«Messieurs Achile Bembé et Célestin Monga, apprenez à vous taire parfois!»
Comme d’habitude, les censeurs, maîtres improvisés de la conscience collective et gestionnaires grandiloquents de l’intelligence de circonstance, ont trouvé une autre occasion rêvée, celle qu’offre si heureusement ou si malheureusement la grave crise qui divise la Côte d’Ivoire et hébète inutilement le continent, pour se porter au devant de la scène. Cette habitude de sortie en forme de leçon inaugurale et de pilule magique, ne date donc pas d’aujourd’hui. Nous ne les connaissons que trop bien, et en retour, ils n’ont que trop bien conscience, des ravages de leurs prétentions d’omniscience sur la formation de la conviction, de quelques esprits faibles (l’Afrique hélas en regorge à profusion). Il ya longtemps qu’il est établi, que le premier complexe du nègre est construit par le nègre lui-même, dans cette mauvaise projection de sa vérité qui tend à bâtir sa force, sur son éloignement de sa base première. Jadis les retours de métropole n’étaient-ils pas célébrés dans des fêtes grandioses qui gratifiaient de parfaits fainéants et d’insignifiants individus, de toutes les vertus des pouvoirs ? Ce qui était fait, dit, trouvé, constaté ou programmé localement comptait peu. Ce qui venait de l’au-delà des mers et des océans, portait la marque immédiate, automatique et incontestable de la raison, de la prééminence. Au nom de ces attitudes bêtes et déplorables, des fanfarons, des farfelus, des charlatans et des escrocs en très grand nombre, ont pris en otage les outils de valorisation et d’expression de nos repères culturels, sociaux et politiques durant plusieurs décennies.
C’est bien dommage pour nous, car il semble que la meilleure posture dans les calculs de positionnement personnels, soit toujours, explicitement ou implicitement, l’exil volontaire, l’exil prononcé et pratiqué selon des sentences arbitraires qui voudraient que le pays d’origine soit un enfer invivable. Pauvres cons d’Occidentaux qui se laissent ainsi abusés grossièrement, par tant de réfugiés politiques imaginaires, par tant de journalistes qui clament qu’ils sont oppressés à partir de montages enfantins. Toutes ces petites combines ont offert à quelques partis politiques vides d’idéologies et de militants, une fortune facile, consistant à délivrer à des voyous sans considération pour les tombes de leurs parents et grands parents, le certificat d’opposant traqué, puis le sauf conduit subséquent pour un visa. Dans le cas d’espèce, il nous revient avec certitude, que les génies se sont réveillés, tardivement comme souvent, pour annoncer la vérité sur le cas d’un troublant brasier, dire l’équivalent d’une messe pontificale en quelque sorte. Sauf que à la différence du maître de la souveraine église catholique romaine, lequel n’utilise jamais que la place Saint Pierre pour une aussi forte séance de communion et d’éducation avec ses fidèles, nos chefs ne choisissent ni Dakar, ni Abidjan, ni Lagos, ni Tripoli, ils sont tapis chez autrui, à Londres, Paris, New York ou Montréal.
Parlons donc de cette crise de Côte d’Ivoire
Nos grands et intouchables manitous, racontent une histoire à dormir debout, juste pour aboutir à trancher en faveur de personne, à contenter tout le monde, à plaire à toutes les parties. Ils ont tellement le souci de se ménager une place dans toutes les gauches et dans toutes les droites, qu’ils ne peuvent présenter l’Afrique et les Africains autrement, que comme des monstres hors de toute logique cartésienne, sans principes, sans dignité vraiment. Tout serait possible chez nous, des diables à table avec des Saints, des perdants toujours glorifiés et adulés au nom d’une familiarité ancestrale et bien unique. D’un pouvoir résultant de majorités dans les urnes, ils n’en n’auraient qu’aversion, car après tout, la famille compte ici. Ils aboutissent à nous dire, que le vainqueur des urnes ne compte pas, et qu’on peut se passer du premier, pour arranger autrement. Voilà l’image parfaite d’un monde sans principes ni cohérence. Ils sont allés étudier et se former en Occident, mais n’en n’ont rien tiré, gardant leurs traditions de méprise du mérite et de la compétence, au nom de fraternités obscurantistes. Ouattara a gagné, mais on peut faire autrement. Voilà ce que recommandent, malicieusement, messieurs Bembé et Monga, en s’insurgeant contre ce qu’ils appellent les majorités. C’est grave. Mais alors, la curiosité, l’insensé, la surprise sublime, c’est de découvrir chez ces grands professeurs tous au sommet de leur art, l’incapacité ou le refus de structurer une démarche de dénonciation. Non, nous ne convoquons pas ici un exercice de notation anticipé. Nous ne croyons pas non plus, que le travail du magistrat, relève d’une science si compliquée. Le juge se livre simplement à un exercice de logique démonstrative et factuelle qui veut qu’avant d’arrêter sa conviction, il ait préalablement présenté les faits et établi le rôle et la responsabilité de chaque acteur. C’est après tout, une démarche qui procède de la plus banale des déontologies dans la didactique. S’en écarter dans le cadre d’un récit circonstancié, est malhonnête, à moins qu’il ne s’agisse d’incompétence avérée. Non, pas ceux-là, car ils sont trop bien rodés et calés, pour échouer à une épreuve de cas pratique.
A – Les faits que vous ne voulez pas étaler
Les lendemains des obsèques du premier président de Côte d’Ivoire, avait donné lieu à quelques remous de succession vite maîtrisés et oubliés. Mais lorsque Bédié Konan s’installe au pouvoir, son premier voire son unique souci ne sera pas de poursuivre l’ uvre de son illustre prédécesseur. Pour toux ceux qui ont connu, pratiqué et vécu le pays à l’emblème de l’éléphant à cette époque, une seule chose préoccupait le président : contenir, écarter, éloigner et au besoin anéantir Alassane Dramane Ouattara. Si Le Vieux avait fait preuve d’habileté et su maintenir un relatif climat de confiance entre les différentes communautés ethnoculturelles du pays, usant de la politique d’ouverture et de modernisation tout azimut pour éclipser la différence nord-sud, Bédié va se montrer immédiatement d’une insoutenable maladresse. De façon ouverte, le président va créer tout un mouvement culturel réactionnaire construit autour de quelques grands intellectuels, pour faire de la notion de l’ivoirité, le principal centre d’intérêt politique interne. Bien évidement personne n’est dupe, car tout le monde, à l’intérieur et à l’extérieur, comprends qu’il s’agit de bloquer ADO par tous les moyens. Voilà comment très vite, tout le nord du pays se sent indexé, provoqué et exposé à toutes les exclusions et à moult humiliations. Au sein même de la présidence, une équipe de hauts cadres, juristes et politologues, est chargée de maintenir la flamme, de conduire la guerre froide. Au moins cinq quotidiens sont crées pour les besoins de la cause. Il importe de rappeler, afin que nul ne se trompe, que la notion d’ivoirité n’est pas l’invention de Bédié, mais de Gbagbo. En effet c’est lorsque Houphouët choisi Ouattara comme premier ministre, que le chef de l’opposition qui est alors le professeur d’histoire Laurent Gbagbo, émet des doutes sur son ivoirité, et installe cette sottise dans l’esprit des ivoiriens. Sous Bédié donc, l’exclusion et la marginalisation du nord s’accélère et prend plusieurs formes. Dans tous les secteurs et dans tous les actes de la vie publique, les ressortissants du nord du pays sont victimes de perturbations et de brimades préméditées. Les frustrations s’accumulent avec une volonté ouverte de créer des vexations, de la provocation. Dans l’armée, les officiers du nord sont épiés, affectés à des postes moins prestigieux, surveillés méticuleusement. Le général Palenfo, le plus haut gradé du nord, est l’objet de moult intrigues, accusations diverses y compris celle de préparer un coup d’Etat. Les jeunes du nord rencontrent les pires difficultés à décrocher une bourse. En réalité, ce sont tous les musulmans du pays, qu’ils soient nationaux ou étrangers, qui subissent des brimades au quotidien. L’air est pollué à Abidjan et la plupart des notes diplomatiques signalent la dégradation de la situation, avec une accélération du tribalisme.
C’est dans ce contexte qu’intervient le coup d’Etat de Décembre 1999 n’est une surprise que pour ceux qui percevait le pays de l’extérieur. Il est fondamental de signaler que je séjourne en Côte d’Ivoire en juin et juillet 1999. A mon retour au Cameroun, je commets un article au titre sans équivoque : « Côte d’Ivoire, la deuxième mort de Houphouet Boigny ». Je conclu mon analyse en prédisant que le pays explosera avant le début de la nouvelle année. La suite des événements m donnera raison, puisque le coup d’Etat se produit en décembre 1999. Mais qui fait le coup d’Etat ? C’est l’ uvre de jeunes officiers du nord mécontents de la marginalisation dont ils sont victimes. Ces enfants étaient pour la plupart en totale disgrâce, dés uvrés pour certains car abandonnés sans affectation. Intelligents, ils vont chercher un des plus prestigieux officiers de l’armée qui coulait une retraite douce, pour prendre les rennes du pays. Il s’agit du Général Robert Guei. A ce supérieur, un seul objectif majeur est assigné : rétablir la confiance dans le pays en mettant fin à la bêtise de l’ivoirité, source de tous les problèmes et des toutes les ranc urs. Il est clair alors que la principale tâche sera de refaire une constitution propre écartant toute notion subjective. Le Général se présente lui-même comme un missionnaire venu balayer la maison. Pourtant, les choses ne seront pas si simples. En quelques mois, des pressions s’accumulent, principalement en provenance d’une alliance secrète entre les ténors du PDCI de Bédié et du FPI de Laurent Gbagbo. Alors que les élections sont en vue et que tout le monde s’attend à voir la notion d’ivoirité être balancée dans la poubelle infâme de l’histoire, la constitution est promulguée avec le célèbre article 34 qui la maintien dans une rédaction sans équivoque qui veut tout simplement signifier la mort politique de Alassane Dramane Outtara. Il était clair, que tous savaient, que personne ne battrait l’ancien Directeur Général adjoint du FMI, ancien Gouverneur de la BCEAO et ancien premier ministre, dans une élection libre, transparente et démocratique. Le marché passé entre les comploteurs ethniques, Guéi qui a trahit les jeunes officiers, Gbagbo et Bédié, va très vite prendre des plombs dans les ailes. L’élection présidentielle va en conséquence se solder par une curieuse cacophonie dans lequel le peuple ivoirien ne sera en réalité qu’un objet manipulé, pris au centre des intrigues et des mésententes de truands. Gbagbo est ainsi porté au pouvoir dans des conditions plus que troubles dont certains détails demeurent encore du domaine du secret bien gardé.
A suivre: Le phénomène Gbagbo ou le boulanger impitoyable et roublard
