Sous la pression des bailleurs des fonds internationaux, notamment le FMI et l’Union Européenne, le ministre des Finances a levé le blocus que Daniel Mekobe Sone et Luc Ndjodo avaient décrété sur le travail d’investigation de la chambre des comptes. Le ministre Laurent Esso mis à contribution. Une enquête du journal Kalara.
Alors que les regards des camerounais étaient rivés depuis mars 2021 sur la Chambre des comptes de la Cour suprême du Cameroun, où était attendu la publication du rapport d’audit de la gestion des fonds publics mobilisés en 2020 par le gouvernement dans le cadre de la lutte contre la maladie à Covid-19, c’est finalement le ministère des Finances qui a pris sur lui de rendre public le document tant attendu.
C’est en effet sur le site de ce ministère et sur le site de la direction générale du Budget qu’a été publié le document de 170 pages le 16 novembre 2021 en matinée. L’information n’a pas tardé à se propager aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, devenant virale sur les réseaux sociaux.
Dès le lendemain 17 novembre 2021 à 22h12, M. Angham Al Shami, responsable de la communication du Fond monétaire international (FMI) saluait l’événement dans un mail adressé à la communauté des observateurs des activités de l’institution. « Nous tenions à vous signaler que le Cameroun a publié sur le site du ministère des Finances le rapport d’audit des dépenses Covid-19. La promotion de la bonne gouvernance reste une partie essentielle de l’engagement du FMI avec le Cameroun et ceci est conforme aux engagements pris dans le cadre du financement d’urgence du FMI », s’est-il félicité. On le voit : la publication du rapport était très attendue auprès des partenaires stratégiques du Cameroun…
Si bien que tardive, la publication du rapport d’audit de la Chambre des comptes a fait le buzz un peu partout, c’est moins par son contenu que du contexte de l’événement. En effet, depuis la troisième semaine de juin 2021, une synthèse du rapport avait fuité avec l’intégralité des recommandations faites par l’auditeur ainsi que les constatations des juges des comptes sur les « cas avérés de mauvaises pratiques et de détournements ».
Les partenaires stratégiques
Depuis lors, qu’est-ce qui peut justifier que le rapport d’audit ne soit rendu public que le 16 novembre par le Minfi en plus, et de façon, quasi confidentiel ? Selon les informations recueillies auprès de sources bien informées, c’est la pression exercée par «les partenaires stratégiques» du Cameroun ayant participé à la mobilisation des ressources financières destinées à la lutte contre la Covid-19 qui sont à l’origine de cette situation pour le moins inédite.
Interface du gouvernement dans sa relation, notamment avec le FMI et l’Union Européenne (UE), le ministère des Finances a dû se laisser aller à un dépassement de fonction pour obtenir et rendre public le rapport d’audit de la chambre des comptes.
Un haut responsable judiciaire sollicité par Kalara explique que M. Louis Paul Motaze, le ministre des Finances, s’est adressé dans un premier temps à M. Yap Abdou, le président de la Chambre des comptes, dans le but d’obtenir le rapport et le rendre public. Devant la réticence du haut magistrat à donner suite aux attentes du Minfi, ce dernier s’est finalement adressé au ministre d’Etat, Laurent Esso.
Et c’est auprès du Garde des sceaux que le Minfi a obtenu le rapport d’audit rendu public. En fait, au lendemain de l’adoption du document, plusieurs exemplaires avaient été mis à la disposition de la Chancellerie. Le problème, c’est qu’au moment de la publication du rapport d’audit de la chambre des comptes sur divers sites internet du Minfi, du 16 novembre dernier, le document est frappé d’embargo.
Et pour cause, le premier président de la Cour suprême et le procureur général près de cette haute juridiction, en avaient décidé depuis cinq mois ainsi alors qu’une «séance plénière spéciale» de l’Assemblée nationale était programmée le 25 juin 2021 en vue de la présentation, par la Chambre des comptes, de son rapport annuel et du fameux rapport d’audit de la gestion des fonds Covid au cours de l’exercice 2020.
Officiellement, les deux têtes couronnées de la Cour suprême ne souhaitent pas que les juges des comptes commentent de quelque façon que ce soit, y compris devant les députés, le rapport d’audit, qui est dans le cas d’espèce une décision judiciaire ayant fait l’objet d’une délibération en bonne et due forme.
Malversations financières
La semaine dernière, la Chambre des comptes a envisagé de relancer le processus de publication par ses propres soins de son rapport, bien que celui-ci soit déjà diffusé par le Minfi. En l’absence du premier président de la Cour suprême, M. Daniel Mekobe Sone, qui est éloigné du Palais de justice depuis de longues semaines pour cause de maladie, le procureur général près de la haute juridiction doit décider de la conduite à tenir.
Pour l’instant, c’est le statut quo. Mais les magistrats de la haute juridiction des comptes ne se tournent pas les pouces. Ces derniers travaillent à la production d’un nouveau rapport d’audit concernant toujours la gestion des fonds Covid-19 pour l’année 2021 et certains aspects de la gestion des fonds publics…
Rappelons que le rapport d’audit de la Chambre des comptes sur la gestion des fonds en 2020 est au centre d’une polémique née en mars 2021, bien avant que le document définitif soit adopté. Sur la base d’un draft non signé de l’équipe des auditeurs parvenus de façon informelle à la présidence de la République. Ce dernier ayant ordonné aux gardes Sceaux, via le secrétaire général à la présidence de la République, l’ouverture d’une enquête judiciaire, d’autant que plusieurs membres du gouvernement étaient suspectés de s’être rendus coupables de malversations financières.
D’abord entourées de publicité, les convocations des suspects par le corps judiciaires du Tribunal criminel spécial (TCS) en vue de leurs auditions étaient devenues discrètes, puis s’étaient estompées. Depuis la transmission du rapport final au ministère de la Justice, nul ne sait le sort qui lui est réservé.
A titre d’information : la transmission au ministère de la Justice d’un rapport d’audit de la chambre des comptes mettant en exergue des faits criminels ou délictueux constitue une plainte pour le compte de l’organe audité. C’est le cas du rapport publié le 16 novembre par le Minfi.