Par Henri Georges Minyem Président du Lcn (Le Cameroun Nouveau)
J’ai effectué un séjour d’un mois au Cameroun au cours duquel je me suis enquis de la situation sociale et économique des Camerounais. Faire ce distinguo implique d’emblée une dichotomie dans l’analyse des données macro économiques telles qu’on les appréhende sur le plan littéraire et relativement théorique, parfois avec un léger décalage quant à la perception qu’en ont les acteurs sociaux, soumis aux contingences des décisions politiques et aux nécessités vitales du quotidien. C’est donc prendre en compte un ensemble de critères micro économiques et les analyser non plus en fonction d’une moyenne qui en extirperait le sens caché, mais bien en partant des constats individuels pour se prêter à une analyse qui soit le reflet le plus évident de la vie des peuples.
En effet, considérer que le Cameroun va bien parce que l’on a constaté que dans l’ensemble les chiffres de l’économie se tiennent, c’est occulter une réalité fondamentale : les chiffres ne valent que s’ils sont conformes à la réalité du terrain et à la perception qu’en ont les acteurs. Et de fait, le pouvoir d’achat dont on sait qu’il est le résultat d’un calcul n’a de sens que si les acteurs économiques peuvent confronter leur réalité à celle qui est véhiculée par les chiffres.
SOYONS CONCRETS.
Je suis allé faire mes courses au marché et j’y ai acheté un kg de viande sans os à 3000F CFA, et deux poissons capitaine à 3000 FCFA (ce qui nous donne 1 poisson à 1500 FCFA). En d’autres termes, cette illustration est celle d’un relatif bien-être pour quelqu’un dont le salaire mensuel se situe autour de 100 000 FCFA, ce qui sera le cas d’un agent de maîtrise de la 8è catégorie au sein d’une société d’Etat, voire même celui d’un fonctionnaire de la catégorie A de la fonction publique.
Répétons à dessein que dans cette catégorie, à savoir les agents de la fonction publique, il y en a environ 170 000 et ceux du secteur privé structuré, environ 800 000 au Cameroun, pour une population active de 5 millions de personnes environ. Il y a donc 4 millions de Camerounais qui vivent d’expédients et au sein desquels on retrouve toutes sortes de situations allant de l’informel pur, à du travail au noir, dont synonyme de dissimulation de gros revenus, aussi bien que des personnes en extrême précarité.
Si l’on y adjoint les jeunes en échec scolaire, l’on arrive à une situation explosive du fait même de l’hétérogénéité de cette population. Cette extrême fragmentation d’une catégorie sociale ne doit aucunement nous faire oublier les impératifs qui sont ceux d’un Etat de droit, à savoir, l’harmonisation socioéconomique d’un ensemble de données hétérogènes. Ce qui suppose un classement de la population selon des critères de convergence qui en constituent les bases de la segmentation. Comment peut-on en effet bâtir une politique ciblée digne de ce nom si l’on continue à considérer la moitié du corps social comme faisant partie du secteur informel ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce par défaut ? Par incapacité de pouvoir les classifier ? Est-ce par manque d’instruments réglementaires ? Est-ce par démission politique ?
Ces constats préliminaires seraient superflus s’ils ne me permettaient une opposition frontale avec une propagande officielle du RDPC sur le bilan de notre président depuis 29 ans. Le Seigneur d’Etoudi apparaît comme l’idéal économique auquel aspirerait tout prétendant à la magistrature suprême dans notre pays, une sorte d’incarnation anthropomorphique du surhomme Nietzschéen dont la sphère d’efficience serait un domaine de définition croisée entre efficacité économique et prodigalité sociale.
Napoléon Bonaparte disait que : la haute politique c’est du bon sens appliqué aux grandes choses. Parfois, il me semble que ce bon sens a quitté le Cameroun depuis belle lurette.
SUR LE BILAN ECONOMIQUE DE PAUL BIYA
J’ai lu les grandes ambitions économiques de Paul Biya en forme de bilan et je n’ai pu m’empêcher de remarquer la duplicité légendaire de l’homme et de ses portraitistes une fois de plus.
En effet, les actes forts avancés à son crédit sont la diminution de l’encours de la dette extérieure du Cameroun qui serait passée de 105% du PIB en 1994 à 42% e 2004 et 9% en 2010 en omettant de signaler que ces chiffres sont faux et archifaux car en 2004, nous n’avions pas été acceptés dans l’initiative PPTE et donc notre dette extérieure n’avait pas été apurée. De fait, notre ratio Dette/PIB était de plus de 110%. Une fois que les créanciers multilatéraux épongent la dette extérieure, certains (tels la France grâce aux C2D la remplaçant par des nouveaux contrats juteux), il est bien facile de se gargariser d’une bonne tenue économique, vous ne croyez pas ?
Dans le même article, les panégyristes attitrés du RDPC, fervents zélateurs de l’immobilisme vantent :
. les réformes du secteur bancaire dont je rappelle que 3 banques se partagent 86% du marché et que les établissements de microfinance n’ont jamais été aussi peu nombreux ; je réitère que dans l’ensemble des économies sous-régionales, l’on a environ 423 comptes pour 1000 habitants là où au Cameroun, la moyenne est à 35,5% pour 1000,
. la réforme fiscalo-douanière qui soit-dit en passant se borne au guichet unique quand l’on sait pertinemment que ce dernier sert surtout de caisse enregistreuse, puisque l’essentiel des transactions se fait avant et après la sortie des produits du port notamment, ce circuit parallèle alimentant une corruption déjà endémique et institutionnelle,
. la lutte contre la corruption avec une multiplication des organismes et autres sigles de luttes contre la corruption en lieu et place d’une réelle réflexion sur les facteurs d’alimentation de cette gangrène qui de sociologique est entrain de se transformer en pratique naturelle dans un environnement culturel délétère. Ici se mêlent paupérisme, insolence de la richesse de quelques-uns et profond incivisme des fonctionnaires convaincus d’obtenir juste rétribution de leurs services en lieu et place de charges afférentes à leur mission de service public. L’usager, dès lors convaincu de l’avancée rapide de son dossier dissimule son avarice derrière ce billet de 1000 FCFA qui est garant de 2 corollaires sociologiques : il croit détenir le pouvoir sur celui qui l’accepte (bien souvent le fonctionnaire car dans le privé, la régulation serait plus aisée puisqu’il y a concurrence), déséquilibrant la relation à son avantage et garde une bonne conscience devant un acte qu’il impute à l’autre ; ainsi se diffusent en nous les germes de la corruption quotidienne que je qualifie souvent d’actes d’incivilité permanente. Il ya des solutions et je les invoque en profondeur dans le programme du LCN (www.lcn-cameroun.org)
. l’amélioration du climat d’investissement ; j’avoue avoir du mal avec les affirmations gratuites en économie. De fait, l’économie ne se nourrit pas d’incantations mais de chiffres qui sont parlants et le reflet de la vie réelle d’un collectif au sein d’un circuit de production. Alors, quand un journaliste ou un louangeur avance qu’il y a amélioration du climat des affaires, j’ai envie de lui demander en termes concrets, ce que cela signifie car je suis resté sur des chiffres qui ne témoignent pas d’un réel dynamisme de notre environnement socio-économique. Ainsi en est-il de la pression fiscale chez nous qui est largement au-dessus des 110% avec la pléthore de taxes que les Camerounais subissent tous les jours (TVA, IS, CAC, IRCM, IRPP, TSPP, etc.) ; Si toutefois l’on parle de la suppression des droits de douane, alors, le mérite ne nous revient pas vraiment, il me semble mais aux APE,
. Et puis j’ai aussi lu que grâce à notre président Paul Biya, il y avait une promotion du secteur privé comme moteur de la croissance. J’ai beau chercher, je ne vois aucune disposition macro économique ou fiscale qui ait été à même de produire un tel miracle.
En effet, regardons sereinement les chiffres : le budget 2010 n’a pas été bouclé faute de liquidités donc les dépenses ont été revues à la baisse, par manque de recettes ; des charges d’exploitation notamment le règlement de salaires à la SONARA ont été réglée par des tirages spéciaux ; de plus, les projets dits structurants n’ont pu être ébauchés qua grâce à un emprunt d’Etat rémunéré à 5,35% et ayant recueilli 202 milliards de FCFA. Franchement, on ne lance pas un emprunt obligataire si l’on est pourvu de liquidités, ça se saurait ! Pire encore, les investissements issus de ces emprunts doivent être des dépenses d’investissement, c’est-à-dire qui n’entrent pas dans le fonctionnement des administrations, mais plutôt des dépenses en capital. Or à quoi assiste-t-on ? D’abord à une reconstitution de notre dette puisque en parallèle de chantiers dont nous ne voyons pour le moment aucune retombée économique (ce sont des investissements de capacités qui requièrent 4 à 5 ans avant de se transformer en investissements de productivité), l’Etat a engrangé des recrutements de fonctionnaires qui alourdiront à coup sûr le train de vie de l’Eta comme ce fut le cas en 1985 et 1986. J’ai donc beau chercher, je ne vois pas part quel mécanisme le secteur privé été moteur de croissance, si l’on y adjoint que le ministre du commerce extérieur déplorait encore en 2010 le manque de compétitivité des entreprises camerounaises !!! Ou alors, la multiplication de stations TRADEX dont une partie du capital (quelle partie ?) est détenue par la SNH et le reste par des partenariats nationaux et étrangers. Vous parlez d’une merveille ! Le conseil d’administration de cette société qui essaime des stations dans tout le Cameroun a été jusqu’à introniser un illustre inconnu à la tête de la société, un certain Perrial Nyodock qui sert de faire-valoir à des intérêts occultes. Mais le plus ubuesque ce sont les comptes d’affectation des produits de cette société à capitaux camerounais qui utilise des dépôts pétroliers camerounais puisque ravitaillée par la SCDP ! Qui en compose le capital ? Où va l’argent des Camerounais et la rémunération des actionnaires se fait à quelle hauteur ? Peut-on seulement envisager une cour des comptes qui permettrait de réguler des aberrations institutionnelles comme celle-là ???
POUR L’HOMME DE LA RUE, PAUL BIYA A APPORTE 3 PRINCIPALES RICHESSES AU CAMEROUN : LES CALL-BOXES, LE PMUC ET LES BEN-SKINS
. La lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale,
Sur ce dernier point, j’aimerais juste faire remarquer aux publicistes qui font les dithyrambes de Paul Biya, que lorsque des journalistes mentent éhontement au peuple par leurs propagandes malsaines, c’est au mieux de l’incompétence intellectuelle, au pire, c’est de la complicité de falsification de données publiques passible de peines lourdes car, alors, un il averti ne saurait accepter des contre-vérités autant ostensibles qu’absurdes. Le taux de pauvreté monétaire du Cameroun qui culmine à 39,9% d’après les mêmes enquêtes ECA est à un niveau extrêmement élevé, notre IDH est au même point et il suffit de se promener au sein de notre triangle national pour mesurer l’extrême ignominie de déclarations fortuites aussi fantaisistes.
. Et l’on me parle d’un taux d’inflation à 1,1% en 2010 sur la période 2007-2010, inférieur au critère de convergence Cemac de 3%
En quoi cette donnée est-elle significative ? La maîtrise de l’inflation n’a jamais été signe de richesse mais de maîtrise des prix et accessoirement d’adéquation de la demande avec les capacités de production. Or, si nous importons des produits pour satisfaire la demande publique, nous maîtrisons l’inflation sans pour autant que nous soyons riches. De plus, comme nous ne faisons pas de création monétaire (puisque la planche à billet se trouve au trésor français), l’inflation est une des préoccupations des autorités de tutelle que sont la Banque de France avec les 2 administrateurs français qui siègent à la BDEAC et à la BCEAO. De fait, un FCFA créé engendre de l’inflation en zone euro, ce que les Européens ne sauraient tolérer, ce qui en fait une priorité macroéconomique,
o Et puis, la relance du secteur agricole, puisque en 2010 le secteur agricole aurait contribué pour 19% du PIB. En fait, cette affirmation ferait sourire si la situation n’était pas aussi grave qu’elle n’y paraît. On nous parle de multiplication par 5 de la production de maïs, d’huile de palme, etc.Mais se rend-on seulement compte que nous parlons du principal secteur pourvoyeur de main d’ uvre au Cameroun ? Et qui ne participerait qu’à hauteur de 19% du PIB ?
o Tiens, réfléchissons ensemble.Si l’agriculture constitue 19% du PIB, l’industrie 17%, cela signifie que les services constituent pour près des 2/3 de notre PIB. Je vous pose juste la question de savoir de quelle industrie nous parlons. Les services à haute valeur ajoutée ou alors le service de subsistance, vous savez comme le bâton de manioc que l’on vous propose sur l’axe lourd, ou du mintoumba, ou du poisson, du call box, ou de manière générale le petit commerce dans lequel se sont convertis tous les débrouillards camerounais au point que certains n’hésitent plus à dire tout haut que Paul Biya nous a apporté 3 principales richesses au Cameroun : Les call-boxes, le PMUC et les Ben-Skins.
Voilà le bilan économique de Paul Biya en 29 années de pouvoir et toutes ses man uvres de fin de règne ne masqueront pas le marasme socio-économique dans lequel il a plongé le Cameroun. Nul intérêt à vanter ses qualités de stratège ou de visionnaire car il n’en est pas un ; Notre président est le prototype d’un parfait anachorète tropical qui s’est cherché durant tout son règne et qui a excellé dans une gestion politicienne particulièrement astucieuse avec pour finalité de se maintenir au pouvoir. Est-ce donc ça la finalité du pouvoir ? S’accrocher à tout prix, à tous les prix en lieu et place du service de son peuple ?
Je vais peut-être finir par le croire.
Tiens, je n’ai aucun doute que Paul Biya va être réélu dans quelques jours, mais, cette évidence ne me dissuadera pas de dire mes vérités sur sa gestion socioéconomique car j’ai des comptes à rendre à mon peuple, pas à lui qui n’a d’existence que par ce peuple.
