut également mettre en place une politique de restauration et de conservation des sols, ce qui demande des investissements coûteux et la résolution du problème foncier. Cela nécessite une politique sans concession aux intérêts d’une minorité. Se pose enfin le gros problème international de la politique de subventions de la culture du coton des pays gros producteurs, en particulier les Etats-Unis, (où près de la moitié du revenu des producteurs provient de subventions) et aussi la Chine. Impossible d’être concurrentiel dans ces conditions. Il est indispensable actuellement que le coton africain bénéficie de subventions. Les Etats africains, dont le Cameroun, commencent à le comprendre et subventionnent depuis peu les engrais dont le coût croissant oblitère le revenu des producteurs et les découragent d’y avoir recours.

Est-ce que vous pensez que les banques peuvent jour un rôle important dans l’exportation du coton ?
Les banques ont d’abord un rôle de crédit. Celui-ci est indispensable, du fait des investissements considérables que nécessite la production de fibre et de la durée qui s’écoule entre la mise en place de la culture et la vente de la fibre (environ 18 mois). Il faut assurer un crédit aux producteurs (engrais et autres intrants, et de plus crédit d’équipement), et à la société (usinage, transport, commercialisation).

Régine Levrat, vous êtes également un auteur prolifique avec déjà 3 ouvrages à votre actif dans le domaine du coton, j’aimerais qu’on s’arrête sur le deuxième qui est paru en 2009 intitulé : Le coton dans la zone franc depuis 1950 : un succès remis en cause, juin 2009. Selon vous qu’est-ce qui a remis en cause le succès de la filière coton en Afrique ?
Principalement le problème de l’injustice du commerce international, sans parler de celui de la privatisation forcée des sociétés cotonnières sous la pression de la Banque mondiale ; seul le Cameroun a pu résister et a pu sauvegarder sa filière, notamment son intégration depuis la production de coton-graine jusqu’à la commercialisation de la fibre et de l’huile. Ajoutons, pour terminer sur une note optimiste que toute crise peut être le point de départ d’un nouveau démarrage sur de meilleures bases. La remontée spectaculaire des cours de la fibre peut contribuer à faire les investissements nécessaires à ce renouveau.

3 ouvrages signées Régine Levrat
http://www.editions-harmattan.fr)/n